Plus de 30 ans après la fin de son dernier mandat de première ministre du Royaume-Uni, Margaret Thatcher reste une des figures politiques et économiques les plus controversées du monde anglophone. Celle qu’on surnommait Iron Maggie, la Dame de Fer, est surtout connue pour la mise en place de ses politiques libérales et son absolue intransigeance face à ses adversaires politiques. Cet article va passer en revue les années Thatcher et tenter d’en dresser un bilan économique et social.
En effet, entre 1979, date de son arrivée au pouvoir, et 1990 le Royaume-Uni a distinctement changé de cap politique. Ce grand virage libéral s’effectue dans une période charnière de la seconde moitié du 20ème siècle. Celle des chocs pétroliers, de l’apparition de la stagflation et du rejet catégorique des théories d’inspiration keynésienne. Celle aussi de notables crises politiques. A l’image de la prise d’otage à l’ambassade iranienne à Londres ou de la guerre des Malouines.
Pour vous donner le plus de contenu possible, l’article se divisera en trois parties chronologiques. La première exposera la situation du Royaume-Uni avant la nomination de Thatcher en tant que première ministre. La seconde mettra l’accent sur un certain nombre d’actions politiques et économiques insignes durant ses mandats. Et finalement la troisième et dernière fera office d’état des lieux de « l’après Thatcher ». Je précise que l’article est dense en données chiffrées, un attendu fondamental dans les copies d’ESH, tirez-en partie !
Le Royaume-Uni de la fin des années 70, l’« Homme malade de l’Europe ».
Le Royaume-Uni est sans nul doute l’un des pays qui a le plus souffert de la crise de 1973. A la fin des années 70 sa situation économique est peu enviable. Il est qualifié d’« Homme malade de l’Europe », un surnom qui en dit long. Certains économistes se demandent même si l’ancien atelier du monde, pays de la première révolution industrielle, n’est pas engagé sur le chemin du développement inversé !
On peut mettre en évidence un certain nombre de points permettant d’étayer ces propos. Pour commencer, le chômage se situe aux alentours de 5.5% en 1979, un taux plutôt élevé. L’inflation bat elle aussi des records. Le gouvernement travailliste qui précède Thatcher ne parvient pas à la maîtriser, elle plafonne à +15% par an en moyenne. Du côté de la croissance, les années 60 sont plutôt décevantes. La France et l’Allemagne dépassent les 5% par an, loin devant le Royaume-Uni qui piétine à 2.8%, presque deux fois moins. Ajouté à cela une désindustrialisation qui se poursuit malgré quelques couteuses nationalisations. Une balance des paiements qui penche dangereusement vers le déficit. Et, pour couronner le tout, une dette publique qui se creuse malgré une politique fiscale élevée.
Le pays se rapproche plus d’un bateau en plein naufrage que d’une île solidement plantée dans l’Atlantique. Mais comment la Dame de fer va-t-elle tenter de redresser la barre ? Et vers quel cap relancer le navire ? C’est ce que nous allons voir.
Le grand tournant libéral : les politiques de Thatcher en action
Cela a déjà été évoqué précédemment : les politiques que va mettre en place Thatcher sont éminemment libérales. En matières fiscales, elles sont inspirées des idées de l’Ecole de l’offre, de Laffer. Pour ce qui est du rôle de l’Etat, elles prennent racine dans la pensée de l’Ecole Autrichienne de Hayek, et monétariste de Friedman. Concrètement, cette libéralisation de l’économie consiste en un recul notable du rôle de l’Etat et un allègement de la fiscalité. Toute une série de mesures permettent de l’illustrer.
Premièrement, les impôts directs sont fortement réduits. La tranche marginale d’imposition sur le revenu passe de 83% à 40%. De même, l’impôt sur les sociétés de 53% à 33%. C’est considérable. Thatcher fait également de la lutte contre l’inflation sa priorité. Les taux d’intérêts sont relevés, facilitant au passage l’arrivée de capitaux étrangers. L’Etat passe peu à peu au second plan dans la société. L’arrêt des subventions à des secteurs non rentables comme les mines l’illustre parfaitement.
Malgré les grèves et les protestations des mineurs, Thatcher sera implacable et parviendra à couper ce poste de dépenses. On peut aussi citer la lutte contre les syndicats, les fameux Trade Unions. Qualifiés d’ennemis intérieurs par le Parti conservateur, une série de loi affaiblira leur pouvoir comme l’Employment Act de 1982. Enfin, bon nombre d’entreprises étatiques qui pesaient lourd dans le budget de l’Etat sont rendues au secteur privé. On compte quelques privatisations notables dans le secteur ferroviaire, des hydrocarbures et des télécommunications.
Nombre de ces mesures sont aux antipodes des politiques sociales des gouvernements travaillistes. L’arrêt des subventions aux mines et la lutte contre les syndicats l’illustrent. Les classes populaires ont beaucoup souffert sous Thatcher et se sont appauvries davantage. D’où son image de dirigeante au cœur de pierre ou sans pitié. Mais ne tirons pas de conclusions hâtives et tâchons d’adopter un point de vue d’ensemble pour juger de ces années.
Un bilan économique et social mitigé
Bien que les 2 premières années de son mandant soient récessionnistes, Milton Friedman écrit à ce sujet en 1980.
« la croissance lente et le chômage élevé sont les effets secondaires d’une cure en passe de réussir ».
Pareillement, le journal Français Le Monde estime que Thatcher laisse une économie « assainie ». Cependant, tous ne partagent pas cet avis et le constat global est plutôt contrasté. Du côté des « plus », on a une croissance qui repart à la hausse. 3% en moyenne entre 1992 et 2006. L’inflation est maîtrisée, elle ne dépasse pas les 6% entre 1981 et 1990. Aussi, les recettes fiscales repartent à la hausse avec un gain de 1.2 milliards de £. Vérifiant ainsi empiriquement la courbe de Laffer ! Enfin, on note une augmentation du niveau de vie moyen et le développement du secteur tertiaire. On estime que 1.4 millions d’emploi dans les services ont vu le jour.
Tout n’est pas tout rose malheureusement. A ce bilan s’ajoute une désindustrialisation qui se poursuit avec la perte de 2 millions d’emplois entre 1980 et 1990. Un chômage plus élevé qu’auparavant, avec un pic à 12% en 1983, puis un retour à 7% en 1990. Enfin, et c’est sans doute là la critique la plus pertintente à formuler, les inégalités se sont fortement accrues. Le décile inférieur a vu ses revenus fondre de 10% tandis que ceux du premier décile ont augmenté de 60%. Parallèlement, la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté passe de 8% en 1972 à 22% en 1990.
Que faut-il retenir des années Thatcher ?
Comme toute politique, celles mises en place par Thatcher pendant ses mandats ont leur lot d’avantages et d’inconvénients. Bonnes ou mauvaises, elles auront eu le mérite de redonner une direction clairement définie à un pays qui déclinait. Dans un ouvrage de 1998 intitulé The Third Way, Anthony Giddens soulignait les traits caractéristiques du thatchérisme. Parmi lesquels un gouvernement minimal, une acceptation des inégalités, un marché du travail libéralisé et un Etat-Providence faisant guise de « filet de secours ».
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