La philanthropie est l’engagement volontaire d’individus ou d’organisations à consacrer leur temps, leurs ressources ou leurs biens pour promouvoir le bien-être d’autrui et contribuer à l’amélioration de la société. Elle se manifeste par des actions et des dons caritatifs visant à défendre des causes sociales, culturelles ou environnementales. Elle est souvent perçue comme une réponse aux défaillances des politiques publiques.
En théorie, la philanthropie est motivée par l’empathie, la compassion et le désir d’avoir un impact positif sur la vie des autres.
Cela dit, la pratique philanthropique s’avère souvent plus complexe. Elle est exposée à diverses dérives et peut engendrer des dommages, qu’ils soient intentionnels ou non. Cet article explore quelques exemples.
Arguments contre la philanthropie
- Inefficacité
Il arrive que des fonds donnés soient détournés, ou que de la nourriture à destination de victimes de catastrophes soit détournée et vendue à des fins lucratives; dans ce cas la philanthropie manque à son but. Certaines organisations philanthropiques peinent à distribuer efficacement les ressources en raison d’un manque de coordination, de bureaucratie excessive ou d’une incapacité à répondre aux évolutions des besoins sur le terrain.
- Mauvaise allocation des ressources
Les ressources ne vont pas toujours là où les besoins sont les plus urgents. Le mouvement de l'”altruisme efficace” (Effective Altruism) critique cette mauvaise allocation et plaide pour un soutien prioritaire aux causes jugées les plus rentables en termes d’impact.
- Dépendance
Les dons peuvent créer une dépendance des bénéficiaires et ainsi décourager l’autonomie. Pour lutter contre cela, les organismes de lutte contre la pauvreté devraient prioriser la formation professionnelle plutôt que de distribuer des bons d’achat, et préférer les prêts de microfinance aux subventions, afin de favoriser l’indépendance économique à long terme des bénéficiaires.
- Paternalisme et néocolonialisme
La philanthropie peut, consciemment ou non, renforcer des rapports de force inégalitaires. Les interventions caritatives sont parfois perçues comme paternalistes, avec des bienfaiteurs imposant leurs propres valeurs au lieu de s’adapter aux besoins réels des bénéficiaires, le tout pour pérpétuer des relations de domination. Dans ONG : Organisation néo-gouvernementales. Aide humanitaire et imperialisme en Afrique (2021), Clara Egger prend l’exemple de l’envoi par de Gaulle de french doctors dans la guerre du Biafra en 1967 pour permettre à l’Etat français d’exercer de manière dissimulée son influence dans la région.
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- Priorité aux intérêts des donateurs
Les véritables motivations derrière certains actes philanthropiques peuvent être dissimulées. Les critiques reprochent aux donateurs d’élite d’utiliser la philanthropie pour redorer leur image, plutôt que par réelle générosité. Cette stratégie peut même se retourner contre les institutions bénéficiaires, lorsque les actions ou les activités des donateurs sont mal perçues par le public. Par exemple, en septembre 2023, le musée V&A Dundee a retiré le nom de la famille Sackler de son mur en raison de leur implication dans la crise des opioïdes aux États-Unis.
En fin de compte, la philanthropie est souvent perçue comme une solution temporaire, incapable de s’attaquer aux causes profondes des problèmes qu’elle cherche à résoudre.
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Mais malgré tous ses défauts, la philanthropie reste essentielle. Nous allons voir pourquoi.
Arguments pour la philanthropie
- La société apprécie la philanthropie
Dans un sondage national réalisé en 2015 auprès des électeurs américains, 47 % des répondants ont choisi la philanthropie comme leur première option pour résoudre les problèmes sociaux aux Etats-Unis, contre 32 % qui ont préféré le gouvernement. La philanthropie aborde les problèmes différemment du gouvernement : elle est souvent plus inventive, expérimentale, rapide, efficace, diversifiée, personnalisée, et vise davantage la transformation que la simple gestion des problèmes.
- La philanthropie est un allié de la démocratie
Certains détracteurs de la philantropie affirment que les donateurs accumulent trop de pouvoir et imposent leur vision à la société, en particulier aux Etats-Unis. Mais il est important de rappeler que les dons aux États-Unis sont largement décentralisés. En effet, seulement 14 % des dons proviennent des fondations créées par les riches; la majorité des dons annuels vient de citoyens ordinaires. Une démocratie saine devrait encourager, et non freiner, l’initiative individuelle pour améliorer le bien commun. A ce propos, Alexis de Tocqueville note dans De la démocratie en Amériqueque l’activité bénévole américaine renforce sa démocratie en ce qu’elle ne se contente pas de résoudre des problèmes pratiques mais renforce aussi les liens sociaux.
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- La philanthropie est utile
Parfois plus que l’Aide Publique au Développement fourni par les États et institutions internationales. Aujourd’hui, les donateurs américains fournissent plus d’aide aux pays étrangers (39 milliards de dollars par an) que le gouvernement américain lui-même (31 milliards de dollars). A une autre échelle, la Fondation Bill et Melinda Gates dispose d’un budget de 8 milliards de dollars, soit le double de celui de l’Organisation mondiale de la santé, qui s’élève à 4 milliards. Surtout, la philanthropie joue un rôle essentiel dans le soutien des activités culturelles et intellectuelles souvent délaissées par les financements publics. En 2016, les dons privés représentaient environ 40 % des revenus de fonctionnement des musées. La philanthropie complète donc bien l’action étatique.
- Réponse au mouvement de l’Altruisme Efficace
Oui, certains causes ne sont pas aussi importantes que d’autres, mais la force et de la beauté de la philanthropie réside dans sa diversité. Permettre aux donateurs de s’engager selon leurs passions s’est avéré, au fil du temps, être un moyen efficace d’inspirer des engagements forts et d’obtenir de grands résultats. Peu importe si la cause soutenu par tel ou tel philanthrope n’est pas la plus urgente pour le moment, un tel engagement n’est jamais perdu, c’est toujours ça de pris.
- Réponse aux critiques des motivations des donateurs
La force de la philanthropie réside dans sa capacité à accepter les gens tels qu’ils sont, avec leurs bons comme leurs mauvais côtés. Si l’on est très pragmatique, est-ce vraiment si grave que les motivations des donateurs soient égoistes tant que les actions qui en résultent ont un impact positif sur la société ?
NB – Le Giving Pledge est une initiative lancée en 2010 par Warren Buffett, avec Bill et Melinda Gates. C’est un engagement pris par certaines des personnes et familles les plus riches du monde à donner la majorité de leur fortune pour résoudre les problèmes les plus urgents de la société.
Ceux qui rejoignent le Giving Pledge prennent un engagement public, souvent par le biais d’une lettre expliquant leurs intentions et principes philanthropiques. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un contrat juridiquement contraignant, c’est un engagement moral à consacrer une part importante de leur richesse, généralement au moins la moitié, à des causes caritatives durant leur vie ou par testament.
Fin février 2024, la philanthrope Ruth Gottesman a fait don d’un milliard de dollars au Albert Einstein College of Medicine, rendant la scolarité gratuite pour ses étudiants. Elle avait hérité de cet argent de son défunt mari. Elon Musk a également signé le Giving Pledge.
Ces dernières années, une nouvelle forme de philanthropie a émergé avec l’arrivée d’une jeune génération de donateurs. La philanthropie devient plus réfléchie et encadrée. Les donateurs ne se contentent plus simplement de faire un don pour voir leur nom figurer sur une liste. Ils veulent désormais s’assurer que les fonds sont utilisés efficacement et durablement et produisent l’impact attendu.
Un exemple emblématique de cette nouvelle approche philanthropique est la donation de Patagonia. En septembre 2022, Yvon Chouinard, fondateur de la marque de vêtements de plein air Patagonia, a fait don de l’intégralité de son entreprise, valorisée à environ 3 milliards de dollars, pour lutter contre la crise climatique. Au lieu de vendre Patagonia ou de la rendre publique, il a transféré 100 % des actions avec droit de vote à une organisation dédiée à la protection de l’environnement, et 100 % des actions sans droit de vote à un trust appelé Holdfast Collective, chargé de redistribuer les profits de l’entreprise à des causes environnementales.