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Filmer la violence insoutenable : Salo de Pier Paolo Pasolini

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Le thème au programme cette année de l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes, des situations plurielles, et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation, et notamment la possibilité même de sa représentation. C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres. 

Aujourd’hui, nous nous intéresserons à la représentation de la violence dans le film Salo ou les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, en nous interrogeant sur les limites du figurable.

Qui est Pier Paolo Pasolini ? 

Né en 1922 et mort en 1975, Pier Paolo Pasolini est un intellectuel, réalisateur, écrivain,… italien. Très critique envers la bourgeoisie et la société consumériste contemporaine, son œuvre a parfois choqué, comme le film que nous allons étudier, Salo ou les 120 Journées de Sodome, réalisé en 1975 et transposant librement le roman éponyme du marquis de Sade. 

Ce film raconte l’histoire de quatre notables italiens qui s’enferment, avec leurs épouses, des servantes et de jeunes adolescents capturés, dans un palais de la république de Salo en Italie (Etat fasciste établi par Mussolini en Italie du 23 septembre 1943 jusqu’à avril 1945). S’ensuit alors une descente aux enfers, le film divisé en quatre tableaux, tous conduisant toujours plus à l’horreur et à la violence la plus macabre : après “le cercle de la passion”, présentant le viol des adolescents, puis “le cercle de la merde”, présentant des scènes de scatophagie, “le cercle du sang” est l’occasion du meurtre des adolescents par les notables.

A travers ses diverses mentions de “chef d’oeuvre de violence” ou “film d’enfer”, il paraît être un bon sujet d’étude de la représentation de la violence à l’écran, éprouvant la résistance du spectateur. 

Les limites du figurable 

Aucune concession n’est accordée au spectateur par rapport à ce qui est filmé : les images sont d’une agressivité et d’une virulence rarement vues, dans une violence totalement brute, sans aucune esthétisation : les corps sont comme des objets aux mains des quatre notables, qui ne semblent atteindre aucune jouissance par leur méfaits, tout apparaît insignifiant.

Néanmoins, il ne s’agit pas de filmer la violence pour un plaisir sadique du réalisateur : au contraire, le film de Pasolini est un cri de dégoût contre cette violence qui s’exacerbe toujours plus dans notre société, autant corporelle que spirituelle : selon lui, le cinéma est justement cet art qui permet de porter une revendication, en filmant de manière frontale l’objet de dégoût, sans transfiguration artistique, pour nous mettre face aux excès de l’homme et provoquer au mieux un sentiment de simple malaise au pire un sentiment de profond dégoût qui ne peut que nous conduire à quitter le film. Cet excès est rendu possible, dans le film comme dans la réalité, justement par un pouvoir trop grand accordé à certains, ici en lien avec le régime fascite que ce film critique. Mais devant cette violence frontale, nous ne restons pas indifférent, indifférence qui au contraire permet aux totalitarismes de se mettrent en place, dans une habitude et un aveuglement à une violence plus quotidienne. Il s’agit ainsi d’éveiller le spectateur à une violence ici symbolique mais qui prend diverses formes dans la réalité et que l’on tend à oublier, voir accepter, sans pour autant en être révolté. 

Pasolini pousse donc la violence aux limites du représentable, et pour Roland Barthes Sade ne pouvait justement même pas être adapté au cinéma car : « Le fantasme s’écrit, il ne peut se décrire. » La question que pose se film est donc : est-il possible de filmer la plus grande violence de manière frontale, cela devrait-il être permis ? Y a t-il des limites à ne pas dépasser, une sphère de pratiques qui ne devrait rester que de l’ordre du fantasme ou alors ne bénéficier d’aucune représentation dans les arts ? 

Une critique de la société

Mais pourquoi filmer toute cette violence ? Pasolini, à travers ce film, cherche également à dénoncer la société de consommation. Selon lui, « le sadomasochisme a une fonction très spécifique, qui est de réduire le corps humain à un produit consommable. […] Mais mon besoin de réaliser ce film vient aussi de ma haine particulière des dirigeants d’aujourd’hui. […] Je ne crois pas que nous puissions jamais retrouver une quelconque forme de société où les hommes soient libres. Il ne faut pas l’espérer. Il ne faut même rien espérer du tout. L’espoir est une invention des politiciens pour satisfaire leurs électeurs. » 

Mais, en connaissant les liens proches de Pasolini avec le marxisme, on peut y voir une représentation de la lutte des classes : ainsi les notables représentent la domination bourgeoise contre un prolétariat asservis par un pouvoir bestial, celui du pouvoir fasciste, soumis à une violence moins explicite mais d’autant plus perverse. 

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Corentin Viault