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Relocaliser les industries traditionnelles : un bon choix ?

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La question de la relocalisation et de la réindustrialisation fait couler énormément d’encre dans la presse économique. Cependant, il est nécessaire de distinguer les industries où nous possédons un avantage comparatif des industries où nous avons pris du retard. 

 

Relocalisation : entre covid-19 et remise en question de la délocalisation

Les prix à la consommation continuent de grimper depuis fin 2020, portant l’inflation en France à son niveau le plus haut depuis 2008. Si l’envolée des prix de l’énergie explique une grande partie des dynamiques inflationnistes actuelles, les difficultés d’approvisionnement, les pénuries de composantes mais aussi de main-d’œuvre y participent également.

Dans ce contexte, la volonté de regagner une certaine souveraineté industrielle, à travers la réindustrialisation, serait-elle la panacée au problème du pouvoir d’achat des Français ? La crise du Covid-19 a mis à l’épreuve la résilience de nos chaînes de valeurs, tout en remettant en cause l’organisation de nos appareils productifs.

La pandémie a perturbé les chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale, en créant des pénuries pour les biens essentiels médicaux (masques chirurgicaux, appareils respiratoires, etc.). Ces pénuries ont surtout mis en exergue la forte concentration et l’interdépendance internationale des systèmes productifs, ces derniers n’étant pas en mesure d’assurer une distribution coordonnée de ces produits essentiels.

 

D’importants changements structurels

Le retour à la normale ne se fait pas non plus sans embûches. Depuis fin 2020, la vigueur de la demande des deux côtés de l’Atlantique a créé des goulets d’étranglement, les délais de livraison s’allongent et les pénuries de composants et de matériaux se multiplient. Ces perturbations pénalisent la production de nombreux secteurs et provoquent des flambées des prix. Une grande partie de ces frictions sont certes de nature temporaire, le temps que l’offre s’adapte à la demande.

Cependant, la crise a aussi déclenché certains changements structurels qui risquent de modifier notre gestion d’approvisionnement et la structure des prix. La question de la souveraineté industrielle est devenue le nouveau leitmotiv des discours politiques, au vu des pénuries associées à la crise sanitaire. De plus, la fermeture des frontières (également au sein de l’Union européenne) a favorisé un certain « repli sur soi » des pays, tout en alimentant les appels en faveur d’une défense de la souveraineté nationale.

Le protectionnisme avait d’ailleurs progressivement gagné du terrain depuis la grande crise financière (2008-2009). Les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine ou le vote en faveur du Brexit n’en sont que quelques exemples. Or la globalisation des échanges mondiaux a permis aux consommateurs du monde entier d’accéder à une grande variété de biens à moindre prix. Les gains de la mondialisation au cours des dernières décennies semblent être bien intégrés, parfois jusqu’au point d’être oubliés.

 

Illusoire de « déglobaliser »

Dans la pratique, l’accès à une indépendance économique nécessiterait le développement coûteux d’un tissu industriel sur plusieurs décennies, pour que chaque pays puisse à la fois déployer les compétences et les infrastructures indispensables. Relocaliser les industries traditionnelles pour lesquelles nous ne possédons pas d’avantage comparatif coûterait simplement trop cher. Ceci aurait bien entendu des effets négatifs tant sur les marges (la rentabilité) des entreprises que sur le pouvoir d’achat des consommateurs.

Il semble donc illusoire et quasiment impossible de « déglobaliser » le monde sans une perte massive en bien-être des populations. A revenu constant, il n’est pas certain que les consommateurs soient prêts à payer plus cher les mêmes biens autrefois importés pour la simple raison qu’ils sont produits localement.

D’ailleurs, nombreuses sont les études qui montrent un grand décalage entre les « intentions » de consommer local et les « véritables décisions » d’achat des consommateurs. De plus, la relocalisation des industries traditionnelles risque de s’opérer par une automatisation intensive, avec peu de potentiel de création d’emplois, promesse au cœur des différents discours politiques.

L’insuffisance de la demande française et européenne constitue un autre frein à la production locale de certains biens industriels à grande échelle.

Prenons l’exemple des semi-conducteurs, secteur stratégique, notamment pour l’industrie automobile européenne. La pénurie mondiale à la sortie de la crise sanitaire a mis en lumière la vulnérabilité de nos producteurs qui dépendent fortement des fournisseurs de l’Asie de l’Est pour ces intrants.

Face à ces contraintes d’offre, l’Europe s’est ainsi fixé l’objectif d’augmenter ses parts de marché mondiales dans la production de semi-conducteurs à 20 % (contre 6 % actuellement) d’ici à 2030. Or, produire à grande échelle ne serait certainement pas suffisant pour gagner en compétitivité vis-à-vis des leadeurs mondiaux tels que la Corée du Sud ou Taïwan.

A la place de se fixer des objectifs quantitatifs, il serait certainement plus stratégique pour l’Europe de s’implanter dans les segments à haute technologie où la concurrence est moins intense. La relocalisation de la production de médicaments et de substances pharmaceutiques, devenue une priorité stratégique avec la crise sanitaire, risque de produire aussi des résultats mitigés.

Tout d’abord, les exportations du secteur pharmaceutique ne représentent que moins de 6 % des exportations totales des pays européens, la part des exportations des médicaments étant encore plus limitée. Sur ces marchés fortement concentrés par nature, les relocalisations risquent d’engendrer des représailles internationales importantes (droits de douane et autres barrières non tarifaires), qui, in fine, se traduiront par des hausses significatives de prix pour le consommateur.

L’année 2020 a été le moment de vérité concernant la vulnérabilité de nos processus de production, en raison de leur forte concentration géographique – héritée de l’âge d’or de la globalisation des années 1990 et 2000. Certes, il faudrait pallier cette vulnérabilité, non pas en relocalisant sur le sol national, mais en diversifiant les risques associés aux disruptions possibles (qu’elles soient sanitaires ou climatiques).

 

Conclusion

Pour gérer la situation « d’au cas où », il est nécessaire de diversifier les sources d’approvisionnement, pour éviter de mettre tous les œufs dans le même panier. Le monde d’après sera certainement marqué par une mondialisation revisitée aux multiples facettes.

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