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Nietzsche et la « Généalogie de la morale »

Sommaire
nietzsche généalogie de la morale

Nietzsche est une référence dans le milieu philosophique. Il a notamment adressé une critique de la morale religieuse et des idéaux ascétiques. Dans sa troisième partie de  La Généalogie de la morale, il montre que la morale est un concept inventé par l’homme, elle est un fait historique à interpréter. La morale n’a, contrairement à l’idée de Kant, rien d’absolu, elle est individuelle, évolutive et soumise aux caprices de l’histoire. Dès lors, quelle valeur accorder à la pitié et à sa morale ? Dans cet ouvrage, Nietzsche montre pourquoi il est nécessaire de se défaire des idéaux ascétiques pour des valeurs plus saines. Notez toutefois que cet ouvrage n’aborde pas seulement la question de la morale mais aussi celle de l’art et de la connaissance notamment.

“Nous avons besoin d’une critique des valeurs morales, il faut commencer par mettre en question la valeur même de ces valeurs, et cela suppose une connaissance telle qu’il n’en a pas existé jusqu’à présent.”

 

Les idéaux ascétiques

On se concentrera exclusivement sur la 3e dissertation, intitulée “Que signifient les idéaux ascétiques ? ”Nietzsche y analyse la valeur des valeurs propres de la morale ascétique : chez l’artiste, le philosophe, le prêtre ascétique et le scientifique. L’idéal ascétique est un symptôme du déclin de la vie, un moyen pour la vie de se nier elle-même. Par ce travail de négation de vie, l’ascétisme demeure une forme de volonté de puissance, il est en effet une manière pour les faibles d’accroître leur sentiment de puissance.

L’idéal ascétique témoigne de l’horreur du vide : “l’homme préfère encore vouloir le néant plutôt que ne pas vouloir”. Ainsi, la question centrale qui guide la dissertation est la suivante: “Quel est le sens de l’idéal ascétique ? 

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L’idéal ascétique pour l’artiste

 Pour l’artiste, il n’y en a pas (“rien du tout !… ou tant de choses différentes que ce n’est pratiquement rien du tout!…”.) Un artiste véritable est “séparé du réel de toute éternité”, il est du côté de l’irréel et de l’illusion, c’est pourquoi l’idéal ascétique n’a pas d’emprise sur lui et ne signifie rien à ses yeux.

Les artistes ne sont pas assez indépendants dans le monde et face au monde pour que leurs évaluations méritent de l’intérêt. S’ensuit une réflexion sur la question de l’art dans laquelle Nietzsche critique la vision de Kant et de Schopenhauer, l’opposant à celle de Stendhal, mais cela ne rentre pas dans notre propos ici.

 

L’idéal ascétique pour le philosophe

A la question “que signifie le fait qu’un véritable philosophe rende hommage à l’idéal ascétique ?”, Nietzsche répond: “voici au moins une première indication: il veut se délivrer d’une torture.” Pour les philosophes, l’idéal ascétique est un préalable, “une condition favorable à une haute spiritualité, et aussi l’une de ses conséquences les plus naturelles.” Les philosophes ne sont pas des juges impartiaux de la valeur de l’idéal ascétique comme se décide de le faire Nietzsche ici. Ils pensent à eux, à ce qui leur est le plus indispensable.

 La préférence pour l’idéal ascétique relève donc d’un choix, celui des conditions optimales de travail. Il s’agit d’un ascétisme joyeux, exercé parce qu’il permet les “conditions propres et naturelles à l’épanouissement de leur existence, à leur plus grande fécondité.”. De plus, le philosophe a dû, à ses débuts, emprunter les habits du prêtre ascétique pour exister dans un temps de défiance vis-à-vis des contemplatifs. “La philosophie n’aurait pas été possible du tout sur terre sans une enveloppe ascétique pour la voiler”. L’idéal ascétique a donc permis à la philosophie de vivre sous la seule forme qu’il lui était possible de prendre: “en rampant” telle une “repoussante et ténébreuse chenille.”.

 

La signification des idéaux ascétique : les malades

Après avoir fait connaissance avec le prêtre, Nietzsche attaque sérieusement le problème de la signification de l’idéal ascétique. Pour le prêtre, il s’agit d’un instrument de puissance. Il trouve dans l’idéal ascétique “non seulement sa foi, mais aussi sa volonté, sa puissance, son intérêt. Sa raison d’être existe ou disparaît en même temps que cet idéal.”. Dans le cas d’une vie ascétique, la vie est vue “comme un pont vers l’autre existence”, vers l’au-delà. Cet idéal affirme l’existence d’un “royaume de la vérité et de l’être” mais dont la raison est exclue: il n’y a de connaissance que perspective. 

Selon Nietzsche, bien qu’affichant une volonté de nier la vie, l’idéal ascétique est une ruse de la vie, un expédient qui permet au prêtre de la dominer et par lequel il attache les malades, les faibles. Le prêtre ascétique est un homme différent, il dirige les animaux malades, écoeuré face à eux-mêmes. Ces malades doivent être écartés des biens portants. En effet, les malades cherchent à faire dire aux hommes: “c’est une honte d’être heureux ! il y a trop de misère!”. Les malades veulent se représenter la justice, l’amour, la sagesse et expier leurs vices tels que la vanité, l’orgueil, la force. Ils veulent être bourreaux et cherchent à faire glisser leur misère dans l’esprit des autres qui sont heureux afin qu’ils aient honte de leur bonheur

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Le rôle du prêtre ascétique

Les biens portants ne devant pas se mêler aux malades, il faut donc un malade pour s’occuper des autres malades. C’est le rôle du prêtre ascétique, le berger malade qui guide les malades: il doit être malade pour les comprendre mais rester plus fort pour garder sa volonté de puissance et les guider. Le prêtre ascétique prétend les guérir mais il apaise seulement la souffrance en s’attaquant à elle et non pas à sa cause. Il change la direction du ressentiment, en la retournant contre celui qui l’éprouve pour en faire un pêcheur, un coupable: “Celui qui souffre cherche instinctivement à sa souffrance une cause; il lui cherche un auteur, un coupable.”. 

Ainsi, le prêtre donne la cause de sa souffrance qui n’est autre que lui-même, il construit des concepts de faute, de péché, pour mettre les malades hors d’état de nuire. Il existe plusieurs moyens d’apaiser cette souffrance : affaiblir la vie pour tuer le désir et donc la souffrance (dans une perspective schopenhauerienne), pratiquer une activité machinale, à l’oubli de soi-même, les petites joies quotidiennes apportées par l’amour du prochain et construites par le prêtre, la formation de troupeau au sein duquel on se tient chaud. “L’instinct de faiblesse a voulu le troupeau, la sagesse du prêtre l’a organisée.”

 

La science pour s’opposer à la morale ascétique ?

Ainsi, on comprend que l’idéal ascétique exprime une volonté. Dans cette dernière partie, Nietzsche s’intéresse à la science. Il refuse de voir le positivisme comme opposé à l’idéal ascétique car ce dernier a en commun avec l’ascétisme un goût pour la Vérité conçue comme absolu, la foi en cette Vérité, en son excellence. “Elle n’est pas le contraire de l’idéal ascétique, mais plutôt sa forme la plus récente et la plus élevée.” De ce fait, le positivisme apparaît comme la forme la plus récente et la plus noble de l’idéal ascétique. Elle renferme mépris de soi, incroyance, inquiétude face à l’absence d’idéal. Bien que les deux idéaux s’interrogent et se contredisent, aucun d’entre eux ne s’interrogent sur la valeur de la vérité elle-même. 

Les positivistes se prennent pour des esprits libres à tort. En débarrassant la religion de ses illusions, ils la renforcent, car il reste toujours un point d’interrogation inattaquable. Nietzsche observe même que ces positivistes rapetissent l’homme et conduisent à une dégradation du statut de l’homme avec des découvertes (l’astronomie par exemple qui repense la place de l’homme au sein de l’univers). La volonté absolue de vérité des scientifiques révèle en réalité leur foi dans l’idéal ascétique, la foi dans une valeur métaphysique, dans une valeur en soi de la vérité. Or, “c’est encore et toujours sur une croyance métaphysique que repose notre croyance en la science”. 

 

L’idéal adverse

Où se trouve donc la volonté adverse qui exprime un idéal adverse ? Il apparaît que l’art, “en quoi le mensonge se sanctifie, en quoi la volonté de tromper a la bonne conscience de son côté, s’oppose à l’idéal ascétique bien plus fondamentalement que la science.”.Il est peut-être possible que les seuls artistes puissent représenter l’antagonisme de l’ascétisme, car ils usent du mensonge et de l’illusion et considèrent le faux plutôt que la vérité.

 

L’idéal ascétique : l’expression d’un manque de sens

Le sens de l’idéal ascétique est donc de combler le manque de sens qui entoure l’homme, incapable de s’affirmer et de s’auto-justifier. L’idéal ascétique donne un sens à la souffrance endurée par l’homme. Il comble le vide de l’existence en apportant une souffrance plus profonde encore. “L’homme préfère encore vouloir le néant que ne pas vouloir du tout.” Ainsi, la vie ascétique est une auto-contradiction: “c’est une volonté de puissance inassouvie qui voudrait dominer non quelque chose de la vie, mais la vie” elle-même. Pour Nietzsche, la création de la morale et le développement des idéaux ascétiques n’ont fait que dénaturer l’homme. Ils contredisent ses pulsions et l’empêchent de faire évoluer sa volonté de puissance. 

Ce que signifie l’idéal ascétique, c’est que quelque chose manquait, une immense lacune enveloppait l’homme, ce dernier souffrait du problème de son sens. “Son problème n’était pas la souffrance en elle-même, c’était l’absence de réponse au cri dont il interrogeait: Pourquoi souffrir ?” L’idéal ascétique donne un sens à la souffrance, en lui, celle-ci est interprétée.

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Gabin Bernard