Le thème au programme cette année de l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes, des situations plurielles, et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation, et notamment la possibilité même de sa représentation. C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres.
Aujourd’hui, nous faisons irruption dans l’art de la performance, qu’on peut définir simplement comme une action réalisée par l’artiste en interaction avec son public, avec Marina Abramovic et notamment sa performance Rhythm 0 afin d’interroger la part de violence qui existe en chacun de nous.
Qui est Marina Abramovic ?
Née en 1946, c’est une artiste serbe. Elle est associée à l’art de la performance, et notamment le body art dans lequel elle est considérée comme une des pionnières. Le body art, ou art corporel, est une partie du l’art qui vise à placer le langage du corps au centre de la pratique artistique, notamment dans l’exploration de la douleur. Ainsi, Marina Abramovic présente sa démarche selon ces mots : “Je suis intéressée par l’art qui dérange et qui pousse la représentation du danger. Et puis, l’observation du public doit être dans l’ici et maintenant. Garder l’attention sur le danger, c’est se mettre au centre de l’instant présent.”
Cela semble être une bonne introduction à la performance que nous allons étudier : Rhythm 0. Cette performance a été réalisée en 1974 à la Galleria Studio Morra de Naples. Marina Abramovic, contre l’opinion selon lequel la performance n’était qu’un art exhibitionniste et masochiste, a décidé de se tenir immobile pendant six heures face à un public qui était invité à lui faire ce qu’il souhaitait, au moyen d’un des 72 objets qui se trouvaient sur une table à côté d’elle. Il s’agissait de savoir jusqu’où pouvait aller le public : en effet, parmi ces objets, on trouvait autant une plume, une rose, du parfum, du vin qu’un scalpel, des clous, une barre en métal ou même un pistolet chargé d’une balle. Voici les consignes :
« Sur la table il y a 72 objets avec lesquels vous pouvez me faire ce que vous voulez.
Performance.
Je suis un objet.
Je prends la responsabilité de tout ce qui se passera dans ce laps de temps.
Durée : 6 heures (20h – 2h) »
Une escalade de violence
Les premières heures de la performance se passent convenablement, avec des embrassades, des carresements de plume…mais quand quelqu’un décide de couper ses vêtements, alors le public comprend qu’il peut véritablement tout faire. S’ensuit une escalade de violence : d’abord quelqu’un lui découpe des bouts de peau et en suce le sang, d’autres lui lacèrent la peau avec les rasoirs,...jusqu’à ce qu’un individu prenne le pistolet chargé et le lui positionne contre le cou, au grand dam du galeriste qui le jette à travers la fenêtre de la galerie quand il s’en aperçoit.
Durant ces 6 heures de performances, jamais Marina Abramovic n’aura bougé. Mais quelques jours après, elle verra apparaître des cheveux blancs dans sa chevelure, signe d’un stress extrême.
L’objectivation de l’humain
Que peut nous apprendre cette performance sur la violence ? Tout d’abord à quel point il est facile de devenir violent envers quelqu’un, dans la mesure où Marina Abramovic, dès qu’elle s’est présentée comme personne passive, est devenue objet au regard de certains, objets auquel tous les coups pouvaient être portés. A partir de la troisième heure, plus aucun respect ne lui était tenu, quand celui-ci apparaît être néanmoins défendu par tous dans nos sociétés contemporaines : les regards et gestes respectueux des premiers spectateurs ont laissé place aux instincts les plus primaires des suivants.
Comme elle le dira elle-même à la suite de cette performance : “Ce travail révèle ce qu’il y a de plus horrible chez les gens. Cela montre à quelle vitesse quelqu’un peut se décider à te blesser lorsqu’il y est autorisé. Cela montre à quel point il est facile de déshumaniser quelqu’un qui ne se défend pas. Cela montre que la majorité des gens ‘normaux’ peuvent devenir très violents en public si on leur en donne la possibilité. »
Cette oeuvre a montré de manière magistrale la violence enfouie en chacun de nous et qui peut se manifester dans des situations où l’autre est objectivé, ici de son propre gré, mais la plupart du temps contre son gré. Il n’existe aucune limite naturelle à notre violence, rien en nous qui pourrait nous réguler. Contre l’opinion critiquant la performance comme une pratique seulement masochiste et violente pour faire parler d’elle, Marina Abramovic aura montré que le plus choquant est bien au contraire la violence instinctive de l’homme.
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