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La violence dans Dogville de Lars Von Trier

Sommaire

Le thème au programme cette année de l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes, des situations plurielles et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation. C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres. 

Aujourd’hui, nous nous intéresserons à la représentation de la violence dans le film Dogville du réalisateur Lars Von Trier, que tu peux actuellement visionner sur le site d’Arte.tv, qui propose une rétrospective de ce dernier. Nous nous demanderons en quoi ce film, par son minimalisme dans la mise en scène, permet une distanciation du spectateur par rapport à la violence et ses mécanismes.

 

Qui est Lars Von Trier ? 

Lars Von Trier est un réalisateur danois né en 1956. Il a notamment remporté la Palme d’Or au Festival de Cannes en 2000 pour son film Dancer In the Dark. Il est très connu pour ses films sombres, aux personnages en souffrance perpétuelle ou dépassant les règles morales habituelles, le tout avec un regard acerbe sur le monde contemporain. Mais ses films font aussi preuve d’une très grande conscience esthétique, entre une manière de filmer très crue, avec des plans filmés à l’épaule et aux coupures très brutales (comme dans The Direktor, ou Breaking the Waves), et des scènes majestueuses, notamment par les ralentis qui donnent à certains plans une dimension presque picturale (comme dans l’introduction de Melancholia par exemple). 

Nous retrouvons tous ces différents éléments dans le film Dogville, sorti en 2003. Ce film se situe dans un décor minimaliste, qu’on retrouve normalement sur les planches de théâtre : les habitations et monuments dans la ville dans laquelle se joue l’action, ne sont identifiés que par des marquages au sol et le mobilier caractéristique de chacun. Elle représente une petite ville américaine perdue dans les Rocheuses, près d’une mine.

Le film se concentre sur le personnage de Grace qui, fuyant des gangsters, vient se réfugier dans cette ville, notamment auprès de Tom Edison Junior, écrivain désoeuvré. Ce dernier, pour illustrer la générosité qu’il prêche auprès de la ville, décide d’intégrer pleinement Grace au sein de la communauté de Dogville, comptant sur la bonté des habitants pour l’accueillir et la cacher.  

Nous suivons alors Grace qui tentera de s’intégrer au sein de cette ville, notamment en aidant les habitants. Si ces derniers s’avèrent accueillants au début du film, les pressions des gangsters pour la retrouver les transformeront progressivement en personnes violentes, abusant de différentes manières de Grace et l’exploitant pleinement. Après une tentative de fuite ratée, les habitants rappellent finalement les gangsters. Quand ces derniers arrivent, un retournement de situation a lieu : le chef des gangsters est en fait le père de Grace, et celui-ci lui propose de le rejoindre. Après un monologue, cette dernière accepte et choisit, pour se venger, de faire exécuter l’ensemble des habitants de Dogville, de la manière la plus violente possible.

 

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La violence, derrière les murs

Avec cette mise en scène minimaliste et cette composition du film en neuf chapitres, Lars Von Trier nous propose une réelle démonstration de la violence et de la manière dont elle s’insinue dans les rapports humains, le tout accompagné de deux changements d’éclairage au cours du film, signalés par la voix-off, qui illustrent le regard de plus en plus dépréciatif (et réaliste) de Grace sur les habitants de la ville au fur et à mesure qu’elle se fait exploiter. On peut ainsi rapprocher cette pièce de la tragédie, car en plus de la mise en scène, c’est également tout le projet théâtral qui s’y compare : nous savons que cela va mal se terminer, et chaque chapitre/acte est comme un pas de plus vers la fin tragique, où quand tout semblait parfait au début, les personnes révèlent leur vraie nature et mettent en place les conditions de leur propre fin. 

Cette mise en scène permet ainsi d’abattre les murs physiques qui dans un film à la mise en scène attendue retiendraient notre regard, rendraient impossible de visualiser cette violence qui s’immisce de plus en plus dans Dogville : mais en ne représentant la ville qu’avec le moins de meubles possibles, il fait voir l’envers du décor, comment différentes scènes peuvent se juxtaposer temporellement et donc montrer toute l’horreur de certains moments (les différentes agressions sexuelles de Grace, cachés au regard de toutes les autres femmes), tout en participant au projet de mettre à nue les consciences des habitants au fur et à mesure du film pour en dévoiler la violence

Vue d’ensemble de la ville de Dogville

Les racines de la violence

Au cours de ses tentatives de s’intégrer au sein de la communauté, c’est toute une série de violences qui s’offre à nous, dans une escalade d’intensité : tous les types de violences sont proposés, physiques comme psychologiques. Mais ceci dans une graduation qui les rends à peine perceptibles, ne commençants que par de tous petits signes. Ainsi, chaque scène dans son unité peut choquer, mais elles forment un tout qui nous rend presque habitué à la fin du film à cette violence qui se déchaîne contre Grace. Cette violence était en fait au fond des personnages dès le début du film, comme dans chaque être humain mais elle s’est libérée au fur et à mesure que les habitants ont vu leur ascendant sur Grace s’affirmer, et sa servilité s’accroître, car toujours plus soumise à la peur d’être dénoncée : plus ils ont pu en profiter, plus ils l’ont fait. 

Mais contre ce manichéisme entre une Grace bonne et des habitants mauvais, la fin vient brouiller les cartes : Grace décide d’embrasser pleinement sa condition de criminelle et ordonne l’exécution de tout le village. Mais c’est ici que notre conscience se perturbe : on prend presque de la joie à les voir tous mourir et souffrir, quand les violences qu’ils infligaient à Grace nous offusquaient. Le mal, passé du côté qu’on connaissait comme bon, aurait-il donc perdu tout attrait négatif ? Pourquoi l’acceptons-nous désormais ? Et du même coup, pendant que les habitants se déshumanisaient progressivement, Grace quant à elle semble reprendre une humanité entière, inexorable, en les condamnant à mort : nous devenons alors partie prenante de cette violence. 

 

Ainsi, le film Dogville est très intéressant à étudier car il offre une grande source de réflexion sur la violence et la manière de la représenter, ici en alternant entre le conte et le tragique, sans toutefois s’arrêter à un manichéisme pur et simple : au contraire, le spectateur mis à distance de cette violence par la mise en scène, voit néanmoins son rapport à cette dernière se perturber au travers du personnage de Grace, beaucoup plus complexe que comme présenté au début film. 

 

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Corentin Viault