Misterprepa

La politique étrangère française : entre démission et soumission ?

Sommaire
politique-etrangere-francaise

La France, dotée du cinquième plus grand réseau diplomatique mondial selon Le Figaro, puissance nucléaire et sixième économie planétaire, a longtemps été un acteur incontournable de la scène internationale. De De Gaulle à Chirac, elle incarnait une voix singulière, refusant les alignements systématiques, notamment avec les États-Unis. Cette position était résumée par Hubert Védrine dans la formule : “Amis et alliés, mais pas alignés”. Cependant, l’image d’une France adepte du “en même temps”, oscillant aujourd’hui entre adaptation et indécision, suscite interrogations et inquiétudes.

 

Lire plus : Être Kurde : quelle reconnaissance ?

 

Déclin de l’influence française en Afrique et au Moyen-Orient

En Afrique de l’Ouest, autrefois fer de lance de son influence, la France subit une série de revers sans précédent. Les coups d’État récents au Mali, au Niger et au Burkina Faso, suivis par l’arrivée de régimes anti français, ont marqué une rupture avec l’héritage de la Françafrique. Ces pays ont dénoncé les accords militaires avec Paris et expulsé les forces françaises, tout en se tournant vers des partenaires comme la Russie via le groupe Wagner. Ces événements traduisent un rejet clair de l’influence historique de la France, souvent perçue comme paternaliste et incapable de s’adapter aux nouvelles aspirations souverainistes des populations locales.

Le Tchad, un allié traditionnel et dernier bastion de l’influence française au Sahel, vient lui aussi de prendre ses distances. En novembre 2024, N’Djamena a annoncé la résiliation des accords de coopération militaire avec Paris, bien qu’elle ait promis un retrait “ordonné” des troupes françaises sur un délai de six mois. Le gouvernement tchadien a insisté sur sa volonté de protéger sa souveraineté, tout en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’une rupture totale avec la France. Ce tournant reflète une volonté régionale de diversifier les partenariats et d’affirmer l’autonomie politique face aux puissances extérieures​

En parallèle, de nouveaux acteurs comme la Chine et la Turquie renforcent leur présence économique et diplomatique en Afrique. La Russie, par son influence militaire et informationnelle, se positionne comme un allié stratégique alternatif, sapant davantage l’autorité française. La montée de ces puissances concurrentes souligne la difficulté de Paris à renouveler son discours, ses alliances face à une Afrique en transformation rapide et qui cherche plus que jamais à affirmer sa souveraineté.

La situation n’est pas plus brillante au Moyen-Orient, où la France peine également à se faire entendre. Sa voix est souvent éclipsée, ses appels à la paix ignorés, et sa réputation entachée, comme en témoignent les manifestations de 2020 contre les propos du président Macron sur la liberté de blasphémer. Cette crise d’image est nouvelle dans une région où la France, il y a vingt ans encore, jouissait d’une grande estime pour sa position indépendante, notamment critique envers les excès américains.

 

Lire plus : Élection présidentielle américaine : Jeu, set et match !

 

Isolement sur la scène européenne et opportunités négligées avec le Mercosur

Au niveau européen, la position de la France paraît également en retrait. Les hésitations et l’absence de cap autour du conflit ukrainien ne lui confèrent pas l’oreille du “partenaire de référence” ; se projetant dans la construction européenne, elle témoigne d’une série d’initiatives au point mort dans le domaine militaire et énergétique, reléguant la France à l’arrière-plan. La crise politique interne depuis juin vient amplifier la situation avec Nicolas Baverez qui affirme que “pour la première fois, l’Europe se construit sans la France”.

Au-delà des théâtres traditionnels de l’influence française, un autre champ mérite d’être particulièrement mis en avant : les relations avec le Mercosur. Ce marché commun sud-américain, regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, est une zone stratégique à la fois économique et géopolitique. Depuis plusieurs décennies, l’Union européenne et le Mercosur cherchent à se rapprocher afin de trouver un accord de libre-échange. Une avancée potentielle dans le domaine des échanges commerciaux, mais qui crée de profondes oppositions, notamment en France. 

Le 6 décembre 2024, l’Union européenne et le Mercosur annoncent un accord de libre-échange en vue, à l’issue de vingt-cinq ans de discussions. Le futur accord ambitionne de créer une zone de libre-échange pour plus de 700 millions de personnes, en supprimant les droits de douane sur plus de 90 % des biens échangés entre les deux blocs. Mais la France manifeste de vives réserves. Le président Emmanuel Macron rappelle que le texte “reste inacceptable en l’état”, soulignant une possible concurrence à venir sur le front des agriculteurs français et des considérations environnementales. C’est l’échos d’un refus français, qui redoute que son contenu n’affaiblisse les normes imposées d’un côté et la souveraineté alimentaire de l’autre. 

Malgré les objections, la présidence d’Ursula von der Leyen a fait avancer les négociations. La Commission considère les opportunités économiques offertes par l’accord conclu importantes. Sa ratification doit cependant être approuvée par l’ensemble des États membres de l’UE ainsi que par le Parlement européen, à laquelle l’opposition française et celle de pays en situation similaire pourrait générer des obstacles. La France a pris de telles marges de refus qu’elle apparaît comme acteur central du blocage de cet accord ambivalent. Emmanuel Macron, pris dans la tourmente des syndicats agricoles et des écologistes, prône des garanties environnementales plus strictes. Il réitère, en novembre 2024, la nécessité de lier la ratification de l’accord à un mécanisme de sanctions lors du manquement aux engagements climatiques pris par les pays du Mercosur. Cette exigence à l’égard de la mise en œuvre du traité est jugée inacceptable par d’autres pays européens comme l’Allemagne et l’Espagne, désireuses de finaliser l’accord qui elles considèrent non seulement comme un nouveau marché d’exportation de leurs produits, mais également comme une opportunité de renforcer leur position sur une scène internationale où leur rapport de force était plutôt en déclin, tant la richesse des ressources naturelles de la région est importante. Ces différences contribuent à fragiliser la cohésion européenne, soulignant ainsi l’incapacité de la France à se fédérer autour de ses priorités. 

Le Mercosur est pourtant une occasion rêvée de redéfinir le rôle de la France à l’international. Investie dans cette région du monde, Paris pourrait davantage l’amener vers un rapprochement avec l’Amérique latine, mais aussi lui permettre d’abattre un protectionnisme à ce jour envié par d’autres pays européens, sans se voir stigmatisée comme paternaliste par ses partenaires.  

 

Le constat est sans appel : la France subit un déclassement diplomatique majeur, résultant de l’absence de vision et de la perte d’une tradition diplomatique qui en faisait autrefois une voie alternative et influente. Si les atouts et les opportunités demeurent, seul l’avenir dira si le pays saura renouer avec son succès passé.

Newsletter
Image de GEM ONU
GEM ONU