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La technique en philosophie : les principales thèses

Sommaire
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Cet article s’intéresse aux thèses philosophiques sur la technique. Cette dernière façonnant le monde humain, il est essentiel de l’analyser.

 

SPINOZA, Traité théologico-politique, Chap.V : l’utilité de la société

A la manière de Platon et Aristote qui voyaient dans la Cité la seule voie pour parvenir au bonheur, Spinoza loue les avantages de la société. “Ce n’est pas seulement parce qu’elle protège contre les ennemis que la société est très utile et même nécessaire au plus haut point, c’est aussi parce qu’elle permet de réunir un grand nombre de commodités.” En effet, une société réunit un ensemble d’individus complémentaires.

Ensemble, ils forment un tout organisé et cohérent, d’une efficacité aucunement atteignable par un seul homme. En effet, nul ne peut cumuler toutes les fonctions nécessaires à la vie en société. Ainsi, les hommes ne peuvent vivre hors de la société (à moins de perdre leur qualité humaine).

 

HEGEL, Leçons sur la Philosophie de l’Histoire : l’outil est le miroir de l’esprit

L’homme est avant tout travailleur et technicien. Il a prouvé par l’expérience l’éminente dignité des instruments qui permettent d’humaniser le monde, cela signifie s’y sentir toujours plus comme les maîtres. “L’outil est la ruse de la raison par laquelle la nature est tournée contre la nature.” écrit Hegel.

Pour rappel, ce philosophe place l’Esprit au-dessus de la matière, au-dessus de la nature. Ainsi, “un instrument inventé par l’homme est plus haut qu’une chose de la nature, car il est une production de l’Esprit.” En résumé, l’outil est une manifestation physique de l’esprit pour dompter la nature. 

 

BERGSON, L’évolution créatrice : “L’intelligence a pour objet le solide inorganisé.”

Chez Bergson, l’intelligence désigne la faculté, l’outil permettant à l’homme de dominer le monde. Néanmoins, elle ne s’exerce que sur la matière brute dont elle ne retient que le stable. “L’intelligence vise d’abord à fabriquer”, ce qu’il y a de fluide, de mouvant dans le réel lui échappe en partie. En d’autres termes, l’intelligence n’est pas adaptée au flux et au devenir. C’est le rôle de l’intuition bergsonienne d’accéder à la dimension spirituelle du réel. 

 

BACON, Novum organum : “On ne peut vaincre la nature qu’en lui obéissant.”

La technique permet à l’homme de dompter le réel. Cependant, elle ne se dresse pas face à la nature mais lui obéit. Plutôt, elle se sert de la nature pour pouvoir la vaincre. En effet, “l’homme n’étend ses connaissances et son action qu’à mesure qu’il découvre l’ordre naturel des choses, soit par l’observation, soit par la réflexion.”

Sans connaissance de la nature, il m’est impossible de la diriger. Or, c’est là l’importance décisive des instruments : “les instruments de l’esprit l’aident à saisir la vérité ou à saisir l’erreur.” Ainsi, la découverte des causes naturelles nous apporte science et technique, lesquelles permettent de vaincre la nature. 

 

DESCARTES, Discours de la Méthode, Tome I : “Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.” 

La technique et les outils ont pour Descartes un objectif moral : celui d’améliorer les conditions de vie des hommes. La connaissance de la physique doit nous permettre de maîtriser et posséder la nature. Le premier but est d’abord de protéger la santé de l’homme, que Descartes considère comme “le premier bien et le fondement de tous les autres”. En bref, la physique se doit d’être pratique, son action est loin d’être inutile et abstraite.

Lire plus : Le monde totalitaire selon Arendt : La nature du totalitarisme (1/2)

 

COMTE, Cours de philosophie positive : “Science d’où prévoyance: prévoyance d’où action”

Dans cet ouvrage, Comte décrit les trois états de la science. Dans l’état théologique, l’esprit humain tourne ses recherches vers les connaissances absolues, seules qui ne sont pas subordonnées aux phénomènes naturels. L’état métaphysique désigne quant à lui la croyance en des entités. Enfin, l’état positif, stade final, est celui dans lequel s’effectue la recherche des lois de la nature.

“Science d’où prévoyance: prévoyance d’où action” : la science permet l’action par la prévision. L’exemple le plus flagrant est la météorologie, dont le but est précisément de prévoir, mais cela s’applique à toute science. En effet, les connaissances naturelles, loin d’enchaîner l’homme à un aveugle destin, le libère en lui permettant de prévoir. A travers cette pensée, savoir et pouvoir sont réunis et ne forment qu’un. 

Pour Comte, “les sciences ont une destination plus directe et plus élevée : celle de satisfaire au besoin fondamental qu’éprouve notre intelligence de connaître les lois des phénomènes”. En résumé, le but des sciences est de satisfaire notre besoin de savoir avant tout. Connaître et agir sont les buts fondamentaux de la science.

 

ROUSSEAU, Discours sur les Sciences et les Arts : les effets du progrès

A l’inverse de Descartes, Rousseau critique fortement la technique et tout ce qui touche à la société. Selon lui, le progrès corrompt l’homme naturel. L’entrée dans l’état civil était déjà une grande perte de liberté et les avancées techniques n’arrangent pas la situation. Plus les sciences et les arts se sont perfectionnés, plus la morale a régressé, constate Rousseau.

“Nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection.” Il ajoute : “On a vu la vertu s’enfuir à mesure que la lumière s’élevait sur notre horizon”. Si pour le philosophe français le progrès de la connaissance est responsable de la dépravation des mœurs, Kant y voit plutôt une forme de prise de conscience grandissante.

Dit autrement, ce qui autrefois nous paraissait bon peut être vu comme immoral après évolution de notre mentalité, de nos normes sociales. Pour Kant au contraire, le progrès pousse l’homme vers la vertu.

BOUTOT, Heidegger, “Que sais-je” : la technique opère dans le vide de l’être

Pour Heidegger, l’essence de la technique manifeste un vide spirituel, un oubli de l’être, elle exprime la détresse de notre temps. De son temps en particulier, ce philosophe a vu comment l’homme a dévasté la terre et organisé, par la technique, la pénurie spirituelle.

La technique exprime le vide ontologique le plus total, elle menace l’homme dans sa relation à l’être. Il écrit donc : “La technique met l’homme en péril”, elle menace “l’essence pensante de l’homme” et son rapport à l’être. A cause de la technique moderne, “l’homme erre dans un non-monde.”

WEBER, Le savant et le politique : la science désenchante le monde

Les progrès scientifiques désenchantent le monde. Ils sont sans cesse dépassés par de nouveaux.  La science obéit aux lois du progrès. Elle est une occupation qui n’a et ne peut avoir de fin. Contrairement à la pensée de Descartes, la science n’a ici que des buts techniques et pratiques.

“Tout cela n’a de signification que pour “l’homme de la pratique””, écrit Weber. L’homme de science recherche la science pour la science elle-même, laquelle fait partie d’un processus d’intellectualisation du réel. Celui-ci n’améliore pas notre connaissance de nos conditions de vie.

Faisant ainsi, nous expulsons du monde toute puissance magique, toute mysticité. Les mystères qui autrefois nous échappaient en sont réduits à n’être que de simples phénomènes physiques. La technique construit un monde désenchanté. Il s’agit d’un monde “sans magie” (Catherine Colliot-Thélène, spécialiste de la pensée de Weber).

 

JONAS, Le principe de responsabilité : l’éthique et les menaces mortelles de la technique

Constatant lui aussi les dangers de la technique humaine sur la nature, Jonas élabore une pensée morale. Une éthique est exigée face au déchaînement du prométhéisme. En effet, la technique ne se contrôle plus, devenant un danger menaçant l’humanité entière et son essence. Cette technique est dépourvue de morale. Ce monde nouvellement créé, le monde moderne, “la terre nouvelle de la pratique collective […] est encore une terre vierge de la théorie éthique.”

La technique a bouleversé nos principes éthiques et met notre humanité en péril. Jonas lance une injonction : la technique doit préserver une vie authentiquement humaine. Pour ce faire, il faut l’encadrer d’une éthique, d’un principe de responsabilité.

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Gabin Bernard