Le Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD), en construction depuis 2011 sur le Nil Bleu, représente l’une des plus grandes ambitions de l’Éthiopie : transformer son économie grâce à l’énergie hydroélectrique. Ce projet, toutefois, a intensifié les tensions avec l’Égypte et le Soudan, États situés en aval d’un fleuve vital, le Nil. En parallèle, un protocole d’accord entre l’Éthiopie et le Somaliland, république autoproclamée non reconnue par la Communauté internationale, pourrait offrir à l’Éthiopie un accès maritime stratégique. En réponse, une autre alliance se dessine entre la Somalie, l’Égypte et l’Érythrée, complexifiant les alliances et rivalités dans la Corne de l’Afrique.
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Le Nil comme source de tensions
Les accords de 1929 et de 1959, signés sous l’influence britannique, ont accordé à l’Égypte et au Soudan une majorité des ressources en eau du Nil, excluant l’Éthiopie et les autres pays en amont. Avec la construction du GERD, l’Éthiopie cherche à & et à affirmer son droit de gérer le Nil Bleu à des fins énergétiques. Doté d’une capacité de production de 6 450 mégawatts, le GERD pourrait permettre à l’Éthiopie de devenir un exportateur d’électricité et de stimuler sa croissance économique.
Pour l’Égypte, qui dépend du Nil pour plus de 90 % de son approvisionnement en eau, le GERD représente une menace directe. Le Soudan, bien que solidaire de l’Égypte sur certains points, pourrait bénéficier du barrage, qui stabiliserait le débit du fleuve et fournirait de l’électricité à moindre coût.
Depuis son indépendance en 2011, le Soudan du Sud possède une position stratégique sur le Nil Blanc. Bien qu’il ne soit pas directement concerné par le GERD, il pourrait influer sur les négociations futures. Avec ses propres besoins en irrigation et en énergie, le Soudan du Sud pourrait choisir de développer ses infrastructures hydrauliques, accentuant ainsi la pression sur les ressources régionales.
Accord entre l’Éthiopie et le Somaliland : avantages et défis diplomatiques
Le Somaliland, qui a déclaré son indépendance en 1991, cherche à se légitimer comme État souverain malgré l’absence de reconnaissance internationale. En janvier dernier, la signature du protocole d’accord avec l’Éthiopie a marqué pour lui une chance de renforcer sa position sur la scène internationale. En échange, le Somaliland offrirait à l’Éthiopie un accès à son littoral, réduisant ainsi la dépendance éthiopienne vis-à-vis des ports de Djibouti.
Pour l’Éthiopie, cet accès maritime constitue une opportunité de diversifier ses routes commerciales et d’accroître son indépendance économique. Ce protocole d’accord pourrait consolider la position de l’Éthiopie en tant que puissance régionale et renforcer ses ambitions de devenir un hub de transport en Afrique de l’Est.
En traitant directement avec le Somaliland, l’Éthiopie prend le risque de détériorer ses relations avec la Somalie, qui considère le Somaliland comme une région dissidente. Ce rapprochement pourrait également susciter des inquiétudes dans la Communauté internationale, où traiter avec des entités non reconnues est souvent perçu comme une déstabilisation potentielle. L’Éthiopie se retrouve ainsi dans une position délicate, cherchant à équilibrer ses ambitions régionales et la préservation de ses relations diplomatiques.
Alliance entre la Somalie, l’Égypte et l’Érythrée : un contrepoids stratégique
Face aux ambitions éthiopiennes, la Somalie, l’Égypte et l’Érythrée ont formé une alliance stratégique le 10 octobre. Pour l’Égypte, cet accord ajoute un levier de pression dans ses négociations sur le GERD. De son côté, l’Érythrée voit dans cette alliance une opportunité d’équilibrer la montée en puissance de l’Éthiopie. La Somalie, pour sa part, souhaite protéger son intégrité territoriale face aux aspirations autonomistes du Somaliland.
Cette alliance pourrait avoir un impact négatif sur la stabilité régionale en créant deux blocs opposés : un bloc autour de l’Éthiopie et un autre mené par l’Égypte, intensifiant les tensions et limitant les possibilités de résolution pacifique des conflits, notamment autour des ressources en eau.
Comme le souligne le Middle East Institute, l’apparition de telles coalitions opposées risque de rendre les négociations sur le partage des ressources en eau et les initiatives de développement communs de plus en plus difficiles. Une escalade des tensions pourrait ainsi s’installer, avec des investissements accrus dans des politiques de défense et de surveillance, au détriment de projets de coopération et de développement essentiels pour les populations locales.
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Vision stratégique et ambitions de l’Éthiopie
Le GERD n’est pas seulement un projet énergétique pour l’Éthiopie ; il incarne la volonté du pays de s’affirmer comme une puissance en Afrique de l’Est. En exploitant le potentiel hydroélectrique du Nil Bleu, l’Éthiopie entend devenir un fournisseur majeur d’énergie pour ses voisins, stimulant ainsi sa croissance économique tout en consolidant son influence régionale. Ce projet sert également de levier de négociation dans ses relations internationales, permettant à l’Éthiopie de renforcer son statut et d’affirmer son indépendance face aux pressions de l’Égypte et d’autres acteurs internationaux.
Cette vision stratégique de l’Éthiopie est renforcée par des efforts diplomatiques et des alliances économiques. En juin 2022, l’Éthiopie a accueilli une délégation du Soudan et de l’Égypte pour discuter des modalités de remplissage et de gestion du GERD. Cette rencontre, bien que tendue, a souligné l’engagement de l’Éthiopie à dialoguer avec ses voisins tout en affirmant sa souveraineté sur le Nil Bleu. Cependant, des cycles de négociations infructueux montrent la difficulté d’un compromis durable, car l’Égypte continue d’insister sur un accord contraignant concernant le débit et le remplissage du barrage, position que l’Éthiopie rejette catégoriquement, invoquant son droit souverain à exploiter ses ressources.
Toutefois, les ambitions éthiopiennes se heurtent également à des défis internes majeurs. Le pays fait face à des tensions ethniques exacerbées par les conflits dans la région du Tigré, qui ont déjà fragilisé le gouvernement central et mobilisé des ressources importantes. Ces conflits internes nuisent à l’image de stabilité que l’Éthiopie cherche à projeter sur la scène régionale et affaiblissent son autorité. Selon l’International Crisis Group, les politiques expansionnistes de l’Éthiopie risquent de creuser davantage les divisions ethniques si les populations locales perçoivent le GERD et ses retombées économiques comme un bénéfice réservé à une élite restreinte.
Vers une coopération ou une intensification des conflits ?
À long terme, les États riverains devront trouver un équilibre subtil entre les aspirations de développement de l’Éthiopie et les droits hydriques de l’Égypte et du Soudan. Une résolution coopérative nécessitera un compromis durable, une tâche difficile dans un contexte marqué par des rivalités historiques et une méfiance accrue. L’Egypte sollicite l’arbitrage de la Communauté internationale dans le but d’encourager une gestion partagée des ressources du Nil.
Ce 13 octobre, Khartoum et Le Caire ont d’ailleurs rejeté un accord sur le partage des eaux du Nil signé par d’autres pays du bassin, renforçant les tensions.
Ainsi, l’avenir de la Corne de l’Afrique dépendra de la capacité des acteurs régionaux à dépasser leurs intérêts nationaux pour instaurer une véritable coopération. Le GERD incarne les défis d’un développement moderne confronté aux rivalités pour des ressources précieuses et à l’instabilité politique.
Ainsi, le Grand Barrage de la Renaissance et le protocole d’accord entre l’Éthiopie et le Somaliland illustrent les ambitions éthiopiennes de puissance régionale. Ces projets exacerbent cependant les tensions autour de la gestion des ressources en eau du Nil.
Malgré l’intégration de l’Égypte et de l’Éthiopie aux BRICS+, cette appartenance commune à un même ensemble n’a pas suffi à apaiser les tensions. Les rivalités persistantes montrent que même dans un cadre multilatéral, la méfiance et les intérêts nationaux freinent la coopération. L’avenir de la région dépendra donc de la capacité de ces acteurs à surmonter leurs oppositions pour parvenir à une véritable gestion commune de l’eau du Nil.
Nous remercions l’association GEM ONU, partenaire de Mister Prépa et un de ses rédacteurs Loaï BOUDRY, pour l’écriture de cet article.
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