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Le monde dans l’œuvre de Marcel Proust

Sommaire

A la Recherche du Temps Perdu reste une œuvre majeure pour ce qui est de la tentative d’appréhender la réalité, la vie humaine. Il va s’agir pour nous ici de s’intéresser à la manière dont Proust s’intéresse à la notion de monde, sous différents points.

 

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La représentation du monde intérieur

Proust se fait tout d’abord dans La Recherche l’observateur de notre monde intérieur par ses techniques narratives, pour ainsi rendre compte du fait que nous percevons subjectivement la réalité. Ainsi, dans la première partie de Du côté de chez Swann, “Combray”, le lecteur à accès aux angoisses, craintes, désirs d’un enfant dont la vie imaginaire est exacerbée par la protection parentale, et le roman prend des allures d’un roman initiatique, permettant au lecteur de revivre les moments essentiels de la vie d’un enfant : besoin d’amour, découverte de la cellule familiale et du cercle restreint de Combray, premières amours, rêveries… Il y a une remémoration personnelle de son vécu d’enfant, nous faisant vivre Combray par le biais de la mémoire involontaire, avec le refus de faire un tri hiérarchique dans la narration, et présentant l’enfance comme elle aurait pu être vécue profondément par un enfant, donc par nous-mêmes, au sein même de sa perception.

Il s’agit ainsi toujours pour Proust de plonger dans la conscience de ses personnages, dans le sentiment interne que nous avons du temps et de l’espace : ainsi la géographie de Combray pour l’enfant qu’il était est imaginaire, séparée en deux. Ce magma interne de fantasmes, de rêves des personnages est rendu par l’enroulement des phrases, qui rend toujours compte de leur lecture partiale, lacunaire du réel, comme par exemple la perception d’Odette par Swann dans la deuxième partie “Un amour de Swann”, où elle est idéalisée, ses yeux tombants rapprochés par exemple des portraits de femme chez Botticelli. 

 

La représentation de différents mondes et l’apprentissage mondain

Le lecteur voit s’ouvrir 3 mondes essentiels : celui de Combray (monde provincial), le clan Verdurin (bourgeoisie) et l’aristocratie (les Guermantes), qui se révèlent à travers certains signes, comme ceux du langage : la parlure des gens de Combray, comme celle de la grand-mère, est directe avec un vocabulaire extrêmement étroit, quand le clan des Verdurin adopte lui un langage spécifique, jovial, censé le distinguer des “ennuyeux”. Mais d’autres mondes viennent s’ajouter à ces trois-là, chacun pouvant se définir comme une frange de la réalité (personnages, catégories sociales, objets, etc…) qui se caractérise par l’expression de signes particuliers : les signes des Verdurin (langage, goûts artistiques, manières…) n’ont pas cours chez les Guermantes, et inversement le style de Swann ou les hiéroglyphes de Charlus ne passent pas chez les Verdurin. Ainsi, chaque monde a ses propres conventions. L’unité de tous les mondes est qu’ils forment des systèmes de signes : il s’agit ainsi pour le personnage d’opérer un apprentissage de ces signes, comme analysé par Deleuze dans Proust et les signes. Toute La Recherche, à travers la mémoire, a pour but la compréhension du présent, des différents signes qu’émettent ces mondes.

 

L’amour comme désir d’un autre monde

L’amour tient une place particulière dans la mesure où il est lié au désir de découvrir un autre monde. Toujours selon Deleuze, devenir amoureux, c’est individualiser quelqu’un par les signes qu’il porte où qu’il émet. C’est devenir sensible à ces signes, en faire l’apprentissage. L’amour naît et se nourrit d’interprétations silencieuses, l’aimé exprime un monde inconnu qu’il faut déchiffrer. Ainsi, chaque histoire d’amour semble associée à ce désir d’un autre monde. Par exemple, dans Du côté de chez Swann, dans le passage où le narrateur enfant raconte ses après-midis aux Champs-Elysées où il tombe amoureux de la petite Gilberte, comme elle lui donne la plaquette écrite par Bergotte sur Racine, elle sera associée à la Berma de Racine que le narrateur admire tant sur les affiches, créant un monde spécifique à elle. Cet autre monde est ainsi présenté comme transcendant l’être qui nous sert de tremplin, que nous désirons découvrir.

 

L’art comme ouverture à un autre monde

L’art occupe aussi une place importante, voire la place la plus importante dans La Recherche, dans la mesure où l’œuvre d’art est pour Proust l’ouverture à un autre monde que le sien. En effet, il théorise dans le dernier tome de La Recherche, Le Temps Retrouvé, que l’art révèle une perception du monde, modifiant notre regard sur les choses :

« nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini, et qui bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont ils émanaient, qu’il s’appelât Rembrandt ou Vermeer, nous envoient leur rayon spécial. » (Le Temps retrouvé)

Le narrateur s’essaye également à ouvrir un nouveau regard sur le monde pour le lecteur, notamment par ses comparaisons étranges, comme Françoise la bonne longuement comparée à une « guêpe fouisseuse », comparaison qui fait entrer le lecteur dans le monde étrange de l’entomologie, alors qu’il était en train de lire une évocation de la tante Léonie, nous faisant découvrir de nouvelles similitudes entre plusieurs choses du monde : nous pourrons plus tard voir certaines personnes de notre entourage à l’aune de cette comparaison avec la guêpe fouisseuse, reconnaître cette similitude dans le monde.

 

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Conclusion : ce qu’il faut retenir

Ainsi, la notion de monde se retrouve de manière plurielle dans La Recherche. Mais ce que nous apprend Marcel Proust, c’est justement à apprendre à reconnaître le monde, à lire les signes qui en émanent, jusqu’à changer notre regard sur le monde à travers la fréquentation des œuvres d’art.

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Corentin Viault