La nouvelle est tombée il y a peu. En 2023, l’Etat Français va emprunter 270 milliards d’euros sur les marchés financiers pour combler son déficit budgétaire. Celui-ci ne représente pas moins de 9.8% du PIB national. Ce déficit est en baisse par rapport à 2020 (il représentait alors 11.3% du PIB). Mais 270 milliards est un montant considérable, qui plus est emprunté à un taux record : 2.71%. Ledit taux n’avait pas était aussi élevé depuis 10 ans !
La conjoncture économique des 5 dernières années a donné du fil à retordre à l’Etat-Providence. Crise des gilets jaunes en 2018. Crise du Covid et politique du quoi qu’il en coûte en 2020 et 2021. Retour brutal de l’inflation en raison de la guerre en Ukraine aujourd’hui… Les postes de dépense de l’Etat ont explosé, et le Président lui-même a parlé d’une « fin de l’abondance ». Rappelons que chaque année la sécurité sociale verse 470 milliards d’euros de prestation. Cela représente plus de 25% du produit intérieur brut national, un montant significatif.
Ainsi, au prisme de ces difficultés, il est légitime de se questionner sur la capacité de l’Etat-Providence à continuer à assumer son rôle.
Comme nous allons le voir, cette interrogation ne date pas d’hier. En effet, déjà en 1981 Pierre Rosanvallon publiait La crise de l’Etat-Providence. Ouvrage dans lequel il met en exergue non pas une crise unique mais triple. Aujourd’hui cet ouvrage à plus de 40 ans, pourtant la thèse de Rosanvallon paraît éminemment d’actualité. Tout comme cette formule de Charles Schultze qu’il reprend dans son livre :
« Il y a 30 ans, l’Etat était considéré comme un instrument destiné à résoudre les problèmes. Aujourd’hui, le problème, c’est l’Etat lui-même. »
Pour avoir quelques données : la protection sociale face à la crise du COVID en quelques chiffres.
Une triple crise : la protection sociale et le Welfare State sur la sellette
Pour commencer, recontextualisons un peu. Au milieu des années 70, les pays d’Europe du Nord viennent d’être frappés par le premier choc pétrolier. Pour la première fois de l’Histoire, dépression économique et inflation vont de pair, on parle de stagflation.
Ainsi la politique de protection sociale, qui est littéralement le cœur de l’Etat-Providence, se retrouve sérieusement compromise. La question se pose quant à la capacité de ce dernier à continuer à fournir une telle protection. Laquelle est généreuse mais aussi, et surtout, dispendieuse. Globalement, le Welfare State ne semble plus avoir les moyens de ses ambitions économiques et sociales.
Au départ, une crise de financement…
Après 1973, la période de forte croissance économique des 30 Glorieuses touche à sa fin. Très rapidement, les finances publiques dérapent et deviennent déficitaires en raison de recettes qui s’atrophient. En France, le déficit de la sécurité sociale devient chronique et la dette publique explose. Elle ne représentait que 21% du PIB à la fin des années 70 contre 82% en 2009. En 2021 elle atteint même les 112.9% !
Conséquemment, l’Etat se voit contraint de mener des politiques de rigueur pour tenter de rééquilibrer la balance du budget. Celle-ci penche dangereusement vers le déficit plutôt que l’excédent. De fait, la crise de financement entrave le pouvoir social de l’Etat. Pareil constat est alarmant, mais pour continuer à avancer il faut s’intéresser aux causes, et celles-ci sont multiples. Concrètement, on peut identifier 3 types de raisons pour lesquelles la sécurité sociale devient déficitaire.
…expliquée par de multiples raisons…
- Des raisons conjoncturelles.
En fait, le ralentissement de la croissance économique a eu un double effet négatif sur les finances publiques. On parle d’effet « ciseau ». D’une part, les recettes fiscales diminuent fortement du fait de leur indexation sur les revenus. Mathématiquement, si le PIB baisse et que les prélèvements obligatoires sont indexés sur ce PIB, ils baissent eux aussi… D’autre part les dépenses ont augmenté pour lutter contre les effets du ralentissement de la machine économique. Lutte contre le chômage, lutte contre la pauvreté, lutte contre le licenciement… Ces raisons sont « conjoncturelles » car elles dépendent du climat économique en vigueur. Un renversement de la tendance peut donc améliorer la situation, au moins en théorie.
- Des raisons structurelles exogènes
Deuxième point important. Dans les années 70 puis 80 les dépenses de santé se socialisent énormément. La sécurité sociale prend en charge 85% de ces dépenses. Cela est une conséquence directe de la hausse du niveau de vie générale de la population. Laquelle vit plus longtemps et peut se permettre de jouir des dernières avancées médicales. Le prix des soins augmentent fortement, parallèlement au nombre de retraité. Le fardeau pèse lourd sur les épaules de plus en plus fragiles des finances publiques. On estime que les dépenses de santé d’un individu arrivé dans sa dernière année de vie dépasse 80% de ses dépenses totales de santé !
- Des raisons structurelles endogènes.
Ici, la raison est endogène car elle a à voir avec le modèle de protection sociale choisi par la France. Lequel est généreux mais dispendieux. Cette forte protection sociale entraîne un coût du travail élevé qui n’incite pas à l’embauche et favorise le chômage. Les cotisations coûtent trop cher et il n’y a pas assez de cotisants, les ressources sont nécessairement déficitaires. De plus, les indemnisations sont elles aussi trop élevées et entretiennent un chômage de long terme. On parle d’effet d’hystérèse ou de noyau dur du chômage.
…suivie par une crise d’efficacité puis de légitimité.
Les années 80 signalent un retour en force de la théorie libérale et le rejet du keynésianisme. La Grande-Bretagne de Margaret Thatcher en est l’exemple par excellence. Beaucoup de politiciens influencés par les idées libérales arrivent au pouvoir et ne se gênent pas pour pointer du doigt l’inefficacité du Welfare State. Ce dernier ayant échoué à atteindre ses principaux objectifs. Globalement, le chômage n’a pas été endigué. Les inégalités n’ont pas été réduites et se sont même accrues. Le niveau de pauvreté est toujours flagrant. L’ascenseur social est en panne. La dernière crise peut être interprétée comme le résultat logique des deux premières. Un système déficitaire et inefficace sera de facto considéré comme illégitime.
En réalité, la critique porte surtout sur la situation d’ « assistanat » . Celle-ci encouragerait l’inactivité plus qu’elle n’aiderait les individus. La critique est avant tout émise par les classes moyennes. Lesquelles sont assez « riches » pour supporter les frais de la protection sociale mais pas assez « pauvres » pour en bénéficier. Concrètement, la protection sociale serait responsable de l’existence de trois trappes aux effets délétères.
- La trappe à inactivité
Elle serait le résultat de minimas sociaux trop élevés par rapport aux revenus d’activité. En clair, les inactifs ne seraient pas encouragés à chercher du travail.
- La trappe à chômage
Elle serait le résultat d’allocation chômage trop élevées, encore une fois comparées aux revenus du travail. Les chômeurs seraient donc incités à rester au chômage.
- La trappe à pauvreté
Ici, ce seraient les individus ayant un emploi faiblement rémunéré qui seraient désincités à travailler plus ou chercher un meilleur travail. En effet, des revenus d’activité plus élevés leur feraient perdre un certain nombre d’aides.