Depuis les débuts de l’ère atomique, l’arme nucléaire est perçue comme un instrument de dissuasion, bien plus qu’une arme réellement destinée à être employée. Elle constitue une “arme de sanctuarisation”, protégeant les États possesseurs d’éventuelles agressions, en rendant la guerre improbable mais la paix également instable, notamment entre les deux superpuissances de la Guerre froide, les États-Unis et l’URSS. Dès les années 1950, la course à l’armement nucléaire entre les deux blocs s’accélère, jusqu’à atteindre des arsenaux impressionnants : près de 40 000 têtes pour l’URSS et 30 000 pour les États-Unis à la fin de la Guerre froide.
Cependant, malgré cette prolifération interne, les grandes puissances souhaitent limiter la diffusion de la technologie nucléaire. Les États-Unis imposent ainsi des contrôles rigoureux dès l’après-guerre et participent à la création de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 1957 pour superviser l’utilisation de l’énergie nucléaire. Progressivement, d’autres pays, tels que le Royaume-Uni, la France, la Chine et Israël, se dotent également d’armes nucléaires. Cette situation mène à l’élaboration du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) en 1968, signé par de nombreux États qui acceptent de renoncer à l’arme nucléaire en échange de garanties de sécurité, d’assistance pour le développement de l’énergie nucléaire civile, et d’inspections de leurs installations par l’AIEA.
Efforts de non-prolifération et obstacles rencontrés
La signature du TNP représente un succès important pour la communauté internationale, qui tente de limiter l’accès aux armes nucléaires à un petit nombre d’États. Bien que la France et la Chine ratifient le traité tardivement en 1992, elles adoptent en pratique les restrictions internationales concernant le transfert de technologies sensibles. Durant la période de Détente, des accords de désarmement bilatéraux entre les États-Unis et l’URSS (SALT I et II, Traité INF) limitent également la prolifération nucléaire en Europe. Parallèlement, des zones exemptes d’armes nucléaires sont créées dans certaines régions comme l’Amérique latine (1967), le Pacifique (1985), et l’Afrique (1996), tandis que des accords régionaux renforcent la coopération en matière de sécurité nucléaire.
Toutefois, la prolifération continue sous différentes formes : certains États, comme Israël, maintiennent une politique de dissuasion ambiguë, alors que d’autres, notamment l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord, poursuivent des programmes nucléaires clandestins. Ces pays, qui refusent de signer le TNP ou s’en retirent, profitent de la technologie mise au point par d’autres nations pour développer leurs capacités nucléaires. Dans les années 1980, le scientifique pakistanais Abdul Qadeer Khan parvient à créer un réseau mondial de transfert illégal de technologie nucléaire, permettant au Pakistan d’accéder à la bombe atomique et exportant des composants nucléaires en Iran et en Corée du Nord. En parallèle, certains pays signataires, comme l’Iran, poursuivent discrètement des recherches nucléaires en dépit des restrictions internationales, arguant que leurs programmes sont à des fins civiles.
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Défis contemporains et incertitudes face à la prolifération
Malgré les succès de la non-prolifération, l’après-Guerre froide a vu émerger de nouveaux défis qui ébranlent le régime international de contrôle des armes nucléaires. L’effondrement de l’URSS en 1991 soulève des inquiétudes quant à la sécurité des arsenaux soviétiques, mais ces craintes sont temporairement apaisées lorsque la Russie rapatrie ses têtes nucléaires depuis l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan. Les traités internationaux de désarmement nucléaire, comme le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) de 1996 et le New Start de 2010, visent à réduire les arsenaux et limiter les capacités de production de nouveaux armements. Cependant, des freins apparaissent : le TICE n’est toujours pas ratifié par des puissances clés, et le retrait de la Russie et des États-Unis du traité INF en 2019 marque un recul dans les efforts de désarmement.
L’Asie devient le principal théâtre de la prolifération nucléaire, avec des programmes développés par l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord. Parallèlement, le programme iranien continue de susciter des tensions au Moyen-Orient, malgré l’accord de 2015 signé avec le P5+1 (les membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne). Cet accord, qui limite l’enrichissement de l’uranium par l’Iran, est remis en question par les sanctions américaines imposées en 2017, et Téhéran relance ses activités nucléaires en 2021. La modernisation des arsenaux est un autre défi majeur, avec les États-Unis, la Russie et la Chine investissant massivement dans de nouvelles technologies, notamment les mini-armes nucléaires, qui, malgré leur nom, possèdent une puissance dévastatrice. Ces armes tactiques, développées pour des missions spécifiques telles que la neutralisation d’installations souterraines, soulèvent des questions quant à une possible militarisation de l’espace.
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Conclusion
En conclusion, si la dissuasion nucléaire a permis d’éviter des conflits majeurs entre grandes puissances, elle nourrit également des ambitions de puissance et de prestige pour d’autres États, exacerbant les tensions régionales. L’arsenal nucléaire reste une arme stratégique essentielle pour les États, et les efforts de non-prolifération peinent à progresser face aux crises internationales et aux dynamiques de pouvoir en constante évolution. Le désarmement nucléaire est désormais un objectif plus lointain, et la prolifération nucléaire représente un défi persistant pour la sécurité mondiale.