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Pour ou contre l’exclusion des sportifs russes des compétitions internationales ?

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Le 24 février 2022, une allocation du président russe Vladimir Poutine sonnait le début de l’invasion par l’armée russe de l’Ukraine. Immédiatement, la communauté internationale condamnait de manière presque unanimeme le gouvernement russe pour cette agression d’un état souverain d’une portée et d’une violence quasiment jamais vue depuis plusieurs décennies et un certain nombre de sanctions, notamment diplomatiques et économiques, furent décidées. Pour autant, il est une de ces sanctions, de prime abord minime par rapport à celles pesant sur les hydrocarbures, le rouble ou encore les fortunes des oligarques russes, qui provoqua de nombreux débats dans l’opinion publique et continue aujourd’hui de créer tensions et discussions : la décision d’interdire l’accès à de nombreuses compétitions sportives internationales aux sportifs russes[1].

 

Exclure les sportifs russes, pourquoi faire ?

Il existe deux grandes raisons à l’exclusion des sportifs russes des compétitions internationales. La première est que celles-ci représentent un outil indéniable de soft power et de rayonnement dont il fallait priver Vladimir Poutine. Prenons l’exemple de la finale de la Ligue des Champions qui devait à l’origine se dérouler dans l’enceinte de la Gazprom Arena à Saint-Pétersbourg et fut finalement déplacée (pour le meilleur et pour le pire) au Stade de France après le début du conflit. Était-il concevable de laisser le despote russe en Monsieur Loyal d’un jour s’attribuer le mérite de l’accueil et de l’organisation d’un événement aussi fastueux, qui attire chaque année des dizaines de milliers supporters du monde entier sans compter les millions de téléspectateurs en délire derrière leur poste ? Certainement pas… A l’heure où le soft power est plus important que jamais pour beaucoup de pays et que le sport en est un des principaux vecteurs, fermer la porte à toute éventuelle publicité positive pour la Russie semblait indispensable.

Le cas des sportifs eux-mêmes est une autre paire de manches. Mettons de côté la vision sans doute trop caricaturale du sportif russe prenant la parole en faveur de son régime dans le conflit l’opposant aux ukrainiens[2]. Les retombées négatives pour celui ou celle qui agirait ainsi seraient si terribles en termes de perte de contrats avec des sponsors, d’image en général et d’exclusion des futures compétitions que peu pourraient se le permettre. Pour autant imaginez un peu : le 10 juillet 2022, ce n’est plus le serbe Novak Djokovic mais le russe Daniel Medvedev qui soulève le trophée sur le Center Court de Wimbledon. Le gouvernement russe se serait immédiatement servi d’un tel événement pour faire du sportif vainqueur le porte-étendard de la grandeur de la Russie. Impossible de tolérer une telle chose.

Ainsi, ce type de décisions revêt un aspect avant tout symbolique (particulièrement dans le cas de la Biélorussie souvent également touchée par ces sanctions, dont le rayonnement sportif comme international est somme toute assez mineur). Leur impact est toutefois incomparable à celui d’autres sanctions notamment économiques prises contre le régime russe depuis le début de l’invasion en Ukraine. Ce symbole impacte aussi l’imaginaire de la population russe, friande de suivre les exploits de ses sportifs que ce soit l’hiver avec les sports de neige dans lesquels le plus vaste pays du monde excelle ou l’été en athlétisme, au volley et dans bien d’autres disciplines. Ces héros auxquels s’identifier, autour desquels faire naître une fierté nationale, ne sont plus là pour défendre les couleurs du pays.

 

Une décision juste vis-à-vis des premiers concernés ?

Que tout le monde se rassure ! Jamais vous ne verrez le désormais ex-pilote de Formule 1 Nikita Mazepin[3] (c’est plus facile en même temps de se retourner quand papa est à la tête d’Uralkali, l’une des plus grandes entreprises russes), ou le vice-champion olympique de Volley à Tokyo l’été dernier Valentin Golubev, pointer au bortsch populaire dans les rues de Moscou. En effet, même si les manques à gagner sont évidemment conséquents, il ne faut pas pour autant dramatiser car les gains des grands sportifs internationaux sont aujourd’hui tels qu’ils peuvent supporter une baisse de leurs revenus, du moins si celle-ci se concentre sur une durée limitée. Évacuons également le cas des athlètes jouant pour une équipe russe : leurs contrats restent valables et leurs salaires (mis à part la partie variable liée aux résultats du club) ne seront pas affectés. Toutefois, allons plus loin dans la réflexion et regardons au-delà de la partie immergée de l’iceberg. Quittons quelques instants les sports majeurs et les têtes d’affiches et penchons-nous par exemple sur le cadre d’un biathlète russe naviguant au-delà de la vingtième place du classement général de la coupe du monde dont il devrait être dans les prochains jours exclus pour la saison qui débute sous peu. Peut-il malgré le soutien de sa fédération encaisser de telles sanctions ? La réponse est tout de suite beaucoup moins positive. Ainsi l’impact économique sur les sportifs est réel et on comprend mieux le geste du même Mazepin annonçant dès le 9 mars dernier la création d’une fondation visant à soutenir les sportifs russes bannis des compétitions en raison de la guerre.

Mais finalement, la véritable question entourant ces sanctions va au-delà de la perspective économique (face à laquelle beaucoup répondraient la célèbre phrase “À la guerre comme à la guerre” ou sa variante qui prend de l’ampleur ses dernières semaines “Parlez-en à mon plein d’essence”). Que penser moralement parlant de telles décisions ? On en arrive finalement à une question majeure : un citoyen peut-il être tenu responsable des actions de son régime ? En effet, si l’on regarde la situation aujourd’hui, que peuvent bien faire les sportifs russes dans cette situation ? S’élever contre le gouvernement de Vladimir Poutine ? Quand on connaît l’amour que porte celui-ci pour la censure, les emprisonnements politiques, les empoisonnements et les voitures piégées, on peut se dire qu’un tel acte serait tout bonnement suicidaire à moins de s’exiler de son pays. Comment dès lors leur reprocher le silence dans lequel la plupart d’entre eux ont choisi de se murer depuis le début du conflit ? En allant encore plus loin, on soumet à une double peine énorme les rares d’entre eux qui ont pris position en faveur d’un arrêt des combats. Prenons le cas du tennisman Andrey Rublev, septième joueur mondial à l’époque. Dès le 25 février, soit le lendemain du début de l’invasion, celui-ci écrivait sur une caméra après sa victoire en demi-finale du tournoi de Dubaï « No war please ». Chacun pourra reconnaître ici un acte courageux face à un régime autoritaire. Pourtant, il ne put en raison de sa nationalité pas concourir à Wimbledon quelques mois plus tard. Cette décision, jusque-là réservée dans le sport aux seuls tricheurs ou individus ayant un comportement antisportif, jette l’opprobre sur des sportifs pour des faits sur lesquels ils n’ont finalement que peu d’influence.

 

Des prises de position à l’efficacité discutable

On pourra éternellement discuter chacun des arguments présentés précédemment, sans pour autant arriver à un quelconque consensus tant les positions semblent figées. Alors, pour juger de la pertinence de ces mesures, il faut donc sans doute en interroger l’efficacité. Alors oui effectivement, très peu de sportifs russes ont pu rentrer au pays couverts de lauriers et Vladimir Poutine n’a donc que peu eu l’occasion de glorifier leurs exploits. Néanmoins, il reste là encore beaucoup de choses à dire.

Tout d’abord, il convient de remarquer que la communauté internationale, politique comme sportive, a affiché derrière une dénonciation et un front unanimes de façade une disparité coupable dans ses prises de décisions. Comment expliquer par exemple qu’un sportif russe puisse participer aux circuits ATP et WTA[4] de tennis mais pas à la coupe du monde de foot ? Pire encore, ces décisions ont pu tourner au ridicule il y a quelques semaines. En effet, le tournoi de Wimbledon a pris de manière unilatérale la décision de ne pas accepter les joueurs russes et biélorusses pour son édition 2021. Pourtant, ceux-ci peuvent participer aux autres tournois du Grand Chelem à Roland Garros et à l’US Open[5]. Faut-il donc voir chez les britanniques un soutien supérieur à celui de toutes les autres nations au président ukrainien Zelensky, ou bien dénoncer Français et Américains comme pro-Poutine ? Certainement pas ! Cette situation ubuesque est tout simplement le symbole d’une désorganisation et d’un manque de concertation coupable, finalement tranché de manière catastrophique par l’ITF[6] qui décida… de sanctionner Wimbledon en annonçant que le tournoi de cette année ne serait pas comptabilisé dans les classements mondiaux. Ainsi, d’une apparente fermeté, les pays occidentaux sont donc peu à peu tombés dans une désorganisation sur le plan diplomatique face à la Russie qui renvoie une apparence de faiblesse.

Le principe d’une décision politique, c’est qu’elle doit s’appliquer le plus équitablement et logiquement possible. Ici, dans de nombreux cas, on peut discuter sur ce point. Prenons l’exemple du football. On peut comprendre que les clubs russes se soient vus exclus de la scène européenne. Cependant, comment expliquer, qu’un joueur étranger jouant au CSKA Moscou ne puisse pas participer cette année à la Ligue Europa, alors qu’Alexander Golovin, milieu offensif d’origine russe, puisse en arpenter les terrains car jouant à l’AS Monaco ? Ces décisions donnent ainsi souvent l’impression d’un deux poids deux mesures incompréhensible.

Finalement, que conclure ? Il est indéniable qu’il fallait dans le domaine sportif prendre des décisions fortes pour empêcher Vladimir Poutine de faire du sport russe un outil de soft power. Ne pas le faire serait revenu à lui laisser un levier puissant de cohésion nationale et de rayonnement à l’international malvenu au vu de la situation en Ukraine. Pour autant, l’exclusion pure et simple et désordonnée était-elle la solution ? D’autres alternatives existaient et ont parfois été choisies comme par exemple l’autorisation de participer uniquement sous bannière neutre[7] et méritent d’être étudiées. Mais c’est avant tout un front uni, dans le sport comme ailleurs, que la communauté internationale doit retrouver face à la Russie.

 

 

 

[1] Cette décision toucha aussi les sportifs biélorusses, car le pays dirigé d’une main de fer par Alexandre Loukachenko était accusé de complicité à celui de Vladimir Poutine en servant de base arrière pour les soldats participant à l’invasion

[2] C’est d’ailleurs plutôt l’inverse que l’on a pu voir depuis le début du conflit, avec des sportifs russes comme le cycliste Alexander Vlasov prenant position contre le conflit en Ukraine

[3] Le cas de ce sportif est un peu différent de celui des autres, puisqu’avant même la décision de la FIA (Fédération Internationale d’Automobile), son écurie Haas avait décidé de l’exclure, lui ainsi que son sponsor titre Uralkali pour la saison 2022

[4] Respectivement les circuits masculins et féminins de tennis

[5] Le quatrième Grand Chelem, l’Open d’Australie, s’était achevé avant le début de l’invasion russe.

[6] La fédération internationale de tennis

[7] Ce type de sanction était déjà en vigueur dans certains sports depuis la révélation en 2017 de l’affaire de dopage d’état en Russie.

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Image de Julien Vacherot
Julien Vacherot
Étudiant à HEC Paris en Stratégie fiscale et juridique internationale et responsable géopolitique, j'ai pour but de vous faire partager ma passion et de vous aider dans cette matière et partout où c'est possible