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Les courbes d’ESH : Actualité de la courbe de Phillips #4

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Les courbes d’ESH: Actualité de la courbe de Phillips #4

 

Il semblerait qu’au 21ème siècle, le modèle théorisé par l’économiste néo-zélandais A. William Phillips ait pris du plomb dans l’aile. 

En effet, on est confronté dans nos sociétés contemporaines, à des situations qui sont paradoxales lorsque l’on connait les conclusions du modèle de Phillips. Beaucoup de pays sont aujourd’hui confrontés à une situation où le taux de chômage ne semble plus impacter le taux de salaire (et indirectement le taux d’inflation). Prenons l’exemple des États-Unis, le taux de chômage américain se situe aux alentours des 4%, ils ont donc atteint le plein emploi. D’après Phillips ce plein emploi devrait signifier que le taux de salaire y est important puisqu’il y a d’après lui une relation décroissante entre les 2 variables (moins il y a de chômage, plus les taux de salaires sont importants et vice-versa). Or, dans le même temps un article du Monde datant du 19 septembre 2017 écrit par Arnaud Leparmentier nous montre bien que depuis le début du siècle il y a une baisse généralisée des salaires américains (qui touche les plus pauvres en priorité en effet depuis 2000 les 10% les plus pauvres ont vu une baisse de leur revenu de 8,8%). C’est pour cela que l’on parle de courbe de Phillips plate d’après Jean Marc Vittori dans un article publié dans Les Échos le 5 octobre 2017, car le taux de chômage n’a plus d’influence sur le taux de salaire (et donc indirectement sur le taux d’inflation). 

Effectivement, cette situation est paradoxale mais comment peut-on l’expliquer ? même l’ancienne présidente emblématique de la FED Janet Yellen ne répond pas à cette question puisqu’elle parle de «  mystère  » pour qualifier l’horizontalité contemporaine de la courbe de Phillips. On peut cependant essayer de dégager quelques raisons pour expliquer ce changement: 

 

1 – L’essor du sous-emploi

En effet Jean-Marc Vittori évalue le taux de sous-emploi à 18% en France (soit deux fois plus élevé que le taux de chômage), or une étude des économistes du FMI nommée Seeking sustainable Growth  : short-term recovery, long term challenges (2017) a montré que le temps partiel subi a comme conséquence une pression à la baisse des salaires. 

 

2 – L’ubérisation de la société et sa bipolarisation

En effet, Patrick Artus et Marie Paul Virard ont analysé dans leur livre datant de 2018 «  Et si les salariés se révoltaient  » une bipolarisation de la société et du marché du travail, pour eux l’ubérisation a supprimé les travaux avec des qualifications intermédiaires pour laisser place à des travaux soit très qualifiés (ingénieur, médecin etc…) soit pas ou peu qualifiés (livreur uber). Cette transformation impacte directement la validité de la courbe de Phillips car par nécessité les chômeurs se reportent sur un emploi pas ou peu qualifié qui est de ce fait très mal rémunéré. Ainsi, il y a moins de chômage mais ils ont des salaires plus faibles que s’ils avaient un travail demandant des qualifications intermédiaires. Par conséquent il n’y a plus cette relation décroissante entre chômage et salaires, la courbe serait bien devenue plate (le chômage n’influence plus les taux de salaires). 

 

3 – La démographie

En effet, il y a dans les années 2010 un passage de témoin entre les baby-boomers bien payés et les jeunes diplômés payés de manière plus modeste. Ce changement drastique montre que le chômage n’augmente ou ne diminue pas puisque les baby-boomers sont remplacés, mais pas à salaire égal. Ainsi les salaires baissent sans que le taux de chômage n’augmente, on montre bien ici que la courbe de Phillips deviendrait plate. 

 

4 – La formation des prix

Il faudrait aussi regarder du coté de la formation des prix selon Vittori, pour comprendre pourquoi la courbe de Phillips est devenue plate, c’est ce qu’il appelle le pricing-power (capacité à augmenter les prix). En effet, si la courbe de Phillips est devenue plate on le doit aussi à cette notion de pricing-power, ce pricing power a chuté de manière forte pour les salariés car ils ne peuvent plus demander des hausses de salaire par peur (désyndicalisation ou renforcement de la concurrence internationale). C’est aussi ce que montre Artus dans un article de la revue d’économie financière, « Les politiques monétaires des pays de l’OCDE confrontées à la faiblesse structurelle de l’inflation et à leur inefficacité croissante ». Il impute la faible inflation depuis 2008 au manque de pouvoir des salariés dans les pays de l’OCDE qui n’arrivent plus à demander des augmentations de salaires, on a donc dans ces pays des situations où une faible inflation va de concert avec un faible taux de chômage. Enfin Vittori analyse ensuite le «  pricing-power  » des entreprises, une vision qui expliquerait l’aplatissement de la courbe de Phillips serait de dire que les entreprises ont perdu du terrain. Avec l’arrivée de nouveaux concurrents et l’effet des nouvelles technologies, elles doivent sans cesse raboter leurs prix tout en innovant.

 

Conclusion

Pour autant Vittori explique que ce dysfonctionnement pourrait n’être lié qu’à la conjoncture et que l’inflation pourrait bien repartir notamment à cause de la marge toujours croissante des entreprises pour satisfaire la gourmandise de leurs actionnaires (la marge des entreprises cotées en bourse est passée depuis 1980 de 18% de leur coût de production à 67%  !). Ce serait le signe que «  Le mystère de l’inflation ne serait alors que la mesure de notre ignorance.  ». En effet, on ne peut pas lui donner forcément tort lorsque l’on voit le rapport de Philippe Aghion sur l’inflation française «  Missing growth from creative destruction  » qui nous dit que sur la période 2006-2013, l’inflation fut surestimée de 0,6% par an, c’est ce qu’on appelle l’effet Boskin.

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Léo Bedenc
Diplômé emlyon et SciencesPo Lyon après une prépa ECE à Bordeaux, je suis également agrégé en S.E.S et j'interviens régulièrement sur Mister Prépa en ESH.