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Le monde dans Le parti pris des choses de Francis Ponge

Sommaire

Le parti pris des choses est un recueil de poèmes publié par Francis Ponge en 1942. Les poèmes de ce recueil s’attachent à décrire des éléments du quotidien, choisis chacun pour son extrême banalité. Il s’agit ainsi pour lui de rendre compte de la beauté des choses du monde, souvent oubliée dans leur usage. Dans l’étude de la notion de monde, la démarche de Francis Ponge dans ce recueil est extrêmement intéressante car il s’agit pour lui d’opérer un “retour au monde”, de dire le monde quotidien dans toute sa grandeur et de changer notre rapport à lui.

 

Une attention au monde du quotidien

Chaque poème de ce recueil s’intéresse à un objet du quotidien, le plus prosaïque qui soit. Loin de refuser le monde réel, le poète y adhère avec force pour y faire valoir les objets les plus familiers, prenant plaisir à partir de ces objets à mettre en œuvre les capacités de la langue française pour en rendre toute la dimension poétique. On comprend ainsi le titre de ce recueil, qui est un parti pris des choses, soit un compte tenu des choses : il s’agit ainsi pour lui de glorifier ceux qu’il nomme les “humbles”, les oubliés de tout discours, en donnant la parole à ce monde du quotidien.

En effet, il existe de multiples discours qui parlent du monde et de ces choses : mais tous les discours qui sont supposées les dire les escamotent sous couvert de les objectiver comme dans le discours scientifique ou encore dans le discours philosophique, qui font disparaître la chose sous les idées, les intentions, les savoirs. Il s’agit ainsi pour Ponge de rendre au monde du quotidien et aux choses qui le composent leur dignité, leur présence. 

Cette peinture du monde quotidien se retrouve à chaque poème, comme exemple dans le poème “L’huître”, à travers une description minutieuse de ce crustacé  “L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre ”. Mais au fil de cette description se déroule un véritable art poétique : il s’agit pour le poète de prendre le monde à bras le corps pour en faire ressortir toute la beauté, notamment à travers le langage, telle la perle cachée dans l’huître.

La démarche poétique de Ponge est ainsi à comprendre dans un mouvement de réappropriation du monde qui a notamment commencé avec Rimbaud à la fin d’Une saison en enfer : il s’agit pour ces poètes de revenir au monde tel qu’il se donne, de dire le monde : « je suis rendu au sol avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysans ! » (Rimbaud). Il en va de même pour Ponge dans ce sillage-là : se confronter à la réalité la plus concrète et redevenir un paysan dans un corps à corps éprouvant mais nécessaire avec le monde, lui permettant « de sortir du manège ennuyeux des sentiments, des idées, des théories » (Pratiques d’écriture – ou l’inachèvement perpétuel). Il s’agit ainsi pour Ponge de créer un nouveau monde, au seul moyen du Verbe, en considérant toute choses comme inconnues auparavant et ainsi partir à leur (re)découverte au moyen du langage, par une attention à la définition du mot, son étymologie, ses consonances, sa graphie, qui désigne la chose.

 

Repenser notre rapport au monde 

Il s’agit ainsi, avec cette démarche, d’inviter le lecteur à reprendre sa place dans le monde, dans la vie, avec une nouvelle attention à ce dernier et au langage, dont le poète s’était fait mission. Celui vient notamment après une crise du monde, où ce dernier avait perdu tout sens, comme illustré dans La Nausée de Jean-Paul Sartre : la vision d’une racine noueuse d’un marronnier dans le jardin public de Bouville provoque en Roquentin une nausée 

“Les mots s’étaient évanouis, et avec eux la signification des choses. Leurs modes d’emploi, les faibles repères que les Hommes ont tracé à leur surface. J’étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse entièrement brute et qui me faisait peur.” (La Nausée)

Contre ce dérèglement dans le rapport au monde, aux choses, qui n’est plus médiatisé par le mot et qui devient présence monstrueuse et qui cause la nausée, cette disharmonie irréconciliable entre l’homme et le monde, il s’agit de renoncer à toute souveraineté sur le monde, se déposséder pour ne plus interposer entre nous et le monde tout type de discours, d’instruments, afin d’en refaire surgir la véritable présence.

 

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A retenir

Il s’agit ainsi dans ce recueil pour Ponge de s’intéresser au monde du quotidien, le plus banal. Mais il se laisse envahir par les choses, par le monde, en dehors de tout discours préconçu qui a pu nous le masquer auparavant : à travers cela, c’est un nouveau rapport au monde qui s’ouvre pour le lecteur et pour le poète, dans un mouvement de réconciliation avec les choses et les mots, et une nouvelle possibilité de dire et de voir le monde.

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Corentin Viault