Il est assez étrange de penser que le travail puisse être à l’origine de nombreuses controverses sachant que cette notion est celle à l’origine de toute création de richesse. En effet, si l’on en croit Hésiode dans Les Travaux et les jours, le travail est le fondement de la vie en société. Or aujourd’hui, de nombreuses personnes prédissent la fin du travail liée aux dernières formes de progrès technique. L’homme moderne serait ainsi menacé par une intelligence toujours plus performante mais toutefois, il est intéressant de noter que cette idée n’est pourtant pas nouvelle.
Les luddites face aux machines
Les luddites sont des tisserands anglais qui dans les années 1810 couraient les campagnes anglaises afin de mettre hors-système les machines qu’ils accusaient de détruire les emplois. Ils tirent leur nom de Ned Ludd un ouvrier anglais qui aurait cassé deux machines pour préserver son emploi en 1780. Cette révolution est liée au fait que les entreprises anglaises du domaine textile ne pouvaient pas, à cette époque, écouler leurs produits à l’international du fait du blocus continental décrété en 1806 par Napoléon. Ces entreprises cassent donc leurs prix sur le marché intérieur et les salaires des ouvriers pour être certaines d’écouler les produits. Dans le même temps, le blocus continental fait aussi augmenter le prix du blé en Angleterre et les catégories les plus pauvres se retrouvent très rapidement asphyxiées. Les tisserands se persuadent que le problème vient des machines et les détruisent. Pour les arrêter, le Frame Work Bill de 1812 est adopté prévoyant la peine de mort pour chaque individu détruisant une machine.
Une concurrence néfaste avec les machines ?
Sismondi est un défenseur de l’idée que les ouvriers n’avaient d’autre choix que de casser les machines et c’est à ce penseur que l’on doit la phrase : « Si le machinisme arrivait à un tel degré de perfection que le roi d’Angleterre pût en tournant une manivelle produire tout ce qui serait nécessaire aux besoins de la population, qu’adviendrait-il de la nation anglaise ? ». En 1819, Sismondi publie ses Nouveaux principes d’économie politique où il y annonce que la concurrence entre les ouvriers conduit à des salaires stagnants, la concurrence entre les entreprises conduit à des ventes à perte et l’incertitude paralyse l’investissement. Ces trois concepts détruisent selon lui l’économie de marché. L’action des luddites permettrait ainsi de sauver l’économie de marché selon Sismondi. Leurs salaires peuvent ainsi continuer de progresser ce qui favorise de fait la demande de produits et la création de richesses. Sismondi est d’ailleurs l’un des premiers penseurs à fonder son raisonnement sur la demande tandis que la plupart des économistes à cette époque tendent à considérer le côté de l’offre.
Ricardo et sa défense des capitalistes
Le progrès est du côté des capitalistes selon Ricardo. Dans Principes de l’économie politique et de l’impôt (1817), il divise la société entre les propriétaires (qui touchent la rente), les capitalistes (qui touchent un profit) et les travailleurs (qui touchent un salaire). Ricardo fonde sa théorie sur la maximisation des profits des capitalistes qui incarnent l’avenir. En effet, il ne faut pas oublier que sa théorie des rendements décroissants a pour objectif de mettre en lumière les effets néfastes de l’état stationnaire, stade où les capitalistes n’ont plus de profits à cause du salaire des ouvriers qui ne cesse d’augmenter. Ce stade est celui où plus aucun progrès technique n’apparait et où la croissance est quasiment nulle. Il faut donc, selon lui, maintenir les profits des capitalistes à un niveau élevé ou s’ouvrir commercialement pour continuer à créer de la richesse afin d’échapper à l’état stationnaire. Toutefois, les capitalistes rencontrent la résistance des travailleurs et des propriétaires, ces derniers étant les plus féroces, les premiers étant réduits, par un jeu de concurrence, à accepter un salaire de subsistance.
Le retour des luddites ?
En 1976, dans L’Économie du diable, Alfred Sauvy, économiste français, annonce la nécessité de ne pas se laisser abuser par le retour de la pensée luddite. Pour lui, le progrès technique ne supprime pas les emplois mais en change la nature : c’est la théorie du déversement économique. Néanmoins cela semble moins vrai lorsque l’on connait la puissance à devenir de l’intelligence artificielle. En effet, elle permet aujourd’hui de faire des tâches dites « simples » c’est-à-dire déjà programmées (comme par exemple scanner des articles au supermarché), mais tend (et des rapports comme le rapport Osborne aux États-Unis le montrent) à évoluer dans les prochaines années pour effectuer des travaux de plus en plus complexes rendant l’homme obsolète d’un point de vue économique face à une technique qui le dépassera en tout point. En ce sens, ce n’est plus un déversement mais un remplacement économique qui va potentiellement s’effectuer face aux machines dans les prochaines années, ce qui pourrait permettre par la même occasion l’arrivée d’un mouvement néo-luddite.