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L’Allemagne face à la crise énergétique

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Longtemps leader européen en matière de rigueur économique, l’Allemagne a pourtant aujourd’hui dû rompre avec la doctrine Schwarzer Null face à la hausse des prix de l’énergie.

 

À quel problème l’Allemagne fait-elle face ?

En raison de l’invasion russe en Ukraine depuis le 24 février 2022, les Européens se sont mobilisés contre Vladimir Poutine et ont pris toute une série de sanctions afin d’affaiblir économiquement la Russie. En réponse à cela, le Président russe a décidé de réduire les livraisons de gaz vers l’Europe, mettant en alerte les gouvernements avec l’hiver qui approche, et plus particulièrement l’Allemagne, plus gros client européen de la Russie. En effet, les livraisons via Nord Stream 1 ont diminué de 20%. Si l’on ajoute à cela la mise à l’arrêt de Nord Stream 2 par le chancelier Scholz quelques jours avant le début de la guerre, on peut craindre que l’Allemagne manque de gaz cet hiver.

 

Pourquoi l’Allemagne est-elle si dépendante sur le plan énergétique ? 

Cette dépendance peut s’expliquer d’un point de vue historique. En effet, au milieu des années 1960, l’URSS (die UdSSR) décide d’exploiter ses énormes gisements gaziers. Le but étant de trouver de nouvelles sources de revenus dans le cadre de la course à l’armement (das Wettrüsten). Il s’avère que la RFA (die BRD) produit les équipements (tuyaux) dont l’URSS a besoin pour exploiter. Toutefois, les États-Unis voient cela d’un mauvais œil et imposent donc un embargo à la RFA sur ses exportations de tuyaux. Cet embargo est levé au bout de quelques années et s’en suit alors un accord (« Tuyaux contre gaz » (« Rohre gegen Gas »)) entre la RFA et l’URSS en 1970. Ainsi, à la fin de la Guerre froide, les importations de brut sibérien représentent la moitié des importations gazières de la RFA. Ces bonnes relations permettent non seulement à l’Allemagne d’obtenir du gaz bon marché mais aussi de jouir d’une importante compétitivité industrielle. Néanmoins, cela l’oblige (et notamment sous Angela Merkel) à conserver de bonnes relations avec la Russie en dépit de l’annexion de la Crimée en 2014.

 

Quelles sont les conséquences de cette dépendance ?

Cette dépendance a des conséquences sur différents plans :

Sur le plan économique, la diminution des livraisons cause une hausse des prix de l’électricité et du gaz jamais enregistrée en Allemagne (500€ par mégawattheure soit une hausse de 500% sur un an) et donc une inflation record (8,5% sur un an en juillet 2022). Les ménages sont alors moins enclins à consommer et la menace d’une récession plane (croissance nulle au second trimestre de 2022)  

Sur le plan politique, l’État joue un double rôle :

D’une part il exerce son rôle de réparateur de dégâts avec la mise en place de nombreuses mesures sociales pour venir en aide aux ménages les plus défavorisés : l’activation le 23 juin 2022 de la phase 2 du plan d’urgence (prévue lorsque le gouvernement estime qu’il existe un risque élevé de pénurie de gaz à long terme) au terme de laquelle Berlin a injecté 15 milliards d’euros d’aide. S’ajoute à cela une aide de 10 milliards d’euros pour faire face à l’inflation ou encore une augmentation des allocations familiales.

D’autre part, le gouvernement allemand a mis en place d’importantes mesures pour rationner le gaz et l’électricité, assez contraignantes pour les particuliers et les entreprises : la limitation de la température à 19 degrés dans les bâtiments publics, l’arrêt de l’éclairage nocturne des monuments et panneaux publicitaires ou encore l’annonce le 16 août d’une taxe de 2,49 centimes par kilowattheure de gaz consommé à partir du 1eroctobre afin d’éviter la faillite des importateurs de gaz (comme Uniper qui s’est déclaré au bord de la faillite le 18 juillet en raison de la diminution des livraisons de gaz russe)

Ces mesures ont déjà prouvé une certaine efficacité puisque la consommation a baissé de 22,6% par rapport à juillet 2021 mais elles font cependant craindre des mouvements sociaux massifs à l’approche de la rentrée scolaire.

 

De quelles solutions l’Allemagne dispose pour faire face à cette crise énergétique ?

Face à l’incertitude des approvisionnements en gaz russe, l’Allemagne se doit de diversifier ses approvisionnements énergétiques. S’offrent au pays différentes possibilités, qui connaissent toutefois des limites :

le gaz naturel liquéfié (das Flüssiggas), cher mais qui est la solution la plus plausible : le chancelier Scholz est parti à la recherche de fournisseurs le 14 août en effectuant une tournée en Norvège puis au Canada. De plus, deux terminaux doivent être construits d’ici la fin d’année, soit en un temps record. Néanmoins, cela ne compenserait qu’un quart des livraisons de gaz russe

l’hydrogène vert (der grüne Wasserstoff) qui est la solution la plus écologique mais qui n’est pas encore opérationnel

l’exploitation des gisements de gaz de schiste (das Schiefergas) en Allemagne, solution la plus polluante

des solutions uniquement temporaires : la mise à l’arrêt des centrales électriques (das Stromkraftwerk) et l’utilisation des centrales à charbon (das Kohlekraftwerk) ainsi que le maintien des 3 dernières centrales nucléaires (das Atomkraftwerk) du pays (Neckarwestheim, Lingen (Isar) et Niederaichbach (Emsland)) qui représentent 6% de la production énergétique du pays.

Cette dernière solution est au cœur des débats politiques actuels et représente un réel tabou. En effet, l’Allemagne, qui avait prévu sa sortie du nucléaire d’ici fin 2022, est contrainte de la retarder. De plus, cela rentre en contradiction avec la décision de Berlin de s’opposer à la labellisation du nucléaire comme énergie verte à l’échelle européenne. Enfin, elle fait débat au sein de l’Ampel Koalition au pouvoir puisque les Verts s’opposent au maintien de telles énergies dans la mix énergétique allemand (pour rappel : ils avaient accepté l’utilisation temporaire du charbon mais refusent le maintien du nucléaire).

 

Pour conclure, l’Allemagne va devoir rapidement trouver une alternative au gaz russe dont elle dépend depuis des décennies. Elle peut toutefois se réjouir d’avoir ses réservoirs remplis à 76% de leur capacité, ce qui peut assurer 2 à 3 mois de consommation.

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Enzo Miard