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Le paradoxe, souvent négligé, de la transition énergétique

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La capacité de mettre en avant les paradoxes d’un sujet est une qualité largement valorisée par les correcteurs des copies de géopolitique. Ainsi, nous allons porter une attention particulière sur un paradoxe entourant une transition devenue imminente, la fameuse transition énergétique.

Avant d’opérer une analyse profonde de cette dernière, il s’agit tout d’abord de rappeler que, certes, le passage des énergies fossiles aux énergies bas carbones est une urgence d’un point de vue environnemental. Néanmoins, nous aurions tort d’oublier la dimension politique et stratégique d’une telle transition.

 

Une transition énergétique nécessaire pour réduire les dépendances

Aujourd’hui, en prenant en compte le fait que 80% de notre consommation d’énergie provient des énergies fossiles, il est fondamental de comprendre que la répartition de ces sources d’énergies carbonées est largement inégalitaire à travers le monde. La conséquence directe est la création de dépendances entre les États producteurs (les Etats-Unis, la Russie, les pays du Golfe) et les États consommateurs qui ne possèdent pas de telles ressources au sein de leurs sols. Le fait que ces énergies carbonées soient concentrées dans un nombre limité de pays producteurs permet à ces Etats de devenir des pivots stratégiques. Dès lors, dans un monde dépendant des énergies fossiles pour le transport, l’industrie, l’habitat, le contrôle de ces ressources est une réelle préoccupation et devient la source des différentes stratégies géopolitiques des États.

A la suite de ce constat, on comprend mieux l’intérêt des États consommateurs d’accélérer la transition énergétique et donc l’intérêt des États producteurs à freiner cette conversion vers des sources d’énergies « plus vertes ». En effet, sans doute que l’Arabie Saoudite entretient le désir de bénéficier des revenus pétroliers jusqu’à l’épuisement complet de ses ressources. Ainsi, il est évident, à première vue, qu’une transition énergétique avancée réduirait considérablement les dépendances car les énergies renouvelables sont largement dispersées dans le monde. Sans entrer dans les détails, il est à mettre en avant un réel potentiel hydraulique en Amérique du Sud ainsi qu’en Asie du Sud, un potentiel solaire en Afrique et dans une partie du Moyen Orient, et un potentiel relatif à l’utilisation des éoliennes en Europe.

Sortir de dépendances pour entrer dans de nouvelles dépendances : une transition énergétique paradoxale

Venons-en au paradoxe souvent oublié : pourquoi parler de nouvelles dépendances créées ? L’explication est relativement simple et réside dans le fait que la production des énergies renouvelables ne se fait qu’à l’aide de certains matériaux qui sont répartis de manière inégale dans le monde. Un exemple concret demeure être la production des éoliennes qui nécessite des terres rares tels que le néodyme, le dysprosium, le terbium. La majorité de ces métaux rares sont extraits au sein d’un nombre limité de pays, ce qui crée une dépendance dans l’approvisionnement mondial de ces ressources.

Le grand gagnant de ces nouvelles dépendances semble aujourd’hui être la Chine qui se place comme le véritable leader des terres rares. En 2022, Pékin a extrait 58% et raffiné 89% des terres rares ainsi que manufacturé 92% des composants à base de terres rares. Ces statistiques permettent d’évoquer une situation de monopole pour l’Empire du milieu. Il est aussi central de relater la concentration des réserves du lithium, souvent désigné comme le nouvel or blanc, permettant la production des batteries électriques notamment. Aujourd’hui, on estime que la région nommée Triangle du Lithium (l’Argentine, le Chili et la Bolivie) contiendrait près de deux tiers des ressources mondiales de lithium.

Lire plus : Asie : les références incontournables (notamment l’ouvrage de G.Pitron)

Alors, que doit-on retenir ?

Le constat semble clair : la transition énergétique qui est certes primordiale sur un plan environnemental, économique et politique, tend à devenir la source de nouvelles interdépendances mondiales. Certains États commencent à prendre conscience de ce paradoxe comme l’atteste le plan provenant de la commission européenne divulgué en mars 2023. Ce dernier, qui vise à extraire directement des minerais stratégiques au sein des pays membres de l’Union, se trouve être une preuve concrète d’une Europe animée par le désir de limiter les nouvelles dépendances évoquées.

De surcroît, il est crucial de rappeler les énergies fossiles continueront d’être une composante significative de notre approvisionnement énergétique, ce qui implique que les dépendances inter-étatiques forgées sur ces ressources persisteront et se mêleront à celles créées par la transition énergétique. Ainsi, notre quête de réduire les interdépendances existantes semble nous conduire vers une ère caractérisée par une multiplication de ces dernières se traduisant par des chaînes d’approvisionnements toujours plus longues. Oui, la mondialisation semble avoir de beaux jours devant elle…

Pour en savoir sur les différentes dimensions de la transition énergétique : Transition énergétique, rapports de force mondiaux et hiérarchie des puissances 

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Anis Zekane