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Jean Tirole prend la parole sur la crise démocratique de l’Etat français

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Jean Tirole crise démocratique

Dans une tribune du 04 juillet 2023 publiée sur le site Les Echos, le Prix Nobel d’économie 2014, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Jean Tirole, a pris la parole sur la crise démocratique de l’Etat français.

Le prisme démocratique évolue selon Jean Tirole

Jean Tirole commence sa tribune par s’interroger sur la manière dont les historiens étudieront à l’avenir le début du XXIe siècle. Pour lui, il y’a un risque que cette période soit regardée comme une époque marquée par un changement de stratégie adoptée par les apprentis autocrates. En effet, contrairement aux mouvements fascistes ou marxistes du passé, de plus en plus d’autocrates parviennent au pouvoir et s’y maintiennent par le biais des élections.

Le Prix Nobel d’économie 2014 poursuit en indiquant que leur stratégie suit généralement le même schéma. Tout d’abord, ils cherchent à discréditer les experts en remettant en question les faits gênants et en promouvant des « vérités alternatives ». Ensuite, ils se présentent comme les seuls représentants du « peuple » et désignent des boucs émissaires, qu’ils trouvent aussi bien à l’étranger qu’à l’intérieur de leur propre pays. Une fois au pouvoir, ils monopolisent souvent les médias et cherchent à affaiblir les contre-pouvoirs, notamment les cours suprêmes.

Dans certains cas, les autocrates ont fait preuve de patience et d’intelligence pour consolider leur pouvoir. L’auteur s’appuie sur les exemples de Poutine et d’Erdogan, qui selon lui ont réalisé des réformes en début de mandat tout en adoptant un profil bas, avant de révéler leur véritable visage.

A travers ce nouveau prisme, l’économiste souligne qu’il est important de ne pas sous-estimer la possibilité que de telles tendances autocratiques puissent également se manifester en France, malgré notre arrogance nationale et notre croyance en notre exception française. La polarisation de l’électorat, le refus du dialogue et la tentation autocratique sont présents dans notre pays.

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L’Etat français fait face à une défiance extrême du peuple

Jean Tirole poursuit sa tribune en expliquant que la crise que traverse l’État français ne provient pas d’une perte d’influence au profit de l’Europe, des régions ou des marchés. Bien sûr, le champ d’action de l’État s’est légèrement réduit, mais la France et l’Europe conservent leur capacité à réguler le cadre économique et social dans lequel notre pays évolue.

Cependant, la défiance envers l’État est extrême. Après la crise des gilets jaunes, les Français se méfient de beaucoup de propositions, notamment le chèque énergie financé par la taxe carbone, qui pourtant pourrait contribuer efficacement à la lutte contre le changement climatique et les inégalités, affirme Jean Tirole. De surcroît, le débat sur la réforme des retraites n’a pas réellement eu lieu. Ainsi, la France souffre d’une crise démocratique fragilisée par des jeux politiques basés sur des postures et un refus d’aborder les questions dans leur complexité.

« Aucun débat apaisé sur des questions majeures comme le nucléaire, les OGM, les vaccins ne peut avoir lieu sur la base d’un consensus construit autour des meilleures connaissances scientifiques plutôt que des prises de position caricaturales. Cela augure mal des grands chantiers à venir : climat, intelligence artificielle, inégalités… »

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Deux exemples du dualisme de l’État français

En réalité pour Jean Tirole, l’État français se montre timoré et se décharge souvent de ses responsabilités. Souvent de bonne volonté, il propose néanmoins de fausses bonnes idées. L’auteur va nous fournir deux exemples.

Tout d’abord, les contrats publics en France doivent tenir compte de leur impact environnemental, ce qui est souhaitable. Cependant, les collectivités territoriales ne disposent pas des moyens de vérifier les déclarations des entreprises à ce sujet, et elles ne reçoivent aucune orientation sur la manière de prendre en compte cet impact. Par exemple, « en comparant les pollutions de deux concurrents (à supposer que l’on puisse vérifier leur véracité), quel prix de la tonne de carbone doit-on appliquer pour handicaper la plus polluante : un euro, cent euros (ordre de grandeur du prix actuel sur le Système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne), mille euros ? »

Un deuxième exemple concerne la pression exercée pour élargir les missions de la Banque centrale européenne et de l’Autorité européenne de la concurrence. Ces deux institutions ont montré plus d’efficacité que de nombreuses autres émanations de l’État dans l’exercice de leurs fonctions de service public, grâce notamment à leur indépendance vis-à-vis du politique. Cependant, « leur mission précise associée à l’indépendance vis-à-vis du politique fut à l’origine de leur réussite. Demain, des agences gouvernementales et multilatérales et des juges à la mission diffuse seront tous « en cuisine » pour accomplir le bien commun, sans la compétence ni la coordination nécessaires à sa réalisation, au risque de perdre leur indépendance. Peu de chances que le bien commun voit le jour dans ces conditions. Trop de cuisiniers gâtent la sauce ! »

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Pour conclure, Jean Tirole nous éclaire sur la situation actuelle de l’État français, marquée par une méfiance croissante envers les institutions, une polarisation de l’électorat et un refus du dialogue constructif.

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Damien Copitet
Je suis étudiant à SKEMA BS après deux années de classe préparatoire au lycée Gaston Berger (Lille). Nous nous retrouvons toutes les semaines pour l'actualité en bref