Sociologie appliquée à l’économie #02
L’ESH est une matière regroupant trois disciplines : l’Economie, la Sociologie, et l’Histoire. On peut également y intégrer le sigle MC pour Monde Contemporain. Si l’économie semble occuper une grande partie du programme de cette matière, et que les sujets de concours tournent très souvent (pour ne pas dire tout le temps) autour de ça, il ne faut pas pour autant négliger les autres disciplines, notamment la sociologie. En effet, l’utilisation de références sociologiques permet toujours, si elles sont bien exploitées, de se différencier auprès des correcteurs, en montrant que l’on prend en compte les différentes disciplines de la matière.
Cependant, un problème se pose souvent : comment utiliser de manière intelligente une référence sociologique pour un sujet très axé sur l’économie ? Cet article va tenter d’élucider ce problème, en proposant des liens qui peuvent être faits entre des références sociologiques et des notions du programme d’économie.
1) Robert Merton, Eléments de théorie et Méthode sociologique (1965)
Dans cet ouvrage, Robert Merton énonce le Théorème de Thomas. Ce théorème est tiré d’une idée formulée par William Thomas dans les années 1920, et que le sociologue a formulé comme théorème. L’idée principale énoncée par Thomas est que les individus adoptent un comportement en fonction de la représentation qu’ils se font d’une situation, même si elle est fausse. Merton reformulera cela comme suit : « lorsqu’une situation est considérée comme réelle par les individus, elle l’est dans ses conséquences ».
Cette hypothèse, qui part de l’étude du comportement des agents (comme le veut la méthode sociologique), est très intéressante. En effet, elle permet d’expliquer nombre de phénomènes économiques, que vous pouvez retrouver dans beaucoup de parties de votre programme d’économie, notamment dans les chapitres ou parties concernant les crises financières, qui tiennent une place importante dans le programme d’ESH.
Nous pouvons alors penser que c’est ce phénomène qui agit dans certaines situations. Par exemple :
- les crises bancaires peuvent avoir comme origine un bank-run (notion étudiée dans le programme de première année), qui trouve son origine dans ce comportement des agents, et donc dans le théorème de Thomas. En effet, lorsque les déposants d’une banque pensent que leur banque fait face à des difficultés, ils s’empressent de venir retirer leur argent, plongeant réellement la banque dans une situation d’illiquidité. Comment faire alors pour éviter que la situation considérée comme réelle par les individus ait un impact réel ? En limitant l’incertitude des agents, comme l’a fait l’Etat en 1999 en mettant en place une loi garantissant 100 000 euros de garantie par déposant en cas de faillite de leur banque.
- il peut en être de même pour les crises de change (notion du programme de deuxième année), étudiées par Krugman et Obstfeld, pour qui les attaques spéculatives visant à retirer massivement les capitaux d’un pays font suite à une perte de confiance de la part des opérateur financiers en le système bancaire ou en les politiques macroéconomiques mises en place par le pays dans lequel ils investissent. Ces comportements ont des conséquences néfastes pour les pays concernés (entre autres, effondrement de la monnaie nationale).
Dans ces deux cas, les choix des agents (les déposants d’une banque ou les opérateurs financiers) tirent leur origine d’une situation considérée comme réelle (alors qu’elle ne l’est pas forcément), et a des conséquences (plutôt néfastes) sur l’économie réelle.
2) Alain Touraine, La conscience ouvrière (1966)
Dans cet ouvrage, le sociologue Touraine montre qu’un mouvement social doit vérifier trois principes :
- identité (qui sommes-nous?)
- opposition (qui combattons-nous?)
- totalité (comment voulons-nous changer la société?)
Pendant un certain temps, les mouvements sociaux ont permis de nombreuses avancées. Ce fut notamment le cas pendant les 30 Glorieuses, période durant laquelle le groupe ouvrier était très puissant, regroupant plus de 9 millions de travailleurs (contre 5 millions en 2019). Les ouvriers, essentiels à la reconstruction d’après-guerre et au développement industriel soutenant la croissance économique (plus de 5% de croissance du PIB en France durant cette période) avaient donc les moyens de faire pression sur les patrons, créant une conscience de classe (Marx). De plus, la création de syndicats (FO, CFDT etc..), a notamment induit une montée des salaires et une mise en place de congés payés.
Nous pouvons alors mener une réflexion historique et actuelle afin de mettre en relation cette analyse sociologique d’un mouvement social, et les répercussions économiques que cela peut avoir.
A)Parallèle historique :
A l’issue des 30 Glorieuses, la montée inexorable des salaires qu’il y avait eue pendant cette période s’est traduite par une explosion de l’inflation, qui a cessé d’être maîtrisée par la forte productivité qu’il y avait auparavant. Cette réflexion peut être menée grâce à l’étude de la courbe de Phillips (1958), qui explique notamment avec le NAIRU (None Accelerating Inflation Rate of Unemployment/Taux de chômage n’accélérant pas l’inflation) que grâce à une forte productivité, une situation de faible chômage et de salaires élevés ne se traduisait pas par une inflation excessive. Ainsi, le mouvement social des ouvriers, puissant et efficace si l’on en suit les trois principes de Touraine, a eu pour corolaire de provoquer une forte inflation structurelle lorsque la productivité a diminué à la fin des 30 Glorieuses.
B)Parallèle actuel :
Aujourd’hui, Touraine explique qu’il n’y a pas de mouvements contestataires aussi forts que le mouvement ouvrier. La réflexion peut alors être menée autour des salaires et de l’inflation. En effet, la très faible inflation que nous observons aujourd’hui dans beaucoup de pays développés a plusieurs explications, qui sont détaillées dans le programme de 2ème année. Ici, c’est une explication structurelle du manque d’inflation qui peut être mobilisée. En effet, les mouvements sociaux étant moins forts, les salaires ont du mal à progresser, et donc l’inflation peut avoir du mal à redécoller. C’est notamment ce qu’expliquent Artus et Virard dans 40 ans d’austérité salariale : comment s’en sortir ? (2020). Si nous poussons la réflexion, cela interroge également sur le rôle des banques centrales, notamment de la BCE qui met en œuvre tous les moyens possibles pour retrouver la cible d’inflation de 2%. De fait, dans quelle mesure une banque centrale peut mettre en place des mesures qui dépassent de telles évolutions structurelles ? Cette réflexion n’est qu’une prémisse, et doit évidemment être approfondie par des auteurs et mécanismes importants du programme d’ESH.
Pour conclure, ces courts paragraphes peuvent être appris, approfondis si nécessaire, et utilisés en dissertation s’ils apportent un argument pertinent et en adéquation avec le sujet.