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Le monde dans Illusions Perdues de Balzac

Sommaire

Illusions Perdues est un roman écrit par Honoré de Balzac et publié en trois parties entre 1837 et 1843, prenant place dans les Scènes de la vie de Province au coeur de la Comédie Humaine, un ensemble des oeuvres de Balzac faisait une “histoire naturelle de la société”. Dans Illusions Perdues, nous suivons Lucien de Rubempré quitter Angoulême, désireux d’une gloire littéraire à Paris, au travers de son ascension puis de ses désillusions face au monde littéraire. Cet ouvrage est très intéressant à étudier concernant la notion de monde car Balzac tente de “capturer” le monde dans toute sa complexité, mais aussi d’en montrer les rouages : Balzac pense que le monde est un théâtre (d’où le titre de Comédie Humaine) et Lucien va être le seul à pénétrer dans les coulisses qui seront décrites, dans une peinture du monde et de ses acteurs.

 

La représentation du monde

Illusions Perdues, et de manière plus générale La Comédie Humaine tend à capturer le monde et ses acteurs. Les romans de Balzac offrent en effet une foule de personnages. Balzac s’intéresse à leur diversité par une attention à la multiplicité des langues, des codes linguistiques, des jargons de ce Balzac appelle des « argos », des langues particulières qu’on y parle, qui décrivent en creux des mondes : celui de l’aristocratie, de la bourgeoisie, des imprimeurs, des comédiennes de théâtre… mais aussi à leur caractéristiques physiques : ses descriptions s’arrêtent sur chaque personnage qui incarnent chacun un “type”, joué dans le monde. Par exemple, à travers une description (mysogine) de Mme de Bargenton dans la première partie d’Illusions Perdues va permettre de dépeindre le type de la bas-bleu qui est l’avatar au XIXe siècle de la femme savante (comprise comme femme pédante), la présentant comme la cérébrale, dont le savoir vient entraver la faculté de jugement, enfermée dans un savoir théorique, qui manque de capacité à juger le réel tel qu’il est, et donc enfermée dans une vision livresque du monde. A grand renfort de maximes dans ces pages, de sentences, toute une science de moraliste est convoquée pour donner forme et consistance au personnage de Mme de Bargeton. Le roman s’apparente ainsi à une encyclopédie des différents types dans la société, acteurs du monde, quelque chose qu’on pourrait appeler un inventaire en forme de diégèse d’un monde complexe marqué par la pluralité des figures et de leurs langages. 

Il s’agit aussi, en plus de rendre compte de la multiplicité des acteurs de ce monde qui existent, de rendre compte des différents mondes qui coexistent ensemble :  ce roman se présente comme l’odyssée malheureuse d’un jeune homme dans des cercles, un personnage qui traverse des mondes propres au roman d’apprentissage : c’est par exemple la description du conflit entre le monde de l’aristocratie et de la bourgeoisie qui apparaît dans la description d’Angoulême, structurée par l’opposition entre la ville du haut (Pouvoir) et la ville du bas, l’Houmeau (Commerce et Argent). Quand Lucien est à Paris, Balzac fait preuve d’une grande attention aux détails qui font partie de la réalité du monde parisien (langage, manières, habillement…), qu’il doit inclure à sa mimesis, car le monde qu’il dépeint est un théâtre-monde où tous ses détails prennent une grande importance dans le jeu de ses acteurs. 

 

Une écriture à l’épreuve du monde

Pour saisir le monde dans sa réalité, Balzac fait un usage original de la prose. En effet, elle se plie à son objet, soit la réalité mouvante et disloquée du présent : les réalités, les différents mondes dont Balzac parle sont inégaux, et il est parvenu à créer une langue qui sait rendre compte de leurs différences. On peut ainsi prendre l’exemple de la description du restaurant bon marché des étudiants Flicoteaux, pour laquelle il utilise une prose adéquate : sa prose s’adapte à son objet à travers jeux de mots, l’introduction du langage estudiantin et des néologismes, parvenant dès lors à capter la particularité de ce lieu et du monde des étudiants parisiens. 

 

Une réflexion sur notre propre rapport au monde

Illusions Perdues est également un roman important pour penser notre rapport au monde à travers la littérature. En effet, Balzac s’intéresse dans ce roman aux journalistes qui regardent le monde sans recul, sans distance, à l’opposé de ce à quoi l’écrivain s’attache à faire. Le romancier utilise le roman comme Molière utilise la comédie : comme  un instrument d’interprétation du monde.

En effet, l’écriture de Balzac est une écriture qui puisse tenir à l’épreuve des faits, de l’expérience, d’où d’ailleurs la sollicitation constante du lecteur, comme s’il était invité à confronter ce que lui dit le prosateur à sa propre expérience : il y a une solidité de la littérature parce qu’elle a affronté le monde, et elle est issue d’une expérience, d’une observation attentive, d’une coopération étroite avec le monde et peut donc en dire quelque chose.

Enfin, le roman est traversé par de nombreux énoncés aphoristiques qui viennent scander la narration et transmettre un savoir communément admis ou en tout cas offert à l’assentiment du lecteur, qui va ainsi se trouver renvoyé à sa propre expérience du monde. La fiction se nourrit de ce va et vient avec l’empirique, avec le véritable : le lecteur est sollicité à travers ces énoncés sentencieux, qui peuvent servir à la démonstration d’une vérité sur le monde. Ces énoncés ont aussi pour fonction de donner vie à la fable avec un dialogue avec le vécu du lecteur : on est d’accord ou pas, ces aphorismes font entrer dans un moment où on est plus tout à fait dans la fiction mais où on est renvoyé à notre connaissance du monde, de l’homme, à notre propre rapport au monde et à la manière dont on le perçoit, justement ou pas, face à cette épreuve du monde que constitue le roman. 

 

A retenir

Illusions Perdues est ainsi un exemple permettant de voir comme un romancier parvient à représenter le monde dans toute sa complexité, par son attention aux langages, aux détails, aux différents “types” que l’on peut y retrouver. Le monde est comme une scène de théâtre dont le roman a pour mission d’en montrer les coulisses et d’en débusquer les acteurs. Cela se fait par l’usage d’une prose qui parvient à rendre compte des particularités de ce monde, en oubliant jamais son lecteur qu’elle convie à une réflexion sur sa propre expérience du monde.

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Corentin Viault