La question de la répression du peuple Ouïghour en Chine est de plus en plus connue du grand public mais reste tout de même assez obscure compte tenu du nombre restreint d’informations dont on dispose. Revenons sur le destin tragique de ce peuple opprimé par le Parti Communiste Chinois.
Qui sont les Ouïghours ?
Les Ouïghours sont un peuple turcophone implanté en Asie Centrale, notamment au Kirghizistan, en Ouzbékistan, au Kazakhstan mais surtout en Chine, dans la région du Xinjiang (anciennement appelée Turkestan Oriental) où ils sont environ 11 millions. Ce peuple à majorité musulmane sunnite depuis le 14esiècle, possède sa propre langue et représente une des nationalités officiellement reconnues par la République Populaire de Chine. L’ethnie Han étant largement majoritaire dans le pays (+ de 90% de la population).
Le Xinjiang : un territoire hautement stratégique pour la Chine
Le Xinjiang (qui signifie « nouvelle frontière » en chinois) devient une Province chinoise au 19e siècle après la conquête de la dynastie Qing. Il est situé dans le Nord-Ouest du pays et représente 1/6e de sa surface. Sa capitale est Urumqi. Cette région est un véritable carrefour de l’Asie Centrale car elle partage ses frontières avec 8 pays : Mongolie, Russie, Kazakhstan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Afghanistan, Pakistan et Inde. Ceci en fait donc un territoire d’une grande importance stratégique pour la Chine particulièrement pour son projet pharaonique des Nouvelles Routes de la Soie (aussi appelé One Belt One Road en anglais). Le Xinjiang faisant ainsi office de porte d’entrée sur l’Asie Centrale puis l’Europe.
La région représente également un atout important pour la Chine grâce à sa superficie et aux nombreuses ressources naturelles dont elle dispose comme le pétrole, le gaz, le charbon ou encore l’uranium. C’est par ailleurs sur le site de Lob Nor dans le désert du Taklamakan que la Chine a fait de nombreux essais nucléaires à partir de 1964. Le gouvernement chinois considère aujourd’hui que le Xinjiang appartient à part entière à la Chine depuis des millénaires, ce qui est en réalité discutable.
Lire plus : Les Nouvelles Routes de la Soie
Des relations historiquement difficiles entre les Ouïghours et la Chine
En effet, lors du deuxième congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) en 1922, l’autonomie du Xinjiang est prévue : « Établir un régime autonome en Mongolie, au Tibet et au Xinjiang musulman pour les transformer en républiques démocratiques autonomes ». Cette promesse est répétée en 1928 puis en 1931 par Mao Zedong lui-même, mettant en avant le droit des peuples à l’autodétermination. Mais alors que cette promesse peine à se concrétiser et que le chaos s’installe dans le Xinjiang, une rébellion naît et aboutit à la création de la République du Turkestan Oriental en 1933. Cette République est renversée quelques mois plus tard par un commando au nom du pouvoir chinois de l’époque.
Mais une décennie plus tard en 1944, nouvelle rébellion des élites locales qui proclament la Deuxième République du Turkestan Oriental (RTO). La république peine à se stabiliser en période de guerre civile chinoise et avec les inquiétudes de Moscou qui ne souhaite pas que cette indépendance donne des idées aux peuples turcophones vivant en Russie. C’est alors que le PCC arrive au pouvoir en 1949 et s’apprête à donner naissance à la République Populaire de Chine (RPC). Mao invite alors les dirigeants du RTO pour évoquer la question de l’avenir mais leur avion s’écrase dans des circonstances mystérieuses. Le sort du Xinjiang est alors scellé, il va redevenir une province chinoise.
S’ensuit une politique de colonisation très brutale avec une forte répression des peuples vivant dans la région. D’énormes mouvements de population sont alors orchestrés par une institution appelée le « Bingtuan » afin de renverser l’équilibre démographique de la région en faveur des Hans. Le pourcentage de Hans au Xinjiang passe de 6% à la fin des années 1970 à 40% en 1982. C’est alors toute la culture Ouïghoure qui est ciblée avec la destruction des manuels de Ouïghour, la profanation des cimetières et des mosquées, l’interdiction de la danse et de la musique Ouïghoures …
Les décennies 1980-1990 : l’escalade des tensions jusqu’au tournant du 11/09/2001
Alors que la répression s’est atténuée depuis la mort de Mao et l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1976 et que le peuple Ouïghour retrouve plus de libertés, un certain ras-le-bol refait surface. Les Ouïghours réclament des élections démocratiques au Xinjiang, mais aussi la fin des essais nucléaires, des discriminations et de la limitation des naissances. De grandes manifestations éclatent au Xinjiang pour exprimer cette colère alors qu’un puissant vent de révolte souffle sur toute la Chine, avec notamment le massacre de la place Tian’anmen en 1989.
Le peuple Ouïghour ne décolère pas, son quotidien étant rendu insupportable par les profondes inégalités dont ils sont victimes à tous les niveaux. Les manifestations sont de plus en plus régulièrement réprimées dans le sang jusqu’à ce que les forces de l’ordre reçoivent en 1994 l’ordre de tirer sur « toute personne suspecte ». Cette consigne est appliquée à la lettre en 1997 dans ce que l’on appelle le massacre de Ghulja. Des jeunes, manifestant pour plus de libertés et moins d’oppression sont férocement réprimés, et les mois qui suivent sont marqués par les nombreuses arrestations, disparitions et tortures à l’égard du peuple Ouïghour.
Et alors que les violences sont déjà très importantes, un tournant encore plus radical est pris à la suite des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. En effet, la Chine se sert de cet évènement et de la guerre totale contre « l’Axe du mal » lancée par G.W.Bush pour évoquer un certain « terrorisme ouïghour » piloté à distance par Al-Qaïda en Afghanistan. Et malgré leur refus initial, les Etats-Unis finissent par accepter qu’un groupuscule islamiste Ouïghour soit ajouté sur la liste des organisations terroristes. Ceci en échange du soutien de la Chine dans le projet américain d’invasion de l’Irak. Une aubaine pour Pékin qui peut à présent criminaliser l’ensemble de 11 millions de Ouïghours vivant dans le Xinjiang. Le moindre fait ou geste est immédiatement assimilé à un acte terroriste. Les transferts de population sont relancés pour installer des Hans au Xinjiang mais aussi dans le sens inverse pour diviser les familles et diluer la culture Ouïghoure. En résumé, tout est organisé pour faire disparaitre l’identité Ouïghoure.
Un peuple sous la surveillance absolue du PCC
Xi Jinping, l’actuel secrétaire du PCC arrive au pouvoir en 2012 et lance son projet des Nouvelles Routes de la Soie. Le Xinjiang en est une pièce essentielle donc la répression s’y intensifie pour s’assurer de sa stabilité absolue. Or, les attentats se multiplient, notamment en 2014 pendant une visite de Xi Jinping au Xinjiang. Le dispositif sécuritaire se durcit encore davantage, les condamnations arbitraires sont encore plus fréquentes et les gens sont incités à dénoncer les comportements jugés suspects (on encourage même les enfants à dénoncer leurs parents).
Xi Jinping invite les dirigeants du PCC à ne faire preuve d’aucune pitié dans le cadre de son programme de « rééducation politique et culturelle ». Le Xinjiang plonge peu à peu dans un univers complètement dystopique digne de celui décrit par George Orwell dans 1984. Les Ouïghours sont épiés jusque dans les recoins les plus intimes de leur vie à l’aide d’outils ultra sophitiqués tels que la reconnaissance faciale. Chaque geste banal du quotidien peut être qualifié de terroriste et donner lieu à une arrestation. Des données telles que l’ADN, la voix ou la démarche de chaque individu sont enregistrées pour pouvoir les tracer au mieux. Des citoyens Hans sont envoyés 5 jours tous les 2 mois dans les familles Ouïghours pour s’assurer qu’on y boit de l’alcool, fume des cigarettes, mange du porc et qu’aucun signe de la culture Ouïghoure n’est présent. Les femmes sont également abusées sexuellement. Aucune contestation n’est possible sous peine d’une dénonciation qui pourrait amener à un internement dans un des camps que le gouvernement chinois appelle « centres de formation professionnelle ».
La création des camps d’internement : outil d’extermination des Ouïghours ?
Des gigantesques dossiers sont constitués avec toutes les données récoltées sur les Ouïghours, et les individus considérés comme déviants sont arrêtés pour être « rééduqués » dans des camps où des méthodes inimaginables sont employées. Leur objectif est de laver le cerveau des personnes internées et d’en faire des serviteurs fidèles du parti. Chaque jour, ils passent des heures à réciter des slogans du PCC ou des pensées de Xi Jinping et doivent sans cesse exprimer leur gratitude vis-à-vis de lui. La torture est également monnaie courante dans ces camps, au même titre que les viols, les humiliations et les privations. De nombreuses femmes sont mêmes stérilisées à leur entrée dans les camps afin de réduire les naissances. Les personnes emprisonnées sont aussi contraintes au travail forcé dans des conditions une fois de plus désastreuses. De nombreuses entreprises mondialement connues profitent d’ailleurs de cette main d’œuvre à faible coût.
Après avoir longtemps nié l’existence de ces camps, Pékin fait volte-face en 2018 et justifie à l’aide d’une propagande forte les bénéfices de la rééducation offerte par le parti. On peut y lire que le but est de « purifier » le Xinjiang et de lutter contre l’extrémisme religieux. Des visites guidées sont organisées avec la presse étrangère pour montrer à quel point les Ouïghours sont heureux dans ces camps et y viennent même de leur plein gré. Selon les recherches, il y a plus de 400 établissements de haute sécurité et 400 000 personnes emprisonnées avec des peines souvent supérieures à 10 ans. Et lorsqu’ils sortent, les Ouïghours se terrent dans le silence par peur de revivre l’enfer, car la surveillance ne cesse jamais, et la menace plane toujours. Vivre dans le Xinjiang en 2022 signifie n’avoir aucune liberté et vivre dans la peur permanente de la violence et des condamnations arbitraires. Mais Pékin s’attache à nier toute preuve d’une répression minutieusement orchestrée contre le peuple Ouïghour en évoquant des « complots contre la puissance chinoise ».
Quelle réaction de la part de la communauté internationale ?
Longtemps, la communauté internationale n’accordait que très peu d’importance à la question Ouïghoure. La donne a changé depuis quelques années et ainsi une dizaine de gouvernements ont reconnu officiellement le génocide à l’encontre des Ouïghours. L’ONU quant à elle évoque de « possibles crimes contre l’humanité » en l’absence d’enquête approfondie sur le terrain. Les Etats-Unis ont eux aussi pris des mesures en bloquant l’import de marchandises fabriquées au Xinjiang. Toutefois, aucune instance n’a pour l’instant été en mesure de forcer la Chine à rendre des comptes sur la question.
Conclusion
Au bilan, que le massacre perpétué à l’encontre du peuple Ouïghour soit considéré ou non comme un génocide ou un crime contre l’humanité, toujours est-il que cette situation ne peut plus durer. L’opinion publique s’empare parfois de cette cause de façon temporaire mais l’opacité extrême de cette zone inaccessible empêche de prouver avec exactitude tout ce qui s’y passe. Le peuple Ouïghour lui-même n’est pas pleinement conscient de ce qui lui arrive tant la propagande est forte et l’histoire réécrite à la manière du Parti Communiste Chinois. C’est donc un peuple entier qui est maltraité et menacé de disparaître.