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Vue d’ensemble : l’économie mondiale évitera-t-elle le précipice ?

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Jusqu’à il y a quelques mois, beaucoup espéraient une reprise solide tirée par un plan de relance massif et une sortie progressive de la pandémie, tout en espérant briser des années de « stagnation séculaire ». Cependant, la guerre au cœur de l’Europe, l’inflation jamais vue depuis des décennies, la chute des salaires réels, le risque d’un net ralentissement de la croissance, le durcissement de la politique monétaire, la volatilité des marchés boursiers, la crise énergétique sans précédent, les pénuries alimentaires assombrissent les perspectives de l’économie mondiale en 2022.

D’une reprise économique progressive à la stagflation

La pandémie a plongé l’économie mondiale dans une crise historique, sans précédent en temps de paix depuis au moins la Grande Dépression des années 1930. Les espoirs d’une forte reprise ont pourtant été renforcés par la volonté du président Biden de sortir l’économie américaine de la stagnation séculaire et retrouver le chemin d’une forte croissance. Les politiques expansionnistes du président visant à sortir de cet équilibre de basse pression et à remettre l’économie américaine sur la voie d’une forte croissance. L’accélération de l’inflation a affaibli ces attentes en atténuant les espoirs d’une reprise solide de l’activité économique.
La guerre en Ukraine a également anéanti l’espoir que le pic d’inflation observé dans de nombreux pays en 2021 et au début de 2022 se dissipera rapidement. Les taux d’inflation dans plus de la moitié des économies avancées, y compris les États-Unis et la zone euro, étaient déjà élevés avant même le début des hostilités. Les pénuries de carburant et de nourriture causées par la guerre ont ainsi fait monter l’inflation qui s’accélérait déjà. En décembre 2021, la hausse moyenne sur deux ans des prix de l’énergie a atteint 45 %, et de 40% pour le prix des aliments.

L’inflation en 2021 provient d’une forte reprise de la demande et de contraintes sur l’offre. La stimulation de la demande la plus notable a eu lieu aux États-Unis, avec un plan de relance budgétaire de 900 milliards de dollars fin 2020, suivi d’un paquet de 1 700 milliards de dollars en mars 2021. Mais cette forte croissance de la demande s’est heurtée à des difficultés d’ajustement de l’offre. Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et la nouvelle détérioration des chaînes de valeur mondiales à la suite des mesures de confinement soulignent la fragilité des réseaux de production, dispersés dans le monde. La mondialisation qui a rendu possible la baisse des prix pourrait être durablement affectée, notamment par les tensions géopolitiques. 
Avant le déclenchement du conflit Ukraine-Russie, la hausse de l’inflation avait conduit à des risques pour la sécurité alimentaire des pays pauvres, avec notamment des augmentations des prix alimentaires : les prix mondiaux des aliments ont augmenté de 28 % en 2020, de 23 % en 2021, avant de bondir de 17 % en un seul mois, entre février et mars 2022.

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Un écroulement financier à venir ?

Le retour de l’inflation a également fortement accru les vulnérabilités financières. Une situation similaire à la stagflation des années 1970 n’est pas de bon augure. Pour freiner l’inflation, les dirigeants de l’époque ont considérablement augmenté les taux d’intérêt, ce qui a entraîné une récession mondiale et une série de crises de la dette dans les pays en développement. Dans le contexte actuel, l’endettement élevé et la financiarisation de l’économie pourraient aggraver cette situation. La zone euro pourrait être particulièrement vulnérable.
Les conditions financières dans la plupart des pays se sont considérablement durcies depuis le début de 2022. Pariant sur un soubresaut fin 2021, les banquiers centraux s’étonnent de la persistance de l’inflation, atteignant 8,6% en zone euro et 9,1% aux Etats-Unis en juin 2022. Mais les banquiers centraux qui misent désormais sur la poursuite des hausses de prix devraient durcir fortement leur politique monétaire. « Je ne pense pas que nous allons revenir à un environnement de faible inflation », a ainsi affirmé Christine Lagarde fin juin 2022. La lutte contre l’inflation devient même une priorité pendant quelques mois, avec le risque de déclencher une récession. Après une période prolongée de taux d’intérêt extrêmement bas, les marchés ont réagi au resserrement de la politique monétaire et à la détérioration des conditions économiques. Au cours des six premiers mois de 2022, les principaux indices boursiers ont connu des baisses très importantes. Le CAC 40 a plongé de plus de 15% entre début janvier et fin juin 2022. Le marché boursier américain a été plus durement touché. Le S&P 500 a chuté de près de 20 % et le Nasdaq de 29 %.

Le resserrement des conditions monétaires pourrait également avoir des répercussions importantes sur la gestion de la dette publique et privée. Depuis 2010, l’économie mondiale a connu la vague d’endettement la plus importante, la plus rapide et la plus synchronisée depuis 50 ans.

L’augmentation de la dette publique constitue un risque plus aigu dans de nombreux pays. Ce risque touche particulièrement les pays endettés en devises étrangères. C’est le cas de la zone euro. En effet, la monnaie européenne est comme une monnaie étrangère pour les États membres qui empruntent dans des devises qu’ils ne contrôlent pas. Les inquiétudes concernent principalement les pays d’Europe du Sud. Avec une dette publique de plus de 200 % du PIB en Grèce, plus de 150 % en Italie et 123 % en Espagne, et avec moins de marge de manœuvre pour la Banque centrale européenne, la fragmentation de la zone euro n’est plus à exclure. En effet, une reprise de l’inflation compliquera le travail des banques centrales qui ont peu de contrôle sur les spreads (différences de taux de crédit entre pays européens) tout en annonçant la fin des programmes d’achat d’actifs et des hausses de taux. La dette en devises étrangères est également une vulnérabilité pour les économies émergentes et en développement. Le resserrement des conditions financières dans les économies avancées pourrait entraîner une fuite des capitaux et une dévaluation des devises, accélérant les crises de la dette dans ces pays car il devient de plus en plus difficile de financer ces dettes en monnaie étrangère. Cela s’est déjà produit lorsque la Fed a relevé ses taux en 2013.

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Menaces sur la transition écologique et apparition de tensions sociales

Alors que les décideurs s’efforcent de relever des défis à court terme, il y a un risque que les défis à long terme, en particulier celui de la transition écologique, soient négligées. La BCE a confirmé un virage vert en annonçant des normes environnementales pour les obligations d’entreprises qu’elle achètera ou acceptera en garantie à partir d’octobre 2022. D’un autre côté, certains gouvernements pourraient être tentés de repenser leurs priorités. En effet, la moindre dépendance vis-à-vis d’acteurs perçus comme hostiles et la crise énergétique pourraient inverser les politiques publiques en faveur de la transition environnementale adoptées ces dernières années. Compte tenu de la pénurie de gaz, le gouvernement fédéral allemand prévoit d’augmenter son utilisation du charbon. Le projet de loi, qui devrait entrer en vigueur en juillet 2022, augmenterait la production des centrales électriques au charbon en activité jusqu’en mars 2024, retarderait la fermeture des centrales dont la fermeture est prévue en 2022 et 2023, ou imposerait certaines restrictions. La transition écologique pourrait être de plus en plus menacée tandis que les tensions sociales menacent de s’exacerber en raison d’une recrudescence de l’inflation. Les mesures environnementales, telles que les taxes sur les émissions de CO2, sont encore plus difficiles à mettre en œuvre compte tenu de la baisse du pouvoir d’achat. La hausse des prix alimentaires et des prix mondiaux élevés du carburant pourraient déstabiliser les marchés émergents en particulier. Ces marchés ont une marge d’action limitée et dépendent fortement de l’énergie importée pour la consommation de base. Dans le passé, les prix élevés des denrées alimentaires ont déclenché d’importants mouvements sociaux et politiques.

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Pour conclure, selon Lawrence Summers, une fois l’inflation sous contrôle, un retour de la stagnation séculaire ne peut être exclu. Selon lui, les taux d’intérêt pourraient revenir à un niveau bas du fait de l’augmentation de l’épargne résultant du vieillissement de la population et de l’incertitude qui viendrait pénaliser l’investissement.

 

Cet article est une synthèse du chapitre 1 (Vue d’ensemble : l’économie mondiale évitera-t-elle le précipice ?) de l’Economie mondiale 2023 CEPII. Il a été écrit par l’économiste Thomas Grejbine.

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Damien Copitet
Je suis étudiant à SKEMA BS après deux années de classe préparatoire au lycée Gaston Berger (Lille). Nous nous retrouvons toutes les semaines pour l'actualité en bref