C’était en 1985. Un chanteur américain, avide de dépasser les clichés en tout genre qui régnaient à l’époque dans son pays concernant le bloc soviétique avait depuis plusieurs années déjà tenté d’accumuler différentes informations sur l’URSS. Profondément humaniste et opposé à la guerre froide, il sorti une chanson, « Russians », en forme d’hymne à la paix et à la fraternité entre les peuples. Plus de trois décennies plus tard, devant les évènements dramatiques qui se déroulent en Ukraine depuis maintenant plus de deux mois, Sting s’est remis à chanter sa chanson pour continuer à diffuser ces mêmes messages.
« Russians », un appel à la paix en une période troublée…
Remettons les choses dans leur contexte. En 1985, le monde est plus que jamais plongé au cœur de la Guerre Froide qui prend à l’époque notamment comme théâtre l’Afghanistan, où les troupes russes s’opposent aux rebelles armés par les États-Unis. Ronald Reagan est au pouvoir depuis quatre ans et a clairement rehaussé le niveau des hostilités après une normalisation et un apaisement sous son prédécesseur Carter.
Mais plus que tout, ce qui habite profondément l’esprit du peuple américain (comme d’ailleurs celui de tous les habitants du monde libre) et les effraie profondément, c’est la menace d’une guerre atomique qui plane toujours sur la planète. Si le pic de tension de la crise des missiles de Cuba de 1963 a depuis longtemps été dépassé et qu’un « équilibre de la terreur » aussi fragile que terrible semble régner, il n’en reste pas moins que ce péril reste dans toutes les têtes.
Lire aussi: La terreur nucléaire: 1945-2022, le monde est-il devenu plus sûr?
Très peu d’informations circulent entre les deux blocs. Dans les deux camps la propagande règne avec une intensité rarement vue. Américains et russes ne se voient qu’à travers des prismes biaisés voulus par des gouvernements qui veulent en tirer parti pour conserver le soutien de leur peuple respectif dans un conflit qui dure depuis maintenant quarante ans. Pourtant, Sting veut se documenter sur l’autre bloc, aller au-delà des seules données préconçues qui sont fournies dans les médias nationaux. Il installe donc sur son toit une antenne avec laquelle il arrive à capter la fréquence d’une chaîne de la télévision russe. Avec le décalage horaire, il tombe sur les programmes du matin à savoir des dessins animés destinés aux enfants. Bouleversé par cette expérience qui lui fait se rendre compte du fait que derrière les caricatures, les Russes restent comme les américains des êtres humains, il décide d’écrire une chanson appelant à la paix entre les deux peuples.
Des paroles et des thèmes forts
Il y a un peu de Boris Vian, expliquant dans le déserteur « Monsieur le président/Je ne veux pas la faire/Je ne suis pas sur Terre/Pour tuer des pauvres gens » chez Sting lorsqu’il chante « Russians ». Il y dénonce tout d’abord fortement la folie collective qui s’empare du monde libre devant les menaces de Khroutchev. C’est un des points qui marque le plus dans cette chanson : Russes et Américains sont mis sur un pied d’égalité que ce soit dans leurs bons ou leurs mauvais côtés. Ainsi, le chanteur prononce deux fois en deux couplets les mots « I don’t suscribe to this point of view », une fois à l’attention de Khroutchev, une autre à celle de son homologue américain Reagan. Les deux blocs se retrouvent ainsi critiqués, aucun ne méritant de l’emporter selon un Sting qui montre clairement ses craintes d’un conflit atomique.
L’expérience des dessins animés vus par Sting se retrouve dans sa chanson qui tourne autour du thème des enfants et de leur protection. Ainsi, le chanteur américain s’inquiète pour son enfant, expliquant « How can I save my little boy from Oppenheimer’s deadly toy ? » (En français, « Comment puis-je sauver mon petit garçon du jouet mortel d’Oppenheimer ?). Mais il parle aussi des enfants russes à la fin de chaque couplet à travers la phrase « The Russians love their children too ». Ici, les Russes sont comme rarement dans la culture occidentale de l’époque humanisés : ils ont des enfants, comme les américains, les aime comme les américains. Bref, cet appel à la paix est d’autant plus fort qu’il va au-delà des idées totalement opposées des deux blocs que Sting critique vertement, en parlant comme étant de la politique ou encore de l’idéologie.
Un appel qui reste plus que jamais aujourd’hui d’actualité
Après la fin de la Guerre Froide en 1991 et l’implosion de l’URSS dans la dernière décennie des années 1990, Sting rangea sa chanson dans les cartons et on pouvait croire que celle-ci serait destiné à y rester, tant le spectre menaçant de la Russie semblait s’être estompé. En effet, comment une Russie si affaiblie aurait-elle pu espérer autre chose que des miettes sur la scène internationale et encore plus redevenir l’adversaire crédible qu’elle avait pu représenter pendant près de quarante ans pour les États-Unis qui semblait avoir acquis au début du XXIème siècle une toute puissance incommensurable ?
Lire aussi: La Russie, 30 ans après la fin de la Guerre Froide
Pour autant, le 5 Mars dernier lors d’un live Instagram, le chanteur américain, dans un duo entre une guitare et un violon d’une sensibilité rare, chanta à nouveau sa chanson. Le but de ce live ? Dans un premier temps récupérer des fonds pour apporter de l’aide humanitaire à la population ukrainienne, mais finalement encore et toujours d’appeler à la paix.
Ainsi, beaucoup de points font que cette chanson que beaucoup pouvaient penser d’une autre époque reste encore diablement d’actualité. Tout d’abord, l’appel à la fraternité entre deux peuples que tout oppose demeure prégnante de nos jours et ressort clairement des paroles de « Russians ». Sting dédie d’ailleurs également cette chanson aux russes qui s’opposent, quitte à risquer d’être envoyés en prison, à la folie de leur président Vladimir Poutine. Cette chanson agit dès lors comme un message extrêmement fort pour rapprocher Russes et Occidentaux que tout semble aujourd’hui à nouveau opposer mais qui finalement ont de nombreuses similitudes et subissent bien plus les évènements qu’ils ne les dirigent, comme si également le peuple russe était lui-même victime de cette guerre.
Enfin, alors que pour beaucoup la peur d’une guerre nucléaire n’était plus qu’un lointain souvenir depuis longtemps tombé dans l’oubli, les évènements des derniers mois et plus particulièrement des semaines passées nous invite à reconsidérer ce qui semblait être devenu une évidence. Vladimir Poutine lui-même n’hésite plus a évoquer ouvertement devant les médias la possibilité d’une frappe nucléaire. A l’heure où la télévision russe diffuse des cartes montrant des éventuelles frappes de missiles touchant Berlin ou Paris, la chanson de Sting invitant à en revenir à la raison et à pacifier les relations internationales est sans doute plus que jamais nécessaire.