Misterprepa

ESH ESSEC / HEC 2023 – Analyse du sujet

Sommaire

Découvrez dans cet article l’analyse du sujet de ESH ESSEC / HEC tombé au concours 2023 pour les candidats des prépas ECG.

L’ESH ESSEC / HEC marque le début des concours BCE.

C’est également une épreuve très importante pour les candidats qui souhaitent intégrer les meilleures écoles. En effet, le coefficient est de 7 pour HEC Paris et ESSEC BS. Et s’élève à 8 pour EDHEC BS.

POUR VOIR LE SUJET D’ESH ESSEC/HEC DU CONCOURS 2023

POUR VOIR TOUS LES SUJETS ET LES ANALYSES DU CONCOURS 2023

Analyse du sujet d’ESH ESSEC / HEC 2023

Pour cette deuxième version du sujet confectionné de manière collégiale par HEC Paris et l’ESSEC BS, nous avons eu le droit à un sujet plutôt étonnant mais très intéressant. En effet, pour la première fois dans un sujet de concours d’entrée aux grandes écoles de commerce, nous voyons apparaître le terme de décroissance. Nous aurons le temps de définir ce terme dans l’introduction de notre travail néanmoins, il est assez étonnant de voir ce terme puisque ce sujet fait l’objet d’un discrédit continu de bon nombre d’économistes orthodoxes pour son potentiel caractère irréalisable et dystopique. Il y a fort à parier que le succès retentissant du livre « Ralentir ou périr : économie de la décroissance » publié en 2022 par Timothée Parrique ait influencé les concepteurs. Ce sujet demeure un des plus complexes tombé aux concours tant le terme de décroissance est difficile à définir et ne fait même pas forcément l’objet d’un consensus chez les tenants de cette approche (d’une approche de soutenabilité forte très prononcée). En outre, lier ce concept avec celui d’État-Providence demande réellement au candidat une réflexion poussée qui le sortira à coup sûr de ses connaissances de cours stricto sensu. En résumé ce sujet était un sujet plutôt très compliqué pour les candidats, il ne fallait ainsi surtout pas paniquer car il semble mettre tous les candidats face à la même difficulté ! Les meilleurs tireront sans doute leur épingle grâce à une analyse poussée des termes du sujet et des définitions précises des termes de « décroissance » et d’« État-providence ». Clairement certaines références apparaissent ici presque incontournables : N. Georgescu-Roegen, S. Latouche, T. Parrique, E. Laurent, R. Musgrave, G. Esping-Andersen, Beveridge, Bismarck

Nous commençons ici par définir très clairement les termes du sujet :

  • Décroissance : Nous donnerons ici la définition exposée dans le livre de T. Parrique cité plus haut : « La décroissance correspond à la réduction de la production et de la consommation, pour alléger l’empreinte écologique, planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être ». La définition de T. Parrique est relative à la théorie de la décroissance, au projet de la décroissance. Néanmoins, comme le terme décroissance est générique, rien n’empêchait les candidats de diversifier l’usage de ce terme : décroissance de la production, décroissance des émissions de Co2, décroissance de la population (qui est un des facteurs de réduction des émissions dans l’équation de Kaya abordée lors d’un quiz de révision sur le compte INSTAGRAM de Mister Prépa).
  • État-providence : Dans une logique plutôt large, l’État-providence désigne l’activité forte de l’État dans les domaines économiques et sociaux alors qu’au sens strict on parle plutôt d’État-providence pour caractériser l’action de l’État dans les domaines sociaux dans le but d’accroître le bien-être de tous les individus. Par exemple, on date souvent le début de l’État-Providence en France de l’Ordonnance Laroque qui met en place le mécanisme de sécurité sociale en 1945. Les candidats pouvaient et devaient réutiliser ici la typologie de R. Musgrave exposée dans « Théorie des finances publiques » en 1959. A savoir ici que l’État-providence dispose de trois grandes fonctions : Redistribution, Allocation, stabilisation. En résumé l’État-providence alloue un budget à différents secteurs de la vie économique et sociale (défense, éducation, santé…), redistribue une partie des richesses nationales via le système de prélèvements obligatoires et stabilise la conjoncture en période de crises. Une autre distinction importante pour les candidats était celle entre État-providence Bismarckien et Beveridgien.

Ainsi le sujet implique de s’interroger sur le lien entre décroissance et État-Providence. Est-ce que l’État-Providence qui a été créé et consolidé dans l’âge d’or de la croissance économique (à savoir les 30 glorieuses) peut réellement fonctionner et assurer son rôle (ses 3 missions au sens de Musgrave) dans un contexte de décroissance économique, décroissance des émissions de Co2, voire décroissance de la population (moins central dans le sujet mais pourquoi pas !).

 

Proposition de corrigé :

  • Accroche : Lors d’un débat organisé par le journal Le Monde en janvier 2022 autour de la question « La transition environnementale est-elle compatible avec la croissance économique ? », le ministre français de l’économie Bruno Le Maire déclarait : « Décroissance veut dire appauvrissement des français. Si vous avez de la décroissance, vous aurez moins de richesses et donc vous aurez plus de pauvres ». Si l’on considère, ce qui est raisonnable, que l’action de l’État-providence vise dans une certaine mesure à lutter contre la pauvreté (monétaire ou non), alors on peut dire que selon l’approche de Bruno Le Maire, il parait impossible de concilier la logique de l’État-providence avec celle de la décroissance économique. En effet, plus de pauvreté augmenterait dans sa logique les dépenses sociales et rendrait notre modèle d’État-providence insoutenable.

    Pour retrouver les définitions utilisées, n’hésitez pas à remonter quelque peu pour reprendre les définitions ci-dessus.

  • Problématique : Dans quelle mesure la décroissance des émissions de Co2 et la décroissance économique sont-elles conciliables avec l’action et les modalités de l’action des États-providence dans les PDEM et les PED ?
  • Plan : Si tous les courants de pensée en économie semblent aujourd’hui se mettre d’accord sur la compatibilité entre assurance des missions de l’État-Providence et décroissance des émissions de carbone (I), il semble que les économistes orthodoxes n’envisagent pas la compatibilité entre décroissance économique et État-Providence (II) alors que des travaux plus récents d’économie environnementale essaient justement de lier essor de l’État-Providence et décroissance économique (III).D’autres plans étaient évidemment tout à fait possibles donc ne vous inquiétez pas si votre plan n’est pas le même que celui exposé ici !!

I- Si, la décroissance des émissions de Co2 semble être en accord avec l’action de l’État-providence puisque celle-ci en est à la base :

A) La décroissance des émissions de Co2 est un objectif important des États-providence pour traiter de nouvelles inégalités :

  • Dans « La société du risque » en 1986, U. Beck expose l’idée que la société organisée en classes sociales n’existe plus et fut remplacée par une « société du risque ». Parmi ces risques nombreux, on retrouve évidemment certains risques écologiques comme les catastrophes naturelles (séismes et tsunami au Japon par exemple).  Selon ce dernier, cette société devient égalitaire car les risques environnementaux (par exemple) paraissent également répartis au sein des différentes couches de la population.
  • Or d’autres travaux se sont attachés à montrer qu’il existait des inégalités environnementales, des inégalités de capabilités notamment pour reprendre l’expression d’A. Sen dans « L’idée de justice » (2009). En effet, E. Laurent dans « l’économie européenne 2020 » expose une typologie des inégalités environnementales (inégalités d’exposition, de distribution et de participation). Ce que montre E. Laurent par exemple, c’est qu’en réalité les plus démunis habitent plus régulièrement que les autres dans les zones les plus fortement polluées (coefficient de localisation élevé). Dès lors, une partie des inégalités de santé entre classes sociales peut s’expliquer par des « inégalités environnementales ».
  • Or si l’on reprend les objectifs de l’État-providence et notamment les objectifs de la Sécurité Sociale en France, on remarque tout de même qu’il y a bien cette idée de réduire les inégalités sociales et les inégalités de santé (sinon pourquoi mettre en place une branche maladie par exemple).
  • Si l’on veut réellement que les plus démunis aient les mêmes « capacités » et une espérance de vie qui tend à être la même que celle des individus les plus favorisés, un objectif alors pertinent serait effectivement la cible 0 émissions de Co2, objectif que la France doit atteindre en 2050 selon la « Stratégie Nationale Bas Carbone » exposée par le ministère de l’écologie.
  • Ainsi la décroissance des émissions serait ici une action en total accord avec les objectifs de l’État-providence. Comme l’indique Eloi Laurent, la préservation de la santé qui est un objectif de l’État-providence passe par la préservation de la « santé sociale et écologique ».

 

B) En outre, l’action de l’État-providence pour diminuer les inégalités passe par des instruments qui sont de nature à faire décroître les émissions de Co2 :

  • L’État-providence a des moyens de faire décroître les émissions de Co2. Au départ on penser ces moyens comme s’opposant à la logique initiale de l’État-Providence : le mouvement des Gilets jaunes est selon C. Gollier dans « Le climat après la fin du mois » (2019) le signe que l’augmentation de la taxe carbone ne fut pas appréhendée comme juste.
  • Pour autant, aujourd’hui, les économistes semblent se mettre d’accord sur une taxe Pigouvienne (possibilité de réaliser le graphique ici) qui serait redistributive tant de manière verticale (en fonction de niveaux de vie) qu’horizontale (les habitants du premier décile en ville seront moins touchés par la taxe que les habitants du premier décile à la campagne). Ce point de taxe environnementale redistributive, on peut le retrouver chez certains tenants d’une économie environnementale forte comme Antonin Pottier dans « Comment les économistes réchauffent la planète » (2016), mais aussi chez certains économistes bien plus orthodoxes comme Jean Tirole ou encore K. Schubert dans le rapport du CAE « Pour le climat : pas juste une taxe mais une taxe juste », 2019.
  • Des mesures encore plus novatrices se sont récemment installées dans le débat économique comme celle de Lucas Chancel qui propose une taxe environnementale sur les émissions relatives au patrimoine des individus. Dans le rapport sur les inégalités mondiales de 2022 du World Inequality Lab., L. Chancel montre que les 50 % les plus modestes possédaient 4,9 % du patrimoine net, mais ils contribuaient à 1,9 % des émissions de gaz à effet de serre liées au patrimoine. Alors qu’ils représentent par définition un dixième de la population, les 10 % les plus riches détenaient 55,3 % de la richesse nette, mais leur proportion dans les émissions liées à la richesse s’élevait à 82,8 %. Ainsi, selon lui une taxe sur le patrimoine permettrait la décroissance des émissions de Co2.
  • Ainsi la taxe carbone permettrait une décroissance des émissions de Co2 tout en réduisant potentiellement les inégalités car les recettes fiscales provenant de la taxe pourront être redistribués pour diminuer ces inégalités. Ainsi les modalités d’action de l’État-providence (prélèvements obligatoires) semblent compatibles avec une décroissance des émissions. En outre, l’action de l’EP semble facilité par les recettes issues de la décroissance des émissions.

 

II- Toutefois, Certains économistes semblent beaucoup plus circonspects quant à la possibilité de concilier État-Providence et décroissance économique (décroissance du PIB) :

A) Une décroissance économique représenterait une nouvelle crise de financement de l’État-providence dans les PDEM :

  • Les États-providence ont été construit majoritairement dans les PDEM lors de l’époque du capitalisme fordiste (M. Aglietta, « Pour une théorie de la régulation », 1974). Cette époque représente une exception pour la croissance des pays. En effet, alors que les taux de croissance français demeurent très faibles depuis une dizaine d’année, ceux des 30 glorieuses ont pu atteindre 5% selon E. Malinvaud dans « la croissance française », 1972. L’idée principale ici est que sans croissance, pas de recettes fiscales et sans recettes fiscales pas d’État-providence. Pour reprendre le cas de la France, P. Rosanvallon annonçait dès 1981 une « Crise de l’État-providence ». Cette crise provenait notamment de l’essoufflement de la croissance économique présent dès ces années-là. Ainsi selon P. Rosanvallon, l’État-Providence français (qui dispose d’un système de protection sociale à cheval entre système Beveridgien et bismarckien) est en danger lorsque la croissance s’essouffle.
  • Dans ce cadre, la décroissance du PIB semble représenter un appauvrissement pour reprendre les propos de B. Le Maire qui mettrait en difficulté les États-providence des PDEM via un effet ciseau : l’augmentation du chômage concomitant à la décroissance augmenterait le besoin d’aides sociales alors que la baisse du PIB tarirait les ressources de l’État et mènerait à une fin de notre modèle social.
  • Les candidats pouvaient ici distinguer modèle Bismarckien et Beveridgien pour voir en quoi dans chacun des modèles, la décroissance diminuerait les recettes de l’État.
  • C’est souvent un argument utilisé par les économistes orthodoxes pour contrer l’argument des décroissants comme celui de S. Latouche dans « la décroissance » réédité en 2022.

 

B) En outre, dans les PED, la décroissance des émissions passe par la croissance économique qui facilite le développement et l’expansion de l’État-Providence :

  • On reproche souvent aux théories de la décroissance d’être des théories centrées sur l’Occident et de ne pas penser aux économies des PMA et des PED. En effet, certains pays ne connaissent même pas de systèmes d’État-Providence. Même des pays leaders comme la Chine ne disposent pas réellement de systèmes sociaux dignes de ceux de l’Occident. Dans cette perspective il semble que la décroissance économique dans le but de la décroissance des émissions aille à l’encontre de la création et du développement des États-providences.
  • W. Rostow, « les étapes de la croissance économique », 1961 : « Le pays le plus industrialisé ne fait que refléter aux autres pays l’image de leur futur ». En effet, sous quel prétexte peut-on souhaiter une décroissance économique des émergents alors qu’ils n’ont pas fini leur développement et n’ont pu profiter des mêmes avantages économiques et sociaux que les PDEM ? La décroissance serait alors une approche occidentalo-centrée et inégalitaire.
  • Bien au contraire, il semble que pour assurer la mise en place des États-providences et la décroissance des émissions, le projet de décroissance économique est contre-productif.
  • C’est ce que l’on peut voir avec la courbe de Kuznets environnementale de Grossman & Krueger (1991). En effet, cette courbe montre que la croissance économique va permettre à long-terme de diminuer la croissance des émissions de Co2 notamment grâce à la mise en place des États-providence (un système scolaire public et gratuit pour tous dans l’idée de former un capital humain selon l’expression de G. Becker par exemple). Ainsi la croissance économique des PED leur permet de développer les systèmes d’État-providence et in fine de diminuer les émissions de Co2 grâce à ces systèmes.

 

III- Pour autant, un courant plus récent tente d’imposer une autre vision permettant d’assurer une transition juste en couplant décroissance et État-Providence :

A) La décroissance économique ne fragiliserait pas l’État-providence car le projet politique décroissant rend inutile l’augmentation du PIB :

  • Les tenants de la décroissance critiquent vigoureusement les arguments avancés dans le II car selon eux, les économistes orthodoxes et décideurs politiques caricaturent leurs propos. Ce projet à la base portée par des scientifiques comme N. Georgescu-Roegen a été développé depuis. T. Parrique dans « Ralentir ou périr : économie de la décroissance » (2022) montre qu’il ne doit pas y avoir de décroissance globale mais une décroissance choisie sur les populations responsables des émissions de Co2 (les classes sociales les plus aisées et les pays les plus développés).
  • Les tenants de cette approche ou d’approches proches essaient de montrer que la croissance du PIB n’est pas un bon critère pour parler de la pérennité de l’État-providence.
  • Laurent dans son livre « la raison économique et ses monstres » (2022) déconstruit l’idée selon laquelle un État-providence ne peut survivre sans croissance économique. En d’autres termes dans son approche, la décroissance du PIB est compatible avec la pérennisation de l’État-providence. Par exemple, il montre que les USA ont un taux de croissance plus élevé mais un modèle social moins protecteur que la France. On peut rappeler ici que les USA ont un État-providence libéral alors que la France dispose d’un EP corporatiste selon la typologie de G. Esping-Andersen dans « Les Trois mondes de l´État-providence » (2007).
  • Selon E. Laurent, ce fait montre que l’efficacité et l’existence de l’EP ne réside pas dans les chiffres de croissance économique. En effet, plus il y a d’inégalités, plus il faut de croissance pour élever le niveau de vie des plus démunis. Selon E. Laurent, le lien entre croissance et revenu peut être déconstruit. Ainsi, si un pays dispose de moins d’inégalités, il aura aussi besoin de moins de croissance pour redistribuer (fonction de l’EP chez R. Musgrave). Dès lors, si une décroissance du PIB s’accompagne d’une baisse des inégalités, on peut dire que la décroissance est compatible avec l’État-providence.

 

B) Pour un nouveau modèle d’État-providence dans un contexte décroissant ?  :

  • E. Laurent dans « Manuel des transitions justes » (2023) édifie un trilemme liant croissance du PIB, transition écologique et État-providence. Selon l’auteur, on ne peut retenir que deux de ces 3 choix.
  • Jusqu’à maintenant nous avions choisi État-providence et croissance du PIB (capitalisme fordiste). Certains économistes, partisans de la croissance verte comme P. Aghion par exemple, souhaitent selon l’auteur un passage vers PIB + Transition écologique. L’auteur ne croit pas à la croissance verte notamment à cause de l’effet rebond identifié dès le 19ème siècle par W. Jevons dans « The Coal Question ».
  • Selon E. Laurent et c’est aussi développé par T. Parrique, un autre État-providence est possible en s’écartant de la croissance du PIB. C’est le scénario de la transition juste. Selon les auteurs, la croissance du PIB est une mauvaise boussole car elle pollue fortement (cf. équation de Kaya). Ainsi aller vers un système qui organise la sortie de la croissance par un système moins consommateur de ressources et diminuant les inégalités est possible.
  • Dès lors, décroissance et État-providence sont conciliables et cela s’appelle une transition juste selon les mots d’E. Laurent ou encore de T. Parrique.
Newsletter
Picture of Léo Bedenc
Léo Bedenc
Diplômé emlyon et SciencesPo Lyon après une prépa ECE à Bordeaux, je suis également agrégé en S.E.S et j'interviens régulièrement sur Mister Prépa en ESH.