Alors que, à l’échelle mondiale, le taux d’émission annuel de CO2 par habitant s’élève à 4,6 millions de tonnes, il peut nous paraître essentiel d’agir en faveur de la transition écologique, notamment parce que cette dernière permettrait de diminuer le taux de gaz à effet de serre.
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La transition énergétique, néfaste pour la croissance ?
De prime abord, développer les secteurs protégeant l’environnement peut apparaître un coût important. En effet le rapport de l’IGF (Inspection Générale des Finances) évalue à 6 milliards d’euros les investissements indispensables pour s’adapter au changement climatique et préserver la qualité de vie des écosystèmes, et à 15 milliards d’euros pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Or, certains pays sont largement endettés, ce qui pourrait ralentir la transition. Par exemple, la dette française s’élève actuellement à 147,7 milliards d’euros, et risque d’augmenter du fait des diverses crises que traverse le pays. Investir dans des secteurs tels que la transition énergétique ou les innovations vertes peut alors sembler impossible ou du moins malvenu au vu de la conjoncture économique actuelle. Si l’État soutient ce type d’activité en mettant en place des politiques publiques, la dette se creusera, ce qui se répercutera sur la croissance économique. Effectivement, l’État aura recours à la fiscalisation, pouvant alors ralentir l’activité économique (baisse des salaires, baisse des investissements des entreprises…). En cela, la transition énergétique peut apparaître comme néfaste à la croissance.
Notons également que les entreprises peuvent rencontrer des difficultés à investir pour développer dans des énergies propres. En effet, Philipe Aghion souligne que « la transition écologique n’augmente ni le volume ni la productivité des facteurs de production, elle oblige au contraire les entreprises à abandonner des activités de production et d’innovation qu’elles maîtrisaient très bien dans des technologies polluantes pour se réorienter vers la production et l’innovation vertes qu’elles maîtrisent moins bien ». Ainsi, cela pousse à penser que la transition est néfaste à la croissance économique. Investir dans les énergies vertes entraîne pour les entreprises un coût qui va au-delà des dépenses initiales en infrastructures et en technologies écologiques. En effet, la transition vers des processus de production durables exige un changement profond des habitudes au sein de l’entreprise, impliquant une adaptation des équipes et des chaînes de production. Par exemple, intégrer des énergies renouvelables nécessite souvent des formations spécifiques pour le personnel, une réorganisation des opérations, et une gestion rigoureuse des ressources pour optimiser l’efficacité énergétique. Ces efforts ajoutent un « coût caché » lié au temps, à la gestion du changement et aux potentielles interruptions dans la productivité.
Quels sont les bénéfices de la transition énergétique pour la croissance ?
Et pourtant sur le long terme, la transition peut être bénéfique à la croissance, puisqu’elle permet de pallier l’épuisement des ressources. La prise en compte des ressources naturelles et de l’environnement dans l’analyse économique n’est point récente. Effectivement, dès les années 30, Harold Hotelling mettait déjà en avant l’existence d’un problème économique d’allocation des ressources sur le long terme. Exploiter une ressource naturelle non renouvelable à un instant T entraîne sa disparition et ne permet donc pas de l’exploiter à l’instant T+1. L’économiste prenait déjà en compte que cela entraîne nécessairement une raréfaction des ressources et donc une augmentation des prix de ces dernières (thèse reprise par robert Gordon en 2012).
Dans son ouvrage The pure theory of public expenditure, écrit en 1954, Paul Samuelson va même plus loin en théorisant « une tragédie des biens communs ». L’économiste souligne que les ressources naturelles sont des biens communs non rivaux et non excluables. Elles sont donc susceptibles d’être sur exploitées pouvant entraîner une disparition de ces dernières. Or, l’épuisement des ressources naturelles est réel et déjà bien avancé. Par exemple, selon EDF, au rythme de consommation actuel, le pétrole va arriver à épuisement d’ici à 54 ans, le gaz d’ici à 63 ans et le charbon d’ici à 112 ans. Ainsi, préserver les ressources naturelles apparaît clairement comme un enjeu crucial pour que la croissance économique perdure sur plusieurs générations. Or, la transition énergétique, visant à stimuler les énergies renouvelables, limite l’utilisation d’hydrocarbures et permet donc de pallier ce problème.
La transition énergétique, serait-elle bénéfique pour l’innovation ?
Il est également important de noter que la transition énergétique stimule l’innovation, ce qui peut largement bénéficier à la croissance économique. En effet, l’intégration d’une invention sur le marché permet à une économie de gagner des parts de marchés. Cela est précisément soutenu par l’économiste Schumpeter qui montre que les entreprises, et les économies à plus grande échelle, gagnent à innover, puisqu’elles obtiennent des monopoles provisoires, notamment parce que la demande se concentre sur leurs secteurs d’activité. Ce besoin d’innover est d’autant plus grand dans nos économies actuelles du fait de la mondialisation. Or, la transition énergétique repose sur l’innovation, puisqu’elle nécessite de nouvelles technologies. La transition exige notamment des recherches de nouvelles sources d’énergie ou encore concernant le stockage de ces dernières.
Prenons l’exemple de l’Allemagne pour illustrer les bienfaits de la transition énergétique sur l’innovation et la croissance économique. Le secteur de l’énergie allemand est en pointe en matière de transition énergétique et le secteur des énergies renouvelables connaît une belle croissance. La filière est rythmée par de nombreuses innovations découlant d’un fort soutien politique en investissement (exemple : 400 M€ investis dans le projet Kopernikus). L’Allemagne recouvre déjà 36% de ses besoins énergétiques par des énergies renouvelables et le pays a pour objectif d’accroître ce chiffre notamment afin de garantir une certaine souveraineté. Effectivement, étant première sur le marché des énergies éoliennes en Europe, la transition constitue pour l’Allemagne une véritable force économique. L’Allemagne a également un autre objectif en développant la transition : limiter la dépendance envers les autres pays. En effet, le pays est encore largement dépendant de certains pays tels que la Russie, sur le plan énergétique. Cette dépendance concerne en grande majorité le gaz, puisque la moitié du gaz utilisé au sein du pays provient de la Russie. Mais cette dépendance énergétique concerne également d’autres énergies telles que le charbon ou le pétrole. En développant la transition énergétique, l’Allemagne souhaite ainsi être indépendante des pays détenant certaines sources d’énergie. Cette envie est d’autant plus importante au vu de la situation géopolitique actuelle. Ainsi, développer le secteur des énergies renouvelables limiterait le risque de choc exogène, ce qui peut être bénéfique à la croissance.
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Comment financer la transition énergétique ?
Comme nous avons pu le voir précédemment, bien que la transition énergétique puisse être un avantage à la croissance, elle représente également un coût pour l’économie. Dès lors, il est légitime de se questionner quant au financement de cette dernière.
Les moyens de financement de la transition sont sujets à de nombreux débats entre les économistes. Jean Pisani-Ferry, économiste et professeur à Science Po, suggère de redéployer les dépenses budgétaires ou fiscales brunes, ce qui reviendrait à fiscaliser davantage les activités pouvant nuire à l’environnement. Mais l’économiste précise que cela ne serait pas suffisant. Il propose donc soit un financement par l’endettement, quitte à augmenter les prélèvements obligatoires, soit de mettre un prélèvement exceptionnel et explicitement temporaire sur le patrimoine financier des 10 % les plus aisés qui serait dédié à la transition climatique.
Une autre solution a été suggérée par le parlement européen : la création d’une une taxe sur les transactions financières (TTF). Une taxe de 0,1 % pourrait rapporter chaque année 57 milliards d’euros, tout en préservant le pouvoir d’achat des ménages et en limitant la flambée des prix.
Selon Philip Aghion, le financement de la transition énergétique peut s’opérer de diverses façons. D’après lui, il faudrait « s’inspirer de cet autre grand chantier que fut la construction au XIX siècle du réseau de chemins de fer français, en activant le partenariat entre investissement public et investissement privé ». Il propose également d’augmenter la capacité d’investissement de l’Europe en créant un fonds européen souverain pour l’industrie verte : tout comme le plan de relance européen, ce fonds serait financé par un emprunt directement contracté par l’Union européenne.
Nous avons donc compris que la transition peut apparaître comme cruciale au vu de la situation géopolitique et environnementale. Certains économistes soutiennent donc que c’est en développant la transition que la croissance économique pourra perdurer. Cependant, la transition représente un coût important pour l’économie, ce qui peut freiner son développement. Ainsi, son financement constitue un véritable enjeu, bien que diverses pistes aient été développées par certains économistes.
Nous remercions l’association GEM ONU, partenaire de Mister Prépa et un de ses rédacteurs Thomas Richard et Noémie Phélipon, pour l’écriture de cet article.
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