« Nous avons une dette à la Libye, très claire : une décennie de désordre », confessait Emmanuel Macron le 23 mars à l’Elysée, en présence du président et du vice-président du Conseil présidentiel de Libye. Ce mea culpa est une première pour l’Etat français, qui reconnaît sa responsabilité dans les 10 ans de conflits qui ravagent la Libye depuis 2011. Néanmoins la situation du pays semble s’être stabilisée et présente des signes encourageants d’une possible paix future. Le point sur la situation libyenne après une décennie de chaos.
Le conflit libyen en bref
En 2011, la Libye est dirigée par un dictateur, le colonel Mouammar Kadhafi. De nombreux mouvements de contestation populaire voient le jour au cours de l’année dans la foulée des printemps arabes, et se muent relativement rapidement en une révolte armée en réponse à la répression du régime. Face à la situation, la France convoque le Conseil de sécurité de l’ONU, qui établit une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye et autorise des frappes militaires par les airs. De mars à octobre 2011, la France est donc impliquée dans une opération militaire multinationale, qui aboutit à la mort du colonel Kadhafi à Syrte le 20 octobre 2011. Cependant, l’opération internationale, qui était censée avoir pour priorité la protection des civils libyens, s’est transformée en une véritable force belliqueuse à l’encontre du régime. Du retrait des troupes internationales s’ensuivent 10 années de guerre entre milices dans un pays qui sombre dans le chaos. Des milliers de mercenaires étrangers entrent en Libye et le pays se déchire en deux camps : à l’ouest, en Tripolitaine, le GNA (gouvernement d’union nationale), créé en mars 2016, activement soutenu par la Turquie d’Erdogan et reconnu par l’ONU ; à l’est, en Cyrénaïque, l’ANL (Armée Nationale Libyenne) commandée par le maréchal Haftar, soutenue par la Russie et les Emirats Arabes Unis.
En fait, le cœur du problème libyen réside dans le nombre d’acteurs impliqués dans le conflit. A ce jour, l’ONU estime qu’une vingtaine de milliers de mercenaires sont encore présents en Libye. A l’ouest, environ 7000 turkmènes et combattants syriens pro-turcs soutiennent le GNA pour le compte d’Erdogan. En Cyrénaïque, derrière la ligne de démarcation qui traverse la ville de Syrte, à peu près un millier de mercenaires russes de la compagnie Wagner* soutiennent le « Système Haftar », appuyés par des combattants égyptiens et émiratis. Néanmoins la plus grosse part de mercenaires est constituée de combattants subsahariens, en provenance du Tchad, du Soudan, du Niger, ou encore du Darfour. Depuis janvier 2020, le soutien actif de la Turquie au GNA précipite la défaite des forces du maréchal Haftar lors de la bataille de Tripoli, qui prend fin en juin, quatorze mois après son commencement. Alors que Khalifa Haftar se replie dans son fief de Cyrénaïque, les combats s’estompent et le cessez-le-feu est signé à Genève le 23 octobre 2020 par des représentants du GNA et de l’ANL sous les yeux de la communauté internationale. Il officialise l’arrêt des combats et laisse entrevoir une opportunité d’apaisement de la situation libyenne.
Du cessez-le-feu au gourvernement unique, la paix en bonne voie mais loin d’être garantie
Ce tournant du cessez-le-feu est confirmé en février 2021, lorsque les deux gouvernements du pays se réunissent sous la bannière du GNA. Il est dirigé depuis le 13 mars par Abdul Hamid Dbeibah, le nouveau premier ministre, qui avait personnellement parié contre Kadhafi en 2011 en finançant la révolte armée de la ville de Misrata, alors qu’il occupait lui-même un poste dans l’administration Kadhafi, ce qui n’est pas sans susciter de controverse aujourd’hui. Ce nouveau gouvernement unique reste tout de même une avancée historique porteuse de nombreux espoirs pour la Libye. Pour autant, le plus dur reste à faire, d’autant plus que Dbeibah a la tâche d’organiser les prochaines élections présidentielles et législatives au niveau national d’ici décembre 2021. D’abord, parce que quasiment un an après la victoire des forces du GNA à Tripoli, il reste encore de nombreux mercenaires sur le sol libyen, dont le départ n’est pas assuré. Alors que le parlement turc votait en janvier dernier la prolongation de l’autorisation d’envoyer des troupes en Libye, les négociations pour faire partir les mercenaires d’Erdogan du pays s’enlisent. Ces derniers réclament des arriérés de soldes au nouveau gouvernement, et les combattants syriens demandent des passeports libyens ou turcs. De leur côté, les combattants du maréchal Haftar ne semblent pas disposés à lever le camp et maintiennent quasiment intact le « Bloc du système Haftar » en Cyrénaïque. Quant aux combattants subsahariens, nombreux de plusieurs milliers, ils étaient déjà présents en Libye sous le régime de Kadhafi et refusent donc eux aussi de partir. Ensuite, si le nouveau gouvernement se montre conciliant avec le maréchal Haftar, ce dernier entend placer ses hommes loyaux au sein du gouvernement, mais surtout bénéficier d’une part du budget national de ce pays riche en pétrole, dans le but d’assainir sa trésorerie mise à mal par des années de guerre. Or, comme le souligne Jalel Harchaoui, spécialiste du conflit libyen et chercheur à l’université Paris VIII, il n’est pas improbable que le maréchal Haftar puisse redevenir une menace à moyen-terme s’il retrouvait une « santé fiscale » et un soutien étranger.
La diplomatie internationale face à la situation libyenne
Parmi la communauté internationale, la position française est alors délicate, non seulement parce que la France assume désormais la lourde responsabilité qu’elle a dans le désordre qui a suivi la mort de Kadhafi, mais aussi parce que son soutient officiel au GNA devenait de plus en plus intenable. En effet, bien que la France soutienne officiellement la position des Nations Unies, l’Elysée s’inquiétait sérieusement du soutien turc en Libye, parce que de nombreux combattants islamistes se battaient pour le compte du GNA parmi les mercenaires turcs, ce qui poussait la France à armer en réalité les ennemis du GNA pour lutter contre ces guerriers islamistes en Libye. Aujourd’hui encore, la proximité entre premier ministre Abdul Hamid Dbeibah, les Frères Musulmans, et la Turquie d’Erdogan, avec qui la France entretient des relations tendues depuis un an, dérange le Quai d’Orsay. De surcroît la France s’inquiète de l’émergence de nouveaux groupuscules affiliés à Daech au Sud-Ouest de la Libye depuis la signature du cessez-le-feu.
Malgré ces difficultés, ce nouveau gouvernement représente le meilleur espoir de paix pour la Libye depuis la mort du colonel Kadhafi. Le Premier ministre Dbeibah avance des propositions concrètes en termes de réparations et de lutte contre la corruption qui sont un bon départ pour reconstruire le pays après 10 ans de chaos. Petit à petit, la Libye se réouvre au monde extérieur ; la récente visite du Président du conseil de l’Europe, Charles Michel, a confirmé le retour prochain de l’ambassadeur de l’UE à Tripoli. Dans le même temps, la France réouvre aussi ses représentations diplomatiques sur le sol libyen.
*Pour en savoir plus sur la force Wagner, Mister Prépa vous conseille cette enquête du journal Le Monde qui explique son fonctionnement et ses implicatons dans les différents conflits du Moyen-Orient.