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Politiques monétaires non conventionnelles : les acteurs de l’ombre

Sommaire

Après avoir vu l’urgence de réinventer la politique monétaire conventionnelle.
Il faut s’attacher maintenant aux instruments, aux acteurs de l’ombre des banques centrales et de la politique monétaire : les politiques monétaires non conventionnelles.

Les politiques monétaires non conventionnelles se justifient lorsque la politique monétaire conventionnelle fait défaut, c’est-à-dire lorsque l’objectif, l’instrument ou le canal de transmission ne fonctionne pas. En quelque sorte, la politique monétaire non conventionnelle vient soigner, restaurer les instruments et canaux des politiques monétaires conventionnelles.

Une banque centrale peut prendre des mesures non conventionnelles dans plusieurs situations : apparition d’un risque de déflation, krach boursier ou obligataire, faillite d’un établissement de crédit de taille importante, crise de confiance du secteur financier.

Pour citer Emmanuel Carré (La BCE peut-elle sauver l’Europe ? ) : « Les politiques monétaires non conventionnelles, du fait de leur développement récent, peuvent sembler obscures. Elles s’appuient sur des mécanismes multiples, complexes et interconnectés, et surtout incertains. Pourtant, leurs fondations macroéconomiques convoquent les notions clés de déflation, trappe à liquidité, resserrement du crédit, dette-déflation, plancher zéro du taux d’intérêt. Rien de nouveau sous le soleil : ces notions renvoient à Keynes, Minsky et Fisher, ainsi qu’aux expériences de la crise de 1929 et du Japon des années 1990. ».

Cet article est donc un descriptif mais aussi un bilan des politiques monétaires non conventionnelles : ont-elles atteint leurs objectifs ? quels objectifs futurs pour la PMNC face aux défis contemporains ?

Pour répondre à cette question il faudra donc décrire les instruments de la politique monétaire non conventionnelle, les canaux de transmission qu’elle utilise, ses limites et enfin ses perspectives.

Evidemment, il faut aborder l’article avec nuances car si les banques centrales peuvent influencer la dynamique des prix, elles n’en ont pas pour autant la parfaite maîtrise. Des facteurs sont hors de son contrôle et la politique monétaire n’est pas seule et ne peut pas tout.

 

LES INSTRUMENTS DE LA POLITIQUE MONETAIRE NON CONVENTIONNELLE

L’assouplissement qualitatif

L’assouplissement qualitatif (qualitativ easing) consiste pour la banque centrale à faciliter l’accés au refinancement bancaire, en élargissant la catégorie des actifs éligibles (faible risque) que les banques sont tenues de lui apporter en échange des liquidités fournies. Quand la banque centrale opte pour de l’assouplissement qualitatif, elle encourage les banques à prendre des risques, ne pas se soucier de la qualité de leur bilan et donc accorder des prêts plus facilement.

Par exemple, la Banque d’Angleterre a lancé en juillet 2012 le Funding for Lending Scheme (FLS) afin d’encourager les banques et les sociétés d’épargne logement à prêter davantage aux ménages et aux sociétés privées non financières britanniques.

Le quantitativ easing

Le quantitativ easing consiste en L’injection massive de monnaie centrale pour augmenter les réserves des banques qui deviennent excédentaires. Les banques sont censées employer ces réserves pour octroyer d’autant plus de crédits. Cette injection massive de monnaie centrale provient d’un rachat de titres de dette publiques ou d’autres actifs financiers.

La banque centrale fait marcher la planche à billets (M0), ce que Jezabel Couppey-Soubeyran (Monnaie,Banques, Finance) appelle la « monnaie hélicoptère ».

L’image du gavage d’oie s’applique : la stratégie consiste à gaver l’économie de liquidités afin de faire de l’inflation, et donc sortir de la déflation. (MV=PT, la quantité de monnaie en circulation augmente proportionnellement les prix des biens et services).

Par exemple, durant La pandémie de Covid-19 , La Fed, la BoE, la BCE et la BOJ ont mis en place des programmes de rachats de dette massifs, comme le Pandemic Emergency Purchase Programme européen pour injecter massivement des liquidités dans l’économie et sortir de la récession. C’est d’ailleurs l’une des causes de l’inflation actuelle.

La “forward guidance :” la communication comme outil monétaire

Peu connu, la communication ou Forward guidance est un instrument en soi de la politique monétaire, remplaçant le taux d’intérêt. Cette politique monétaire consiste non pas à faire des ‘opens markets », mais des « open mouths ».

La communication consiste à annoncer que le taux d’intérêt restera très faible voire nul pendant longtemps. Cette communication ancrera les anticipations des agents à la baisse, et in fine, le taux d’intérêt baissera et l’économie pourra être relancée. Cette politique de guidage prospectif est donc fixée sur les anticipations des taux d’intérêts par les agents. Cela nécessite évidemment une grande confiance et crédibilité dans les annonces des banques centrales.

 

Des canaux de transmission de la politique monétaire réinventés

Comme souligné en introduction, la politique monétaire non conventionnelle vient restaurer voire inventer des canaux de transmissions quand ces derniers font défaut.

– Canal du taux d’intérêt : précisément sur les taux de moyen et long terme. La baisse de ces taux relance le crédit, la consommation, l’investissement et de facto l’inflation.

– Canal du bilan bancaire : Il y a un effet de substitution lors d’une PMNC : les banques récupèrent de la liquidité plutôt que des titres risqués, la qualité du bilan bancaire est donc améliorée ce qui permet aux banques d’être plus flexible sur les taux puisqu’il y a moins de prime de risque.

– Canal du prix des actifs :  Grâce aux effets de portefeuille, Après une PMNC, les liquidités récupérées par les banques sont utilisées pour réallouer le portefeuille de titres des banques notamment par l’achat d’actions. Les agents non financiers détenant des actions bénéficient d’un effet de richesse positif et peuvent alors consommer plus.

– Canal des anticipations : l’un des moyens les plus utilisés par les banques centrales est le « management des anticipations » pour influencer les taux d’intérêts, et les agrégats économiques (consommation, investissement…)

– Canal du taux de change. En rachetant des titres de dette publique des pays de la zone euro par exemple, la BCE fait baisser leurs rendements. Dès lors, les banques préfèrent investir les liquidités obtenues à la BCE dans des titres hors zone euro, plus rémunérateurs.

 

Les limites des politiques monétaires non conventionnelles

En théorie, le principal danger d’une politique monétaire non conventionnelle est l’hyperinflation.

Néanmoins, le risque est très limité : en période de crise, le comportement des agents face à l’incertitude se traduit par de l’épargne de précaution plutôt que par de la consommation génératrice d’inflation.

De l’autre côté, en période de crise les banques n’utilisent pas forcément les liquidités récupérées pour prêter. Soit par ce qu’ils préfèrent assainir leur bilan, soit par ce que les agents ne demandent pas de liquidité.
Keynes disait : « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ».

Le risque majeur paraît plutôt, à l’inverse, que les PMNC ne parviennent pas à refermer la trappe à liquidité et à sortir l’économie de la déflation, comme le montre le cas du Japon entre 2001 et 2006.

Plusieurs causes :
– Les banques préfèrent restaurer leur bilan plutôt que de prêter. Cela amène à une trappe à liquidité et une inefficacité des PMNC.

– Les ménages préfèrent épargner leur effet de richesse plutôt que de le dépenser ou d’emprunter. Dans ce cas, l’épargne de précaution augmente, le crédit stagne et la déflation perdure.

– Le bilan des banques peut devenir toxique, notamment avec des titres de dette publique de mauvaise qualité.

– Les PMNC peuvent présenter des risques pour la stabilité financière, avec la réallocation des portefeuilles des bulles immobilières et boursières peuvent se créer sur les marchés.

– Les PMNC ont des effets négatifs sur les autres pays en économie ouverte. La dépréciation de l’euro avec le canal du taux de change se traduit par une appréciation des monnaies étrangères. Cela freine leurs exportations et crée de la désinflation importée, qui peut les faire basculer dans la déflation. Ce qui peut entrainer un risque de guerre des monnaies.

– Les banques centrale dépendent de plus en plus de décisions prises par les autorités publiques. Ainsi, si les banques centrales deviennent soumises aux règles budgétaires notamment ou encore aux règles de financement de l’état. Les autorités monétaires peuvent être victime de domination financière (P.artus, Les nouvelles politiques monétaires, 2022).Ce qui rend les politiques monétaires non conventionnelles totalement inefficaces.

 

Le futur des politiques monétaires non conventionnelles

Il ne faut pas que l’exception devienne la règle. Le risque est que ces politiques monétaires non conventionnelles qui ne sont utiles qu’en temps de crise, deviennent une norme.
Néanmoins de l’autre côté, une remontée des taux d’intérêts liée à l’abandon des PMNC pourrait plonger l’économie dans une récession d’autant plus forte qu’aujourd’hui.

Les banques centrales doivent donc arbitrer entre plusieurs stratégies future. Poursuivre une PMNC accommodante avec le risque de créer des fragilités dans le système financier ou engager la sortie de cette politique accommodante avec le risque de pousser l’économie européenne dans une récession d’autant plus forte.

Les solutions possibles

Il y a alors deux orientations possibles pour le futur de la politique monétaire non conventionnelle.  Soit évoluer vers une orientation financière (faire réagir les taux aux indicateurs financiers). Soit être combinée avec une politique macro prudentielle pour agir en tant que garant de la stabilité financière.

  • Dans le cas où les banques centrales décident de prendre une orientation financière. Il faudrait dans l’idéal, rajouter à la règle de Taylor, une cible financière. (Rappel sur la règle de Taylor). Y introduire un écart financier, c’est-à-dire un écart à une cible de crédit, de prix d’actifs, et tous les autres indicateurs financiers. Cela signifie que le taux directeur devrait réagir à cet écart. Néanmoins, cette solution ne peut marcher que si les cycles financiers sont synchrones. Ce qui est le cas pour la FED mais pas pour la BCE.
  • La seconde solution est alors de mener une politique macro prudentielle coordonnée au niveau européen. Des instruments existent déjà avec la création du coussin contracyclique avec Bale III ou encore de fonds propres. Par cette solution, les banques centrales se portant garant de la stabilité financière. La régulation du cycle financier et plus particulièrement celui du crédit, agirait nécessairement sur la croissance et l’inflation. Ce qui pourrait à titre marginal, réduire les divergences en zone euro.

Finalement, le futur des politiques monétaires non conventionnelles se situe dans la création de nouveaux instruments pour obtenir des effets plus concrets et moins inégaux. Par exemple, les opérations de refinancement de long terme pourraient être revues et réinventées. En ajoutant une obligation de financement d’investissement verts. Il est aussi d’actualité de penser à la création d’un marché unique des capitaux verts.

CONCLUSION 

Pour conclure, j’aimerai finir cet article sur un extrait de discours de Christine Lagarde. Ce discours résume bien les objectifs et les défis autour des politiques monétaires non conventionnelles. “L’algèbre mondiale des politiques monétaires non conventionnelles”.

« De manière plus générale, avec les politiques monétaires non conventionnelles, nous naviguons en territoire inconnu. C’est un peu comme entrer dans une pièce obscure. Pour citer John F. Kennedy, « plutôt que de maudire l’obscurité, mieux vaut allumer une chandelle pour nous guider vers un avenir sûr et serein». Il nous incombe à tous d’allumer une chandelle dans cette pièce obscure.

Voilà notre point d’orgue.

Grâce à la coordination et la coopération internationales, nous pourrons progresser au niveau mondial. Je l’ai dit en commençant, dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, les retombées des politiques nationales, y compris celles des pays qui ont adopté des mesures monétaires non conventionnelles, peuvent fort bien avoir des ramifications qui reviennent jusqu’à leur point d’origine. Chaque pays a intérêt à se soucier des effets de ses actions au-delà des frontières. C’est dans notre intérêt à tous.

Le monde fait du surplace depuis assez longtemps. Le moment est venu pour les décideurs de nager jusqu’à la rive. »

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Martin Guerville
Je m'appelle Martin Guerville, je suis passionné d'économie et j'ai à coeur de transmettre ce savoir aux étudiants de prépa !