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La concentration, un phénomène à craindre ? (1/2)

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Le sujet de l’année dernière de la dissertation d’ESH de l’ESCP était : Faut-il craindre le retour de la concentration industrielle ? Ici je ne vais pas corriger explicitement le sujet mais plutôt vous apporter des pistes de réflexion, des auteurs, des exemples sur ce sujet en m’inspirant du chapitre 4 de l’économie mondiale 2021.

Selon Axelle Arquié et Julia Bertin dans le chapitre 4 de l’économie mondiale 2021 du CEPII, « Les dessous de la concentration », l’économie mondiale est caractérisée depuis les vingt dernières années par un mouvement de concentration, à tel point que les capitalisations boursières d’Apple ou Facebook dépassent le PIB des Pays-Bas. De plus comme nous vous l’expliquions dans le Mag de décembre, la crise sanitaire peut avoir tendance à accentuer ce phénomène car les entreprises modestes pourraient faire faillite et in fine être racheté par les plus grosses entreprises du secteur. Pour autant comme le sujet de l’ESCP le présupposait, ce phénomène n’est pas nouveau, puisqu’à l’apparition des cartels dans les années 1860-1880, K.Marx affirmait que la concentration possède un caractère inéluctable: après une phase de concurrence acharnée a toujours lieu un regroupement des structures existantes et une « centralisation » du capital entre les mains des gagnants. Cet avènement de la concentration à cette période est également marqué par le Sherman Act en 1890 puis le Clayton Act en 1914 qui visait à empêcher toute concentration qui réduirait la concurrence. Pour T.Philipon (The Great Reversal, 2019)  ce mouvement de concentration serait de retour puisque dans son dernier livre il s’inquiète des évolutions récentes de la concentration aux Etats-Unis puisque le cadre législatif est de moins en moins protecteur. 

La concentration fait son retour depuis quelques dizaines d’années d’une manière hétérogène puisque ce phénomène n’a pas la même ampleur sur les différents marchés ni le même impact au niveau local et national.
Ce phénomène semble beaucoup plus développé aux États-Unis qu’en Europe car entre 2001 et 2012, les huit plus grandes entreprises américaines ont vu leur part dans les ventes augmenter en moyenne de 8 points de pourcentage contre 4 points pour les huit plus grandes entreprises européennes. De même l’évolution est différente au niveau des secteurs, aux États-Unis ce sont le commerce de détail et la finance alors qu’en Europe ce sont les services non financiers qui ont vu leurs parts de marchés augmentées. Distinguons maintenant la concentration locale et nationale, il est évident qu’un repas au pied de la tour Eiffel ou un repas au beau milieu de la Creuse ne sont pas en concurrence cependant le prix de l’électricité lui l’est au niveau national. Or selon une étude de Rossi-Hansberg, la concentration au niveau local a un peu baissé aux États-Unis. Ainsi les entreprises grossissent et s’exportent au niveau national donc faut augmenter la concentration cependant cela laisse des branches pour de nouvelles entreprises au niveau locale. Concrètement cela signifie que la concentration locale peut diminuer tandis que la concentration nationale augmente.

Le fondement de l’aspect négatif de la concentration résulte de la conception vertueuse de la concurrence, car la concentration réduit forcément la concurrence or il existe une deuxième thèse, celle d’une concentration positive car elle résulte seulement du jeu de la concurrence, les meilleures entreprises l’ont emportées. La thèse de la concentration vertueuse provient de l’école de Chicago (Baumol, Posner, Stigler). D’une part la concurrence ne tue pas la concurrence à long terme car le monopole n’est qu’une situation transitoire et d’autre part car la concentration industrielle qui limite l’atomicité n’est pas inquiétante dans la mesure où la concentration peut être le résultat de l’efficience. L’étude d’Autor confirme cette thèse. En se focalisant sur le secteur manufacturier, nous pouvons voir que dans les secteurs où la concentration a augmenté, la productivité a été plus élevée. Ainsi la concentration ne serait que le reflet de la plus grande productivité des entreprises et donc ce ne serait qu’un mécanisme de croissance bénéfique. Cependant un problème demeure, la création de valeur de la part de ces grandes entreprises au niveau de l’ensemble de l’économie est en diminution (-40% depuis les années 2000). Ainsi les gains de productivité ne se diffuse plus ce qui n’est pas positif pour l’économie. De plus il est légitime de se demander pourquoi nous observons aujourd’hui ce phénomène et pas auparavant ? La réponse résiderait dans les actifs immatériels. 

C’est l’explication que donnent Axelle Arquié et Julia Bertin, pour eux l’arrivée des technologies de l’information a provoqué un basculement vers un nouveau type de capitalisme, un capitalisme dans lequel la richesse provient d’actifs immatérielles comme des algorithmes, un réseau d’utilisateurs … En effet les actifs immatériels par leur nature spécifique, créent des barrières à l’entrée, ils nécessitent un investissement initial important mais une fois développé, « the winner takes all » à travers l’effet de « lock in » et on se rapproche d’un coût marginal zéro. Selon Crouzet et Eberly, il existe vraisemblablement un lien entre actifs immatériels et concentration car la structure de coûts des actifs immatériels érige une barrière naturelle à l’entrée. Donc seules les entreprises ayant une capacité de financement important peuvent se permettre d’entrer sur ce type de marché. La concentration semble donc découler naturelle de la structure de coûts des actifs immatériels.

Pour aller plus loin:

Il existe énormément de bonnes copies sur ce sujet, n’hésitez pas à vous en inspirer pour compléter votre réflexion.

J.Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie (1942), 

A.Marshall, Principes d’économie, 1890

P. Krugman, Geography and trade, 1991

M.Aglietta, Un new deal pour l’Europe, 2013

J.Robinson, Imperfect Competition

J.Tirole, Economie du bien commun

Lorenzi, Politique industrielle pour l’Europe ?

« Pourquoi de si hauts salaires dans la finance? » La Lettre du CEPII, juin 2017, Ariell Reshef

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Damien Copitet
Je suis étudiant à SKEMA BS après deux années de classe préparatoire au lycée Gaston Berger (Lille). Nous nous retrouvons toutes les semaines pour l'actualité en bref