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Kant, Vers la paix perpétuelle

Sommaire
Kant, vers la paix perpétuelle

Cet article s’intéresse à l’ouvrage de Kant sur la paix perpétuelle. Le philosophe décrit ici les articles devant conduire à une paix perpétuelle, mais également les raisons qui doivent y conduire nécessairement. De la Révolution Française à aujourd’hui, les guerres semblent n’avoir pratiquement jamais quitté le paysage géopolitique.

 

1ère Section : articles préliminaires

Dans cette section introductive, Kant énonce les articles préliminaires en vue de la paix perpétuelle. Ils sont les fondements des articles définitifs à venir. Il s’agit plus précisément des six conditions négatives de la paix qui coïncident avec les divers moyens de renoncer progressivement à la guerre.

 

Article 1. « Aucun traité de paix ne doit valoir comme tel s’il a été conclu en réservant secrètement la matière d’une guerre future. »

Ce premier article est clair. Dans le cas contraire à l’énoncé, il n’y aurait pas de paix à proprement parler, c’est-à-dire une fin de toutes hostilités, mais un simple armistice seulement, un strict ajournement temporaire des hostilités. Or, la paix comme l’entend Kant est par essence perpétuelle. Le titre de son œuvre est donc un pléonasme en ce que la paix visée par Kant n’existe que dans la perpétuité. 

 

Article 2. « Nul État indépendant ne pourra être acquis par un autre État, que ce soit par héritage, achat, échange ou donation. »

Un Etat n’est pas un avoir, mais une personne morale. “Il est une société d’hommes à laquelle personne d’autre que lui-même ne peut commander et dont personne d’autre qui lui ne peut disposer.” Ainsi, cette société d’hommes, personne sauf lui ne peut en disposer. L’État n’est pas une chose et ne peut donc se posséder, contrairement au sol sur lequel son territoire est établi. Il ne faut donc pas abolir l’existence de l’État comme personne morale, le réduire à une simple chose, car se faisant on contredirait l’idée du contrat originel selon laquelle on ne saurait concevoir de droit sur un peuple. Cette idée prône un principe de souveraineté parfois controversé dans l’Union Européenne.

Article 3. « Les armées permanentes devront disparaître entièrement avec le temps. »

En effet, les armées permanentes constituent une menace constante de guerre envers les autres États. Elles sont toujours actives et excitent ainsi les États à se surpasser par les armes. Ainsi, elles rendent la paix aussi pesante qu’une courte guerre et deviennent elles-mêmes la cause de guerres offensives faites pour se débarrasser de cette charge.

Il en est de même pour l’entassement d’un trésor considéré par les autres Etats comme une menace de guerre car il les contraindrait à des attaques préventives. Pour Kant, parmi les 3 puissances: des armées, des alliances, de l’argent, c’est la dernière qui semble être l’instrument de guerre le plus sûr.

Enfin, les dépenses d’entretien que les armées occasionnent rendent la paix encore plus chère et coûteuse qu’une guerre de courte durée, de sorte que ces armées sont alors par leur existence même la cause de guerre entreprises pour se libérer de cette charge.

 

Article 4. « On ne contractera aucune dette publique en vue des querelles entre États. »

Le système de crédits constitue, aux yeux de Kant, une véritable machine à dresser les puissances les unes contre les autres, puisqu’un tel système se fonde sur des dettes qui s’accroissent indéfiniment. Cela s’explique par la raison énoncée à l’article précédent : “un système de crédit et de dettes croissant à perte de vue mais toujours à l’abri d’un remboursement immédiat constitue une dangereuse puissance d’argent, à savoir un trésor de guerre qui dépasse les trésors de tous les autres Etats pris ensemble.”

Un article préliminaire à la paix perpétuelle devait donc d’autant plus l’interdire que la banqueroute d’un État entraîne de manière imméritée un préjudice pour maints États. On remarquera que cet article n’a pas du tout été respecté lors de la Première Guerre Mondiale en particulier, l’Allemagne et la France s’étant endettés comme jamais auparavant.

 

Article 5. « Aucun État ne s’immiscera de force dans la constitution et le gouvernement d’un autre État. »

Ici, Kant ne défend pas seulement la souveraineté des États, il rappelle surtout que le fait ne constitue pas le droit et que la situation historique d’un État particulier n’autorise en aucun cas une intervention extérieure. Intervenir dans leur constitution et leur gouvernement rendrait incertaine l’autonomie de tous les États. Il faut garder à l’esprit que Kant écrit ses lignes quelques temps seulement après la Révolution Française. Par ailleurs, l’auteur est fermement opposé au droit de révolution (Cf. Théorie et Pratique).

En revanche, dans le cas où un Etat se séparerait en deux États, qu’un Etat extérieur prête assistance à l’un des deux ne doit pas être considéré comme une ingérence dans la constitution de l’autre l’Etat. Tant que le conflit intérieur n’est pas incontestable, l’ingérence de puissances extérieures serait une atteinte aux droits d’un peuple se débattant seulement avec son mal interne. Cela constituerait un scandale et mettrait en péril l’autonomie de tous les Etats.

 

Article 6. « Dans la guerre avec un autre, aucun État ne se permettra des hostilités qui auraient pour effet de rendre impossible la confiance réciproque dans la paix future »

L’article finit par donner quelques exemples : « enrôler des tueurs à gages, des empoisonneurs, remettre en cause une capitulation, inciter à la trahison dans l’État avec lequel on est en guerre, etc. »

Il s’agit ici d’une brève incursion de Kant dans le droit de la guerre (les conditions qui rendent une guerre juridiquement acceptable). C’est le principe démocratique de publicité qui joue alors : les belligérants doivent, autant que faire se peut, agir dans la transparence. Il faut en effet que subsiste en pleine guerre un minimum de confiance dans les dispositions de l’ennemi, ce sans quoi aucune paix par la suite ne pourrait être conclue et les hostilités dégénèreraient alors sans fin en guerre d’extermination.

Une telle question de la moralité d’une guerre se retrouve également chez Thomas d’Aquin (Somme théologique) : sous certaines conditions, il existe des guerres justes, du moins acceptables.

 

Caractéristiques de ces articles

Notons simplement que les articles 1, 5 et 6 sont des lois absolument prohibitives qui interdisent aux États de signer un traité de paix dans l’intention de mener une guerre future, de s’immiscer de force dans la constitution d’autres peuples et de mener une guerre indigne qui ruinerait tout espoir de retour à la paix. De leur côté, les articles 2, 3 et 4 sont des lois prohibitives larges dont l’application peut être retardée. Ainsi, un État ne peut en acquérir un autre, car il ne se confond pas avec une chose, ni favoriser l’existence d’armées permanentes, ni s’endetter de manière à se rendre dépendant des autres.

Voir plus : La technique en philosophie : les principales thèses

 

Deuxième Section : articles définitifs

Les articles relatifs à cette deuxième section sont ceux définitifs en vue de la paix perpétuelle entre les Etats. Kant établit un principe fondamental qui doit rendre juridiquement nécessaire l’institution de la paix : toutes les relations interhumaines doivent être régies par des rapports juridiques. Il énonce alors dans cette partie les trois conditions positives qui définissent la paix comme nouvel état du monde. En effet, l’état de paix parmi les hommes vivant en société n’est pas un état de nature. Au contraire, ce dernier est plutôt un état de guerre, car même si les hostilités n’éclatent pas, elles constituent un danger permanent. Dès lors, L’état de paix doit être institué.

 

Article 1. « Dans tout État, la constitution civile doit être républicaine. 

Seul un État républicain, étant fondé sur le libre consentement des sujets, prémunit de la guerre. Une seule constitution est instituée d’après les principes de liberté des membres d’une société (en tant qu’humains), d’après les principes de dépendance de tous envers une unique législation commune, et d’après la loi de leur égalité (en tant que citoyen) : la constitution républicaine. 

Ainsi, la constitution républicaine offre la perspective de la paix perpétuelle, puisque l’“on exige l’assentiment des citoyens pour décider si une guerre doit avoir lieu ou non”. Ils réfléchiront beaucoup avant de s’engager dans une guerre car ils seront les premiers à en subir les effets.

La constitution républicaine est la seule qui puisse mener à la paix perpétuelle car elle implique que l’accord des citoyens soit requis pour décider s’il faut faire la guerre ou non. 

Par contre, dans une constitution où le sujet n’est pas citoyen (constitution non républicaine), la guerre est “la chose la plus aisée du monde, parce que le chef n’est pas un associé dans l’Etat, mais le propriétaire de l’Etat, que la guerre n’inflige pas la moindre perte”, ce dernier peut donc décider de la guerre pour des raisons insignifiantes (et personnelles).

 

République et démocratie, deux concepts bien différents

Kant pointe également une idée importante : il ne faut pas confondre la constitution républicaine avec la constitution démocratique (contrairement à un bon nombre de politicien aujourd’hui). Tout d’abord, on peut diviser les formes d’un Etat soit selon la différence des personnes qui détiennent le pouvoir, soit selon la manière dont le chef/peuple gouverne. La première, c’est “la forme de souveraineté”, il y en a 3 : l’autocratie (un seul détient le pouvoir), l’aristocratie (un petit nombre détient le pouvoir) et la démocratie (tout le monde détient le pouvoir).

La deuxième, c’est “la forme de gouvernement” et concerne la manière fondée sur la constitution dont l’Etat fait usage de sa pleine puissance. Elle peut être républicaine (principe de la séparation des pouvoirs) ou despotique (principe  selon lequel l’Etat met à exécution de son propre chef les lois qu’il a lui-même faites). 

 

La démocratie, un despotisme par essence

Des 3 formes de l’Etat, celle de la démocratie est, au sens propre du mot, nécessairement un despotisme parce qu’elle fonde un pouvoir exécutif où tous décident au sujet d’un seul.” La forme démocratique rend impossible de gouverner conformément à l’esprit d’un système représentatif puisque tous veulent y être le maître. Ainsi pour Kant, plus le personnel du pouvoir de l’Etat est petit et plus grande sa représentation, plus l’État s’accorde avec la possibilité du républicanisme.

Il est difficile pour une aristocratie ou une monarchie de parvenir à cette constitution parfaite de droit, mais c’est impossible pour une démocratie autrement que par une révolution violente.

Toutefois, c’est bien la forme du gouvernement, plus que la forme de souveraineté qui importe au peuple. C’est de la manière de gouverner, si elle est conforme au concept de droit, que relève le système représentatif qui rend seul possible une manière de gouverner républicaine. Pour finir, Kant observe qu’aucune des anciennes républiques n’a connu cela et elles durent car elles se sont résolus en un despotisme.

 

Article 2. « Le droit des gens doit être fondé sur une fédération d’États libres. »

Seule une alliance des peuples constituées d’États relativement indépendants rend probable la paix perpétuelle. Kant s’avère être par cet article un des penseurs fondateurs de l’idée d’Europe Unie, avec l’Abbé Castel de Saint-Pierre dont était paru en 1713 le Projet de paix perpétuelle ayant servi de base à l’œuvre de Kant.

On peut considérer les peuples en tant qu’Etats comme des particuliers qui, dans leur état de nature, se lèsent déjà par la seule coexistence et chacun peut et doit exiger de l’autre pour sa sécurité qu’il entre dans une constitution semblable à la constitution civique qui assure à chacun son droit. De fait, cela serait une alliance des peuples mais pas pour autant un État des peuples. En effet, la souveraineté des Etats prime et ne peut s’assujettir lors de cette union.

En résumé, l’État des peuples (mondial et unifié) demeure un idéal pour la raison mais s’avère irréalisable dans les conditions de l’expérience. Il s’agirait alors d’une fédération de peuples qui n’aurait pas pour autant à être un État fédératif.

 

De la nécessité et des moyens d’instituer la paix

Par ailleurs, l’obligation de sortir de cet état de guerre vaut pour les hommes dans l’état sans loi (droit naturel) mais ne peut valoir pour les États d’après le droit des gens (ils possèdent déjà une constitution légale). Pourtant, comme la raison (pouvoir législatif) condamne la guerre et fait de l’état de paix un devoir immédiat, et comme cet état ne peut être institué sans un contrat mutuel des peuples, il faut une alliance d’une espèce particulière (alliance de paix) que l’on distinguera d’un “contrat de paix” (qui ne cherche qu’à terminer une guerre tandis que l’alliance de paix cherche à terminer toutes les guerres). 

“Cette alliance ne vise pas à acquérir une quelconque puissance politique, mais seulement à conserver et à assurer la liberté d’un Etat pour lui-même” et en même temps pour les autres, sans qu’il y ait pour autant soumission à des lois publiques et à leur contrainte.

Pour que cette idée de fédération s’étende à tous les Etats et mène ainsi à la paix perpétuelle, il serait utile qu’un peuple puissant et éclairé parvienne à la constitution républicaine. Alors celle-ci servirait de centre pour la confédération et elle assurerait un état de liberté entre les Etats.

 

Article 3. « Le droit cosmopolitique doit être limité aux conditions d’une hospitalité universelle. »

Puisque la pluralité des États est irréductible, il faut énoncer un droit des étrangers à entrer sur le sol des États nationaux et à établir des rapports juridiques avec d’autres citoyens du monde. Il n’est pas question de philanthropie, mais de droit : l’hospitalité signifie alors le droit d’un étranger de ne pas être traité d’une façon hostile par celui dont il foule le sol.

Celui-ci peut le refouler lorsque c’est possible sans provoquer sa perte, mais aussi longtemps qu’il se conduit pacifiquement à l’endroit qu’il occupe, il ne peut pas le traiter en ennemi. L’étranger ne peut donc pas prétendre à un droit de résidence mais à un droit de visite.

 

L’origine du droit cosmopolitique

Ce droit est celui de proposer, en vertu de la commune possession de la surface de la terre, et dont personne à l’origine n’a plus qu’un autre le droit d’occuper tel endroit, le droit de jouir de la surface qui appartient en commun au genre humain.” L’inhospitalité est donc contraire au droit naturel; “mais ce droit d’hospitalité s’arrête à la recherche des conditions de possibilité d’un commerce avec les anciens habitants.

L’idée du droit cosmopolitique est un complément nécessaire du code non écrit, aussi bien du droit civique que du droit des gens et ainsi  de la paix perpétuelle.

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Gabin Bernard