Le thème au programme cette année de l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes et des situations plurielles, et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation, C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres.
Aujourd’hui nous nous intéresserons à la manière dont Nan Goldin photographie la violence quotidienne.
Qui est Nan Goldin ?
Nan Goldin est une photographe américaine née en 1953. Elle a été élevée dans une famille de la classe moyenne américaine et connaît très jeune un grand traumatisme : le suicide de sa sœur, à l’âge de 18 ans, qui la marquera à vie. Elle s’oriente vers des études d’art en s’inscrivant notamment à l’école du Musée des Beaux-Arts où elle se concentre sur la prise de photos de drag queens qui font partie de son entourage proche. Sa photographie commence alors à être influencée par celle de Diane Arbus, mais aussi par la production artistique d’Andy Warhol.
Elle conçoit très tôt sa démarche photographique : elle cherche à enregistrer le quotidien ordinaire et tous les moments qui peuvent le parsemer, les instants de joie comme les instants de tristesse. Elle se fait alors photographe de l’intime, photographiant notamment sa propre vie et celle de son entourage. Il s’agit ainsi de restituer ces moments de vie, comme des fragments, de manière spontanée. Ainsi, elle dira sur sa photographie :
“C’est une tentative de percevoir ce qu’une autre personne ressent. Il y a un mur de verre entre les gens, et je veux le briser. Une photographie est pour moi une manière de toucher quelqu’un, c’est une caresse.“
Pour ce faire, elle se balade sans cesse avec un appareil photographique sans prévoir véritablement les photos qu’elle prendra, mais en attendant bien plutôt que le moment idéal vienne à elle.
On peut rattacher cette démarche artistique de l’école de photographie de Boston, mouvement qui s’est développé aux alentours de 1971 et 1984 dans la ville de Boston. Il s’agissait pour les artistes, comme Nan Goldin, de capturer les scènes de vies de communautés par des fragments qui, mis bout à bout, pouvaient créer une sorte de narration sur leur vie, depuis un point de vue intime.
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The Ballad of Sexual Dependency
Un de ses ouvrages majeurs et qui a fait date dans l’histoire de la photographie est The Ballad of Sexual Dependency, publié en 1985. Celui se compose de diverses photographies qu’elle a prises selon la démarche que nous venons de présenter. Il a donc une forte dimension autobiographique, car il se compose de photographies d’elle et de son entourage. Néanmoins, les thèmes abordés sont très graves : la consommation de drogues, la violence, le sexe et les relations agressives. On a ainsi pu dire qu’elle documente un “monde d’autodestruction et d’addiction”.
Cette série est très intéressante pour le thème de la violence car elle photographie des moments de violence dans la vie quotidienne, autant la violence physique (agressions, violences conjugales), que d’autres formes de violence comme l’exclusion des minorités. Il s’agit dès lors de rendre visible ces violences souvent invisibles, de montrer comment la violence peut être présente dans la vie quotidienne et donc potentiellement dans la vie de chacun. De plus, c’est la violence qu’elle connaît, qu’elle vit, qu’elle photographie et non celle des autres : il s’agit de montrer ce qui n’est pas accepté socialement et ce qui n’est pas considéré comme glamour dans la photographie de soi. Néanmoins, ces photographies, assez dures, sont contrebalancées par d’autres pleines de vie et de joie : son livre devient alors en même temps qu’un journal intime un outil de mémoire, car certaines personnes photographiées sont mortes, du sida ou à cause de leur toxicomanie par exemple.
L’exemple de la violence au sein du couple
On peut prendre comme exemple une de ses photographies les plus connues, “Nan One Month After Being Battered” parue en 1986 dans The Ballad of Sexual Dependency : c’est un auto-portrait où on la voit avec des ecchymoses sous les yeux et l’oeil gauche rouge, contre un meuble en bois et un rideau blanc sous une lumière artificielle. Ainsi, elle se photographie comme une victime de violences conjugales, dans une image qu’on voit très rarement : une femme battue, pleine de blessures. Néanmoins, elle nous regarde avec un air de défi.
Nan One Month After Being Battered, Nan Goldin
Concernant cette image, elle dira notamment :
“Je ne désirais pas ramener cette image à ma seule expérience, mais à celle de toutes les femmes, de tous les hommes, et de toutes les relations ; la violence est potentielle dans chaque couple.”
Ainsi, en photographiant ce moment éminemment intime, celui d’être victime de violences, chose qu’on cache normalement, elle veut créer un témoignage universel, celui des femmes battues : il s’agit alors de rendre l’intime, le quotidien, au moyen de l’art, universel, non pas pour choquer mais bien pour rendre les gens conscients de cette réalité et de plus la cacher. La photographie est alors un moyen qui permet à une violence qui pour beaucoup est choquante et ne dois pas être dite d’exister dans les consciences, elle montre qu’on peut et doit en parler. On peut enfin noter que la photographie est très objective, elle ne cherche pas spécialement à rendre belle cette violence, ce corps battu, mais au contraire elle le montre dans toutes sa froideur, dans toute sa réalité, ce qui interpelle d’autant plus notre regard et rend ces marques de violence très saisissantes.
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En conclusion, le travail de Nan Goldin est très intéressant car elle s’intéresse à des moments de violence que nous ne voyons pas souvent, à savoir ceux de la vie quotidienne, par exemple les violences conjugales. Ces photographies permettent de rendre les gens conscients de ces violences et à travers des photographies de l’intime, d’établir un témoignage à valeur universelle des violences que chacun peut subir et de la nécessité d’en parler.