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Gina Pane : l’auto-violence comme geste symbolique

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Le thème au programme cette année de l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes, des situations plurielles, et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation, et notamment la possibilité même de sa représentation. C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres. 

Aujourd’hui, nous nous intéresserons à l’artiste Gina Pane et notamment à sa célèbre performance “Action escalade non anesthésiée” afin de comprendre comme l’automutilation peut constituer un geste symbolique face à notre rapport à la violence.

Qui est Gina Pane ? 

Gina Pane est une artiste française née en 1939 et décédée en 1990. Elle est notamment connue pour ses performances avec une utilisation du corps comme médium, ce qu’on appelle plus précisément le “body art”, où l’artiste, au lieu de créer avec une toile ou de la pierre utilise sa propre chair comme outil, notamment pour trouver un moyen d’expression symbolique plus fort. Gina Pane elle fait, dans la plupart de ses performances, endurer à son corps souffrances, violences et blessures, qu’elle provoque elle- même. 

Selon David Le Breton, sociologue spécialisé dans la sociologie du corps: « Celle qui s’incise dit son mépris face au corps lisse, hygiénique, esthétique, icône commerciale de nos sociétés. Dans un monde hanté par l’image de soi donnée à voir, l’entame corporelle est une manière de briser le miroir pour pouvoir enfin se retrouver. » En effet, ces automutilations sont un acte de révolte qui passe symboliquement par le corps, comme nous allons pouvoir l’étudier avec la performance “action escalade non anesthésiée”. 


Photo du centre Georges Pompidou

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Action escalade non anesthésiée : retrouver le choc de la violence

L’action Escalade non-anesthésiée a été réalisée en avril 1971 dans son propre atelier accompagnée de la photographe Françoise Masson qui documentera également d’autres performances de Gina Pane, permettant d’avoir encore à ce jour des traces de cette performance par définition vouée à n’exister que sur un laps de temps très court. Durant cette performance, Gina Pane gravit une échelle à main nue dont les échelons sont faits de bouts de métal pointus, entraînant inévitablement des blessures : « Après fixation de l’“objet-échelle” en métal, hérissé de pointes tranchantes, sur un pan de mur de mon atelier, déchaussée, mains nues, j’ai escaladé de haut en large toute sa surface ». Tout a été préparé dans cette performance : les mouvements, les photos prises…

 

Cette performance est réalisée durant la guerre du Vietnam et c’est ce à quoi elle souhaite intéresser son public. Elle l’invite à réaliser son indifférence face aux violences de la guerre médiatisées par les médias en lui faisant ressentir la violence qu’elle s’afflige elle-même qui est métaphoriquement éprouvée par le spectateur. Cette oeuvre interroge donc notre habitude face à la barbarie qui nous est désormais habituellement montrée, analgésie qu’elle souhaite dépasser en provoquant la violence sur son corps même dans un espace et temps proche de celui du spectateur, qui lui permet en même temps de retrouver une empathie perdue.

La violence comme geste politique

Les performances de Gina Pane, à travers leur grande violence qu’éprouve activement le spectateur, visent à dépasser l’indifférence habituelle face aux images de violence ou évènements violents désormais perçus comme des spectacles. L’artiste joue de la valeur intouchable que représente l’intégrité corporelle pour questionner le spectateur en le choquant par l’altération de son corps : elle met ainsi en jeu les imaginaires sociaux et provoque la réflexion, par le retour sur soi du spectateur. Comme le dit David Le Breton dans “Body Art : la blessure comme œuvre chez Gina Pane” :

“Elle fait de la blessure un langage en ayant conscience de s’attaquer à un interdit. Elle se donne à un jeu de transgressions qui perturbe les esprits. D’où la force de son œuvre et les émois qu’elle suscite encore. Les traces de ses blessures s’effacent aux lendemains des performances car elles ne sont que de surface, mais l’interrogation poursuit son chemin, elle demeure encore aujourd’hui après sa mort”

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Corentin Viault