Le nom Ortega ne vous est sûrement pas étranger. Attention cependant à ne pas confondre les Ortega d’Espagne— les fondateurs du groupe Inditex— avec la famille du dictateur nicaraguayen Daniel Ortega. C’est de ce dernier ainsi que des membres de sa famille dont nous allons parler dans cet article.
Ses membres :
Daniel Ortega : au pouvoir depuis 1979, c’était un des leaders du front sandiniste et celui à l’origine de la révolution sandiniste qui a fait chuté la dynastie Somoza en 1979. Il est président de la République de 1985 à 1990, puis est réélu en 2007, 2011, 2016 et enfin en 2021. Il brigue alors son cinquième mandat et son quatrième consécutif.
Rosario Murillo : poétesse et militante issue d’une famille aisée, elle rencontre Daniel Ortega lors de son exil au Costa Rica. Elle doit son exil à son engagement militant et à son intégration dans le journal dissident La Prensa. Elle y travaille en effet à partir de 1968 aux côtés de Pedro Joquín Chamorro. Depuis le second mandat de son mari, elle a pris le poste de porte-parole du gouvernement auquel s’est ajouté celui de vice-présidente suite à la victoire de son mari lors des élections de 2016. C’est donc elle qui gère toute la communication du gouvernement et s’occupe également, dès qu’elle en a l’occasion de décrédibiliser l’opposition. Sa présence sur la scène médiatique est telle que pour certains elle incarne le vrai pouvoir politique. « La Chayo » —son diminutif—, apparaît en effet beaucoup plus souvent que son mari qui est considéré comme plus introverti.
Zoilamérica Ortega : elle est la fille de Rosario Murillo issue d’une précédente union. En 1998 elle décide de porter plainte contre son beau-père pour « attentat à la pudeur, harcèlement sexuel et viol ». En effet, elle raconte les abus qu’elle a subi de sa part durant son enfance. Sa mère ainsi que ses frères et soeurs rejettent les accusations. Sa mère la chasse sans scrupule du domicile familial en 1990.
Laureano Ortega : selon certains médias il est le digne successeur de ses parents. C’est lui qui gère les relations diplomatiques. C’est le sixième de leurs 9 enfants mais tous les autres occupent eux aussi une place au sein du gouvernement ou dans de grandes entreprises— à l’exception de Zoilamérica.
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La dictature de Somoza :
Pour comprendre comment Daniel Ortega s’est hissé à la tête de l’exécutif, il est nécessaire d’expliquer quelques éléments de contexte. Lorsque Ortega accède à la présidence, nous sommes en 1979. Cette année-là, le mouvement sandiniste renverse le pouvoir en place, le « président » Anastio Somoza. Considérée, au moins par les sandinistes, comme une dictature, cette famille s’est succédée au pouvoir pendant 43 ans, de 1937 à 1979. Les trois « présidents » qui se sont succédés, ont mené une politique de répression envers les opposants. Ils se sont appropriés les richesses du pays, notamment les terres cultivables, tout cela avec le soutien des États-Unis. En effet, les Américains se sont toujours assurés qu’un Somoza ou du moins qu’un proche de la famille accède au pouvoir dès que le président en fonction décédait. Un des plus gros scandales de leur règne et qui a eu pour conséquence de provoquer le soulèvement de la population eut lieu en 1972. Le pays fut à cette époque, touché par un violent tremblement de terre. Au lieu d’aider son peuple, Anastio Somoza —fils— détourne une grande partie de l’aide internationale. Le peuple commence à se rebeller et 7 ans plus tard aura lieu la révolution. Depuis maintenant 35 ans, le 17 juillet est connu sous le nom de « día de la alegría ». C’est ce jour-là que Somoza a décidé de prendre la fuite vers le Paraguay avec les caisses de l’État suite à la victoire des sandinistes.
Le mouvement sandiniste :
Qui sont donc ces sandinistes, ceux au pouvoir depuis qu’ils ont renversé la dictature Somoza ? Le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) est fondé en 1961 d’après les idéaux d’Augusto Sandino. C’est un mouvement d’inspiration cubaine et marxiste qui prône la révolution communiste étape par étape. C’est la principale forme d’opposition qui existe contre le pouvoir des Somoza à l’époque. Du moins, avec le journal La Prensa ce sont ceux qui parviennent à revendiquer leur opposition. Le journal La Prensa est dirigé par Pedro Joaquín Chamorro — le mari de Violeta Chamorro. Cette figure imminente est assassiné en 1978 ce qui met le feu aux poudres. Leurs actions, bien que nombreuses ont en général peu de succès ou du moins ne leur permettent pas d’enrôler assez de nouvelles recrues. En 1974 cependant, le mouvement sandiniste prend réellement de l’ampleur. Cette année-là, le groupe organise une prise d’otages qui fonctionne plutôt bien. En effet, les guérilleros pénètre de force dans la maison d’un ministre et prenne en otage tous les invités présents. Ils exigent en échange la libération de plusieurs de leurs prisonniers —dont Daniel Ortega—, chose qu’ils obtiennent.
Cette entreprise marque un tournant dans l’organisation du FSLN. En 1975, le parti décide de se séparer en 3 branches : la tendance prolétarienne : il faut se concentrer sur les syndicats urbains et ruraux pour soulever les foules, la guerre populaire populaire prolongée : pour qui il faut se concentrer sur la mobilisation des populations rurales, isolées afin de monter petit à petit une armée capable de battre la Garde Nationale, et enfin la tendance terceriste — dirigée par les frères Ortega (Humberto et Daniel) : pour eux, toute alliance avec des opposants de Somoza est utile à la révolution. De base, l’opposition est divisée mais la répression a contribué à l’unifier.
Une fois au pouvoir en 1979, le front sandiniste n’en a pourtant pas fini de se battre. En effet, cette révolution populaire inquiète grandement les États-Unis qui décident alors de financer des groupes armés contre-révolutionnaires, les Contras. Après 11 ans de guerre civile et plus de 30 000 morts, Daniel Ortega s’installe définitivement au pouvoir.
La politique de Daniel Ortega :
Globalement, aujourd’hui, tout ce qui a porté la révolution sandiniste a disparu. Tout ce que les guérilleros critiquaient dans le régime des Somoza a été reproduit par Ortega.
Bien qu’Ortega se proclamait comme chaviste, qu’il entretient encore aujourd’hui d’excellentes relations avec le Venezuela et que ses relations avec les États-Unis sont encore tendues, cela ne l’a pas empêché de favoriser l’implantation de grandes entreprises américaines sur son territoire, notamment dans le domaine du tabac, ou de firmes chinoises.
Désormais, l’opposition n’existe plus, Ortega et sa femme contrôlent tous les pouvoirs, aussi bien l’exécutif que le législatif. Rien ne les arrête et ils peuvent démettre n’importe quel député un peu trop contestataire sans autre forme de procès. La presse est quasiment entièrement censurée. Les enfants d’Ortega contrôlent la majorité des médias. Seuls trois médias indépendants subsistent et du fait de leur statut, ces médias n’ont pas accès aux évènements officiels et voient leur activité restreinte. L’opposition déjà réprimée et contrôlée peine à s’organiser car il faut tout reprendre du début. Il est difficile pour eux de construire quelque chose quand ils savent que la moindre communication risque de leur attirer les foudres du gouvernement.
Le couple Ortega pratique souvent des politiques populaires pour s’attirer les bonnes grâces du peuple : politique de lutte contre l’analphabétisme —sur le modèle de Cuba—, tests de dépistage de VIH gratuits, programmes sociaux accessibles à tous. En réalité, ce volet social est loin d’être dépourvu d’un volet politique. Ces mesures censées bénéficier à tous sont en réalité distribuées à condition d’être un fervent partisan d’Ortega ou d’avoir sa carte du parti. Les plus fervents partisans peuvent même bénéficier de petits extras, comme des aides matérielles supplémentaires.
En 2018, de violentes manifestations ont lieu. À l’origine : une réforme des retraites dont les conséquences sont d’augmenter le montant des cotisations sociales mais de diminuer le montant des pensions. Malgré le retrait du texte, les contestations ont perduré, réclamant la démission du président et faisant 328 morts.
Concernant sous pouvoir politique, Ortega s’est converti petit à petit en « caudillo ». En 2014, il parvient à modifier la Constitution — moment tragique qui marque le basculement dans la dictature— ce qui lui permet deux ans après de briguer un troisième mandat. Il peut désormais être élu indéfiniment.
En 2021, de nouvelles élections qualifiées de frauduleuses ont lieu. Elles conduisent Daniel Ortega au poste de président pour la quatrième fois. Cette victoire ne fut obtenue qu’au prix de l’enfermement de tous ses opposants politiques dont Cristiana Chamorro, la fille de Violeta et Pedro Joaquín Chamorro. Ces prisonniers politiques ne sont d’ailleurs pas reconnus comme tels à l’étranger car Ortega s’assure de les arrêter au motif de « trafic de drogue ». La communauté internationale pense donc que les prisons nicaraguayennes regorgent de narcotrafiquants. En dépit de ses pratiques anti-démocratiques et très souvent condamnées par les organisations de défense des droits de l’homme, lors des élections de 2021, certains pays ont tenu à féliciter Ortega pour sa victoire : le Venezuela, Cuba, la Russie, la Bolivie.
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Les Chamorro :
Le couple Chamorro est un duo emblématique de la lutte sandiniste contre Somoza. Le couple est composée de Pedro Joaquín Chamoro, directeur du journal indépendant La Prensa — et mort assassiné en 1978 par la dictature— ainsi que de Violeta Chamorro, une des figures représentatives de l’ancien parti sandiniste.
Après la victoire sandiniste, Violeta décide de s’engager dans la vie politique puisqu’elle peut enfin le faire de manière légale. Après un premier mandat de Daniel Ortega, elle est élue en 1990 avec son parti UNO —Unión Nacional Opositora. Bien qu’ancienne camarade d’Ortega, son parti est plutôt opposé à la nouvelle direction qu’a décidé d’emprunter le nouveau mouvement sandiniste. En effet, elle a quitté le mouvement sandiniste en 1980 en raison de désaccords idéologiques et commence à critiquer ce nouveau chemin à travers le journal La Prensa qu’elle dirige. Elle reste au pouvoir jusqu’en 1996.
Depuis 1996, elle n’est pas réapparue dans la sphère politique mais ne s’est pour autant pas fait oubliée en restant à la tête du journal toujours indépendant : La Prensa. Le bilan de sa politique ne fut en effet guère encourageant. Finalement, on observe une baisse du PIB et de l’IDH.
En 2021, sa fille Cristina Chamorro est interdite d’exercer tout mandat politique et est assignée à résidence pour « blanchiment d’argent ». Le jour d’un interrogatoire, la police perquisitionne du matériel dans les locaux de la chaîne médiatique de son frère.
Conclusion :
Quand on s’intéresse à la politique en Amérique latine, il est impossible de passer à côté de la famille Ortega. Un couple de dictateurs qui règne sur le pays depuis maintenant 11 ans et ce malgré les nombreuses contestations populaires mais également les condamnations d’une grande majorité des pays occidentaux.