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L’enjeu de la souveraineté nationale et de la dépendance énergétique à travers Jean-Marc Jancovici

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Alors que le monde semble faire face à une crise de la mondialisation ces dernières années, le discours sur la souveraineté nationale est de nouveau dominant dans tous les débats économiques. Les chaînes de valeur mondiales, symboles de la prospérité de la planète au cours des dernières décennies, se révèlent être des géants aux pieds d’argile face à l’endurance de toutes sortes de catastrophes – qu’elles soient économiques, énergétiques ou sanitaires. Aujourd’hui, les nations se demandent si elles sont suffisamment indépendantes de leurs voisins en ce qui concerne l’énergie, la nourriture et, dans certains cas, la technologie. Cependant, une question clé reste en suspens : peut-il y avoir une sorte de souveraineté à part entière dans un monde inégal où les ressources et les capacités de production sont distribuées disproportionnellement ?

C’est ici que Jean-Marc Jancovici, ingénieur et analyste des enjeux énergétiques, intervient avec une thèse provocatrice et réaliste : il soutient que la souveraineté énergétique totale est une illusion pour des pays à forte consommation comme la France, et que la dépendance aux importations est une conséquence directe de notre niveau de vie actuel.

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L’empreinte carbone, une analyse énergétique de la souveraineté

Pour bien comprendre la thèse de Jancovici, il faut d’abord saisir son concept central : l’empreinte carbone en tant que proxy de notre consommation énergétique totale, et donc de notre dépendance aux ressources extérieures. L’approche de Jancovici repose sur une idée simple mais puissante : chaque activité humaine nécessite une consommation énergétique, et cette énergie est, pour l’essentiel, d’origine fossile. Ainsi, au lieu de se concentrer uniquement sur des indicateurs économiques traditionnels (PIB, inflation), Jancovici propose une lecture énergétique de l’économie, en observant le lien direct entre consommation et dépendance énergétique.

Dans une version simplifiée, on pourrait dire que plus un pays consomme d’énergie (en grande partie importée), plus il dépend de l’extérieur et limite sa souveraineté. La « dépendance énergétique » se définit alors par un ratio de consommation d’énergie par rapport à la production intérieure d’énergie. En France, par exemple, la dépendance énergétique s’évalue par le rapport de la consommation totale d’énergie nationale, soit environ 234 Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole) par an, à sa production intérieure, largement inférieure, en raison de la forte importation de combustibles fossiles.

Dans ses écrits, Jancovici présente cette relation sous forme de fonction mathématique simple qui lie la croissance économique (Y) à la consommation énergétique (E) par une constante d’élasticité η :

Y = η × E 

Plus le pays souhaite augmenter son PIB (Y), plus il doit augmenter sa consommation énergétique (E), ce qui exacerbe la dépendance aux ressources énergétiques extérieures. La souveraineté énergétique totale serait donc impossible si l’on considère une consommation qui dépasse de très loin ce que les ressources nationales peuvent fournir.

Imaginons un modèle où un pays souhaite atteindre une souveraineté énergétique en réduisant sa consommation énergétique importée. On peut définir sa souveraineté comme étant égale à l’inverse de la dépendance énergétique (D), soit :

S = 1/D

Or, D peut être calculé comme le ratio de l’énergie importée (Eimport​) à la consommation énergétique totale (Etotal​) :

D = Eimport /Etotal

Ainsi, pour atteindre une souveraineté de 1 (indépendance énergétique), il faudrait que  Eimport=0. Cependant, dans la réalité, la France, avec une production intérieure limitée en ressources fossiles et en énergies renouvelables intermittentes, se trouve contrainte d’importer une grande partie de son énergie, notamment le gaz et le pétrole. La France est donc loin d’atteindre une souveraineté énergétique totale, car elle ne peut, en l’état actuel, produire suffisamment pour subvenir seule à ses besoins.

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Citation punchy

« La souveraineté est un mirage dans un monde où l’énergie nécessaire à notre confort provient massivement de l’importation de combustibles fossiles. » (Jancovici, Dormez tranquilles jusqu’en 2100 (2015), chapitre 3)

La dépendance énergétique française en chiffres

Pour illustrer cette thèse à un autre exemple, nous pouvons prendre la situation énergétique du pays. En effet, d’après les données du ministère de la transition écologique et solidaire, en 2021, la France a importé 99% de son pétrole et 98% de son gaz. En 2020, l’énergie fossile importée consommée a été d’environ 117 Mtep, tandis que la production énergétique nationale était, hors nucléaire, restée en-dessous de 20 Mtep. Cet écart important montre de façon appropriée comment le pays est structurellement dépendant de ses alliés commerciaux pour garantir son financement énergétique.

Les conséquences de cette irrégularité sont donc d’importantes souffrances économiques. La nation se retrouve à la merci des fluctuations des prix de l’énergie, qui affectent l’inflation ainsi que le pouvoir d’achat intérieur. Ainsi, en 2022, la crise ukrainienne a fait grimper les prix de l’énergie en Europe, augmentant la facture énergétique de l’hexagone de 50% en une année. En effet, cette dépendance structurelle réduit sa capacité à mener une politique souveraine dans le domaine, exposant ses choix géopolitiques et économiques à des pressions extérieures.

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