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Est-il moralement justifiable de sacrifier quelques vies pour en sauver un grand nombre ?

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« La grandeur d’un homme se mesure à sa capacité à reconnaître la singularité de chaque vie, car tuer un individu, c’est commettre un meurtre, mais anéantir l’unicité de millions d’existences, c’est se hisser au rang des démiurges. »
Dans son ouvrage « L’Insoutenable Légèreté de l’Être« , Milan Kundera reconnaît la singularité de chaque existence, suggérant que la destruction de multiples vies ne peut être justifiée par le simple calcul de nombres. Cette idée résonne particulièrement dans le débat du dilemme du sacrifice pour le bien commun. Autrement dit, le questionnement autour de la morale du sacrifice de quelques vies pour en sauver un grand nombre. Des situations historiques telles que l’utilisation de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki pendant la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux dilemmes contemporains, tels que les choix politiques en temps de pandémie, remettent en question nos conceptions de la moralité et de la responsabilité collective. 

Alors que certains soutiennent qu’il est parfois nécessaire de faire des sacrifices pour le bien commun, d’autres affirment que chaque vie individuelle est intrinsèquement précieuse et que tout acte de sacrifice est moralement condamnable. Dans cette analyse, nous examinerons les arguments du pour et du contre de cette question épineuse. Puis, nous explorerons les nuances de l’éthique et de la justice dans la prise de décision morale. 

La reconnaissance de la singularité de chaque vie 

 

La valeur intrinsèque de chaque individu 

Chaque individu possède une valeur intrinsèque inhérente à son humanité. Cette valeur découle du simple fait d’être une personne, indépendamment de ses caractéristiques ou de ses réalisations. Par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Les philosophes comme John Locke, Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant ont contribué à l’élaboration des droits de l’homme, affirmant que chaque individu possède des droits inaliénables simplement du fait d’être humain, indépendamment de toute caractéristique particulière.

Cette perspective souligne l’importance de respecter la singularité de chaque personne dans nos actions lorsqu’il s’agit de dilemmes éthiques comme la question de sacrifier quelques vies pour en sauver un plus grand nombre. La récente disparition de Robert Badinter, figure éminente de l’abolition de la peine de mort en France, remet ce débat au goût du jour. Son engagement contre la peine capitale souligne la reconnaissance de la dignité humaine et de la valeur de chaque vie, même dans les circonstances les plus extrêmes. En abolissant la peine de mort, un pays reconnaît que même les personnes condamnées pour des crimes graves conservent leur humanité et leur dignité. En ce sens, elles ne sont pas réduites à leur pire acte. 

 

L’éthique de la responsabilité individuelle 

L’Éthique de la responsabilité individuelle souligne l’importance de la liberté individuelle dans la prise de décision. Elle met en avant le devoir moral de considérer les droits et le bien-être des autres. Dès lors, elle invite tout un chacun à se questionner sur ses actions, à prendre conscience de ses responsabilités envers autrui contribuant ainsi à la construction d’une société plus juste et éthique. Prenons l’exemple des résistants pendant l’Holocauste, plus particulièrement ceux qui ont choisi de protéger des vies au péril de la leur. Malgré les risques immenses encourus, ces individus ont bravement défié les forces oppressives du régime nazi pour sauver des vies juives. Cet exemple reflète parfaitement la force et l’ampleur de la responsabilité individuelle même face à l’adversité la plus extrême. 

Un exemple concret au sein de notre société contemporaine serait les lanceurs d’alerte. En 2013, Snowden, un ancien consultant de la National Security Agency (NSA) des États-Unis, a choisi de divulguer des informations classifiées concernant les programmes de surveillance de masse mis en place par son gouvernement. En faisant cela, il a exposé au grand public les pratiques de surveillance intrusives qui portaient atteinte aux droits à la vie privée des citoyens à l’échelle mondiale. Les lanceurs d’alerte, souvent salariés, choisissent de divulguer des informations sensibles au grand public, mettant ainsi en lumière des pratiques injustes ou encore des violations des droits humains. Ils se mettent volontairement en danger pour mettre en garde et protéger la société. Ce comportement incarne l’idée que chaque individu a le devoir moral de dénoncer les injustices et de protéger le bien commun, même au détriment de leur propre confort ou sécurité. 

Nous avons montré l’importance des actions personnelles. Cependant, il existe des situations où les décisions doivent être prises pour la population dans son intégralité. C’est souvent le cas pour les gouvernements. Les enjeux impliquent le bien-être des individus à grande échelle. Dans de telles circonstances, la question de savoir s’il est moralement justifiable de sacrifier quelques vies pour en sauver un grand nombre devient particulièrement complexe et délicate. 

Un exemple classique de ce dilemme moral est celui du « problème du tramway » théorisé par Philippa Foot. Il s’agit d’un dilemme où une personne doit décider de manière morale s’il est acceptable de détourner un tramway en mouvement pour éviter de tuer plusieurs personnes, au détriment d’en sacrifier une seule. Ce dilemme soulève des questions complexes sur la vie, la mort, la responsabilité et le choix moral. Bien entendu, il n’existe pas de bon choix car de simples questionnements pourrait altérer notre point de vue. Comme par exemple, et si cette seule personne était enceinte ? Et si les cinq personnes étaient malades ? Comment choisir les vies qui seront sacrifiées ? Une vie peut elle en remplacer une autre ? 

Face à ce choix difficile, où la décision de sacrifier au moins une vie pour en sauver d’autres semble inévitable, il devient clair que la responsabilité individuelle peut être dépassée par des considérations plus larges. Cependant, même dans de telles situations, les dilemmes éthiques subsistent quant à la moralité de telles actions et les répercussions qui en découlent. 

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Les dilemmes éthiques de la justification du sacrifice pour le bien commun 

Les décisions politiques et défis contemporains. 

Dans l’histoire politique, ainsi que dans les défis contemporains, se posent des questions éthiques cruciales sur la justification du sacrifice de vies pour le bien commun. La pandémie de COVID-19 a mis en lumière des dilemmes éthiques complexes. La stratégie politique des Pays-Bas pour lutter contre le coronavirus, qui consiste à laisser une partie importante de la population nationale contracter la maladie pour développer une immunité collective et éviter ainsi de futures épidémies, soulève des questions éthiques délicates. En effet, cela revient à sacrifier une partie de la population actuelle pour protéger le plus grand nombre face à des dangers potentiels à long terme.
Cependant, même si ces décisions semblent justifiées, il existe des limites à la moralité et la raison.

Ce questionnement autour des décisions politiques est illustré par la théorie politique critique d’Hannah Arrendt. Cette dernière met en garde la population contre la soumission aveugle à l’autorité publique. Elle met en exergue l’importance de maintenir un esprit critique face aux décisions politiques. Dans le contexte des sacrifices pour le bien commun, elle insiste sur la nécessité d’examiner attentivement les motivations et les conséquences éthiques des actions politiques.
Alors que la protection du plus grand nombre peut sembler impérative, les dilemmes éthiques persistent quant à la légitimité de telles décisions. Une interrogation fondamentale demeure : existe-t-il des guerres justes, où le sacrifice de vies humaines peut être moralement justifié au nom de la paix, de la justice ou de la sécurité collective ? 

Réflexions sur les limites de moralité 

La question des guerres justes soulève des débats éthiques profonds quant à la légitimité du sacrifice de vies humaines au nom de nobles idéaux tels que la paix, la justice ou la sécurité collective. Dans l’Histoire, des conflits ont été justifiés comme des guerres nécessaires pour défendre des populations opprimées ou pour prévenir des menaces imminentes. Par exemple, la Seconde Guerre mondiale a été largement perçue en tant que lutte juste contre le régime nazie et ses politiques génocidaires, justifiant ainsi le sacrifice de nombreuses vies pour mettre fin à l’horreur et restaurer la paix en Europe. D’après la théorie déontologique de la guerre juste d’Immanuel Kant, la guerre est toujours un mal, mais parfois nécessaire pour prévenir des injustices graves. Les actions pendant la guerre doivent être guidées par des principes moraux universels, même dans des situations extrêmes.

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Cependant, même dans ces cas où la cause peut sembler juste, les coûts humains et moraux des guerres sont souvent énormes. Les civils innocents sont souvent pris pour cibles, les infrastructures sont dévastées, et les traumatismes physiques et psychologiques persistent longtemps après la fin des hostilités. Par exemple, la guerre en Irak, justifiée par certains comme une réponse nécessaire aux menaces terroristes, a entraîné des pertes de vies civiles considérables et a laissé le pays plongé dans le chaos et l’instabilité pendant des années.

Ces exemples soulignent les limites de la moralité dans le contexte des conflits armés et des décisions politiques qui impliquent le sacrifice de vies humaines. Alors que certaines guerres peuvent être justifiées comme des moyens de protéger des valeurs fondamentales ou de prévenir des atrocités, les coûts humains et moraux doivent être soigneusement pesés et évalués.

En conclusion, l’examen des dilemmes éthiques autour du sacrifice de vies pour le bien commun met en lumière la complexité des décisions politiques et individuelles. Alors que certaines actions peuvent sembler justifiées pour protéger le plus grand nombre, il est crucial de reconnaître les limites de la moralité et les conséquences potentielles sur la dignité humaine. L’Histoire et les défis contemporains soulignent la nécessité d’une réflexion profonde et d’une recherche constante de solutions alternatives qui préservent la vie et la dignité de tous.

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Maeva Santos