Dans cet article, je vous propose de réfléchir sur le lien entre les institution et la révolution industrielle. Il est très important de savoir comment le changement des mentalités a permis d’évoluer vers un autre système et de donner naissance à de nouvelles institutions permettant de supporter ce système.
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I/ Les changements institutionnels sont un préalable à la révolution industrielle
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A/ Comment définir les institutions ?
La notion d’institution est une notion complexe parce qu’elle recouvre des réalités multiples. En effet, si elle suggère l’idée d’une régularité des règles et des comportements (qui se trouvent être alors institutionnalisées), elle peut prendre des formes diverses. On définit généralement les institutions comme un ensemble de règles et de valeurs ayant un pouvoir de coercition sur les individus.
Ces règles et valeurs sont parfois informelles (la coutume et la tradition), ou parfois formalisées dans le cadre de la loi. Elles peuvent également prendre la forme d’organisations structurantes pour la société et l’économie.
Selon Thorstein Veblen, initiateur à la fin du 19ème siècle du courant institutionnaliste, les mobiles de l’action humaine ne se réduisent pas à la maximisation du plaisir, comme pouvait le suggérer le courant néo – classique. Pour lui, les instincts humains sont plus complexes, ils sont à l’origine des institutions qui ont d’ailleurs pour fonction de les encadrer. Par exemple, les instincts liés à la parenté sont encadrés par l‘ institution familiale, et les institutions économiques doivent combiner les instincts artisans avec l’ instinct prédateur . Les institutions contribuent ainsi à ce que les hommes fassent société.
B/ L’évolution du cadre juridique est la manifestation d’une évolution institutionnelle
Dans le cadre de la nouvelle école historique, les conséquences économiques des institutions sont déterminantes. Ainsi, pour Douglas North l’institution est d’abord une règle non marchande qui assure la coordination des comportements économiques permettant ainsi le fonctionnement du marché. Elle relève du cadre juridique de la société. La révolution industrielle apparaît alors, comme la conséquence de la reconnaissance progressive des droits de propriétés, évolution qui commence au moyen – âge.
A la suite de Ronald Coase , il considère que la mise en place d’une organisation est toujours la conséquence de l’existence des coûts de transaction qui sont les coûts engendrés par la coordination au sein du système économique ( recherche de l’information , négociation, mise en œuvre des contrats , et surveillance…). Il est dès lors possible de considérer que la réussite industrielle s’explique par la mise en place d’institutions adaptées pour réduire les coûts de transaction et l’incertitude qui les accompagne.
La précocité dans la reconnaissance des droits de propriété expliquerait l’avance économique de la Grande Bretagne, et la réussite de ses colonies comme les USA. Le droit de propriété incite à l’innovation parce qu’il protège l’inventeur, il incite aussi à entretenir et à chercher une valorisation des biens par exemple la terre.
C/ Les changements de mentalités
Mais la révolution industrielle a également supposée des changements préalables de mentalités, susceptibles d’institutionnaliser de nouveaux comportements, en particulier dans les pays précoces où c’est l’initiative privée qui a été à l’origine du changement. Il faut comme l’a souligné Max Weber s’interroger sur les motivations de ces hommes qui étaient en rupture avec la société dans laquelle ils évoluaient.
Par exemple, pourquoi l’épargne est elle pour eux une vertu ? Alors que la noblesse européenne quant à elle, méprisait l’argent avec ostentation. Selon Georges Duby, dans Hommes et Structures du Moyen Age (1973), « Etre Noble, c’est gaspiller, c’est une obligation de paraître, c’est être condamné sous peine de déchéance, au luxe et à la dépense ». Comment le travail longtemps réservé à ceux qui n’avait pas de rang à tenir devient – il le moyen de célébrer la gloire de Dieu.
Il établit le lien entre l’esprit du capitalisme et l’éthique protestante. Dans un monde désenchanté, elle incite à rationaliser l’existence des hommes désormais entièrement tournée vers le salut. Seuls le travail et l’ascèse contribuent à la gloire de Dieu. Les valeurs véhiculées par le puritanisme fournissent la force de caractère nécessaire à l’entrepreneur pour agir avec sang froid et inspirer la confiance.
II/ La révolution industrielle est un mouvement de destruction créatrice des institutions
A/La révolution industrielle conduit à une déréglementation
Dans les pays précoces , la révolution industrielle est aussi un processus de déréglementation comme le montre l’ abolition des lois sur les pauvres en Grande Bretagne en 1834, ou la loi Le Chapelier et le décret d’ Allarde en France en 1791. L’ensemble de ces lois correspondent à la mise en place d’un marché du travail libre débarrassé des obligations associées aux statuts de l’ancien régime.
Selon Karl Polanyi, la grande transformation (1944), on assiste donc à un processus de désencastrement de l’économie du social. Il y une destruction de l’ordre ancien qui repose selon la fiction du marché autorégulateur. Par ailleurs, comme le précise Fernand Braudel, le capitalisme est avant tout un contre marché, condition indispensable à la réalisation d’un profit, c’est avant tout un moyen de se libérer des contraintes de transparence des marchés, à l’origine contrôlés par l’Etat et encadrés par la justice. Aboutir à l’extension de la sphère marchande dont l’expansion du capitalisme a besoin ne fût donc pas un processus spontané.
B/ La nature et les modalités du changement institutionnel varie avec les pays à industrialisation tardive
Leur expérience intéresse ici à double titre. Tout d’abord, elle confirme que l’absence d’évolution des institutions est source de blocage de la croissance et du développement. Le maintien de société tardivement organisée selon des principes féodaux comme au Japon ou en Russie, interdit la pénétration d’idées nouvelles et l’apparition dans la société de groupes nouveaux qui progressivement viendront contester l’ordre ancien. On retrouve d’ailleurs par certains aspects, les conclusions d’ Alexis de Tocqueville à propos de la révolution française qu’il considérait comme la conséquence du décalage croissant entre une société en mouvement et des structures politiques immobiles. Ensuite , l’expérience des pays tardifs permet aussi de comprendre ce qui a été remarqué par Alexandre Gerschenkron, en l’occurrence que les institutions politiques ou financières permettent de palier le manque d’initiatives privées.
C/ Comment naissent les institutions ?
En effet, s’interroger sur le lien entre les institutions et la révolution industrielle c’est s’interroger finalement sur le changement institutionnel en tant que processus permanent. Il n’ y a donc aucune raison pour que toutes les institutions évoluent au même rythme. Pourquoi le changement institutionnel serait – il toujours la bonne réponse aux problèmes économiques ? Face à cette question, il y a deux attitudes possibles. La première opère un retour à la conception « smithienne » du marché comme la développent les auteurs autrichiens comme Frédéric von Hayek.
L’ordre social n’est pas le résultat d’un plan préétabli, mais d’un processus de sélection qui s’opère par le marché dont la fonction première est de faire face à l’incertitude. Cette sélection concerne en particulier les institutions qui naissent et subsistent en fonction de leur contribution au progrès. La seconde approche se construit à partir des échecs du marché dans la coordination des décisions individuelles. Les périodes de forte croissance sont issues d’une cohérence institutionnelle qui permet la régulation d’ensemble du système économique, en particulier la possibilité de surmonter les crises. On reconnaîtra ici, les enseignements de la théorie dite de la régulation défendue par des auteurs comme Michel Aglietta ou Robert Boyer.
L’idée la plus importante ici est celle du décalage qui ne peut manquer de se créer entre les institutions et la réalité économique, en d’autres termes, ce qui à un moment donné permet la croissance, devient un peu plus tard la cause de la crise. Ainsi, la régulation concurrentielle du 19ème siècle entre-t-elle progressivement en conflit avec les structures de l’ économie. La croissance est alors instable en raison d’un partage de la valeur ajoutée qui ne permet pas d’associer la consommation de masse à la production de masse. Le compromis fordiste sera la solution…jusqu’aux années soixante – dix où il deviendra lui – même source de crise.