Cet article est le deuxième d’une série d’étude de cinq citations philosophiques aléatoires par semaine. Celles-ci sont choisies selon divers critères. Elles peuvent être méconnues et donc permettre de se démarquer aux concours. Certaines sont intéressantes et méritent un approfondissement. Enfin, d’autres se prêtent à des erreurs d’interprétation qu’il convient de rectifier.
“L’ignoble me plaît, c’est le sublime d’en bas.” Flaubert
Cette citation est extraite du roman “Madame Bovary” (1857). Flaubert prononce cette phrase par l’intermédiaire du personnage Rodolphe Boulanger afin d’exprimer son admiration pour les plaisirs de la vie. Ceux-ci sont souvent considérés comme bas et vulgaires par la société. Selon lui, ces plaisirs sont la version “sublime” de ce qui est considéré comme “ignoble.”
Ainsi, si cette citation peut sembler provocatrice, elle invite en fait à une réflexion sur la nature de l’art et de la beauté. Elle reflète également la fascination de Flaubert pour les thèmes de la passion, de la sensualité et de la rébellion contre les normes sociales, notamment les conventions et valeurs bourgeoises de son époque. L’art doit être libre et ne pas se plier aux jugements moraux de la société.
Cette thèse d’un art amoral fait l’objet de nombreux débats au sein de la communauté littéraire. En tant qu’artiste réaliste, Flaubert fait passer la vérité, la réalité, avant la morale. Ainsi, si son art est perçu comme immoral, c’est uniquement car la société elle-même est immorale. “Le réalisme en art consiste à montrer les choses telles qu’elles sont, sans les embellir ni les déformer pour leur donner une signification morale.” écrit-il.
En outre, “l’art ne doit pas être un instrument de moralisation”. “L’art n’a pas de morale” témoigne Flaubert dans ses écrits. Bien entendu, Sand, Hugo ou encore Camus s’opposent fermement à une telle conception de l’art. Ils prônent notamment l’engagement de l’auteur dans son œuvre, à l’inverse d’un Flaubert impersonnel. Pour ce dernier, “l’écrivain doit être dans son livre comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nul part.” Il laisse ainsi la liberté d’opinion à son lecteur, plutôt que de l’orienter vers une dimension morale.
En résumé, l’ignoble, donc ce qui est considéré comme bas, vil et repoussant par la société, peut paradoxalement être source de beauté et de fascination pour l’artiste. Cela est d’autant plus vrai que, pour Flaubert, l’artiste opère une transformation de la réalité à travers sa vision personnelle. Il peut donc trouver de la beauté dans des sujets considérés comme ignobles, en les présentant sous un angle nouveau ou en les transfigurant.
“La justice est ce doute sur le droit qui sauve le droit.” Alain
Cette citation est extraite de “Saisons de l’esprit” d’Alain (1921). Elle exprime l’idée selon laquelle la justice n’est pas une notion figée. Celle-ci peut être remise en question à tout moment. Elle est ce doute sur le droit qui permet de garantir son respect et sa justesse, en évitant toute forme arbitraire. Cette correction vient notamment du fait que le droit est général dans sa recherche d’universalité. Ne pouvant s’appliquer aux cas particuliers, la justice est là pour adapter le droit. La justice doit donc être perçue comme une recherche d’équilibre entre les intérêts en jeu, et non comme une vérité absolue.
Autrement dit, le doute est une dimension essentielle de la justice. Il permet de la renforcer et de la rendre plus juste. Une telle thèse semble en faveur de la présomption d’innocence et de l’habeas corpus par exemple. Elle implique que la justice ne doit jamais être trop sûre de sa propre certitude. Elle doit être consciente de ses propres limites.
En résumé, la justice repose sur la doute, c’est-à-dire la capacité à remettre en question les normes et les règles établies afin de garantir leur pertinence et leur équité. La simple application du droit ne suffit généralement pas à assurer la justice. Les lois peuvent parfois être injustes, erronées. Une telle réflexion fait écho à de nombreux penseurs, dont Platon et Aristote. Ces derniers introduisent la notion d’équité comme forme de justice supérieure. L’équité permet de faire preuve de discernement dans l’application de la loi, en prenant en compte les circonstances particulières de chaque cas. En ce sens, la justice comprise ici ne se limite pas à l’application mécanique des lois, mais suppose une réflexion critique.
“On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter.” Kant
Parfois attribué par erreur à Antoine Houdar de la Motte, cette citation est en réalité issue de “Critique de la raison de pure ” (1781) de Kant. On la trouve en allemand : “Die Intelligenz eines Individuums wird an der Menge an Unsicherheiten gemessen, die es aushalten kann.” Cette citation reflète parfaitement la philosophie kantienne. Celle-ci valorise en effet l’autonomie de la raison et l’importance de la critique et de la réflexion personnelle.
On retrouve particulièrement cette thèse dans “Qu’est-ce que les Lumières ?” (1784). Celles-ci sont définies comme la sortie de l’homme hors de l’état de sa minorité, soit son incapacité à se servir de son propre entendement sans la direction d’autrui. Kant souligne aussi l’importance de la liberté de penser et d’expression pour y parvenir.
D’autre part, Kant défend ici l’idée que la connaissance vraie ne peut se réduire à la simple accumulation de savoirs, mais doit s’appuyer sur une réflexion critique permettant de remettre en cause les idées reçues. La capacité à supporter l’incertitude apparaît donc comme une échelle d’évaluation de la qualité intellectuelle d’une personne. Cette capacité est essentielle car elle permet d’ouvrir l’esprit à la réflexion et à la remise en question. Plus on tolère l’incertitude, plus on peut être amené à se poser des questions.
Or, “toute connaissance commence par une question” écrit Bachelard. La remise en cause de la “doxa” (Cf. Platon) est la première étape vers la connaissance et une compréhension approfondie du monde. La citation de Nietzsche : “Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude.” (Cf. “Ecce Homo”) permet également de comprendre la nature du problème.
Lire plus : 5 citations philosophiques et leur explication : Episode 1
“Celui qui n’est plus ton ami ne l’a jamais été.” Aristote
La citation “Celui qui n’est plus ton ami ne l’a jamais été” est attribuée à Aristote, mais elle ne provient pas d’une de ses œuvres écrites. Il s’agit plutôt d’une expression populaire qui est souvent associée à sa philosophie de l’amitié. On la retrouve notamment dans “Ethique à Nicomaque”. Aristote considère l’amitié comme une relation mutuelle et durable basée sur la vertu et le respect mutuel. Selon lui, une véritable amitié est inaltérable et ne peut être rompue par des circonstances extérieures. Ainsi, si quelqu’un cesse d’être votre ami, c’est que la relation n’était pas authentique depuis le début.
Cette thèse entre également en lien avec l’idée que, selon Aristote, un ami est un médiateur dans la connaissance de soi. L’homme a besoin d’ami(s) pour se connaître. En fait, l’ami est un alter ego. Cette “philia“désigne alors une forme d’amour basée sur la réciprocité et dont l’authenticité assure la pérennité.
“Il faut porter en soi le chaos pour mettre au monde une étoile dansante.” Nietzsche
On finit bien entendu par une citation de Nietzsche. Celle-ci peut s’interpréter comme une invitation à accepter le chaos et l’incertitude comme des éléments inévitables de la vie, plutôt que de les craindre ou de chercher à les éviter. Selon Nietzsche, c’est précisément en acceptant le chaos et en le portant en soi que l’on peut donner naissance à quelque chose de nouveau et de créatif. Cette création est symbolisé ici par l’image d’une “étoile dansante”.
L’incertitude chaotique ne donne pas lieu ici à une forme de connaissance, mais est utilisée pour une fin plus créative et artistique. Une telle thèse est à mettre en lien avec la notion du “dionysiaque” chez Nietzsche. Il s’agit d’une force créative et instinctive qui se manifeste dans l’art. Le dionysiaque est associé à l’ivresse et à la passion. Il s’oppose à l’apollinien qui représente une forme de rationalité. Malgré cette tension entre les deux forces, leur union permet, selon Nietzsche, une expérience de vie plus riche et plus profonde.
Nietzsche a observé dans la culture occidentale de son époque un déclin du dionysiaque, une rationalisation, un “désenchantement du monde” (Cf. Weber). Nietzsche appelle ainsi à retrouver cette vitalité pour fonder de nouvelles valeurs.