En novembre 2024, la COP 29 à Bakou a eu pour objectif principal de débattre sur le financement de la sauvegarde du climat. C’est la deuxième année consécutive qu’elle se déroule dans un pays exportateur de pétrole et de gaz. Bien que dans l’ombre des élections américaines et du sommet du G20, la COP 29 s’est révélée d’une importance climatique et diplomatique majeure. Il n’est pas uniquement question de débat climatique — pour l’Azerbaïdjan, ce sommet est un moyen de s’affirmer dans les débats internationaux. Le pays se veut acteur inévitable dans la diplomatie climatique et énergétique mondiale, par sa géographie stratégique et ses grandes réserves d’hydrocarbures. Le choix même de l’Azerbaïdjan comme pays hôte fait débat, ce pays aux dérives autoritaires étant loin des objectifs fixés par l’accord de Paris.
L’objectif de cet article sera de comprendre les tensions liées à cette COP. Ensuite, nous verrons que l’énergie est devenue pour l’Azerbaïdjan un réel instrument diplomatique, permettant notamment de mettre sous pression Bruxelles. Enfin, nous étudierons les grands axes de la diplomatie azerbaïdjanaise, qui va au-delà de l’énergie.
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La COP 29 à Bakou ravive des tensions diplomatiques
La COP 29 a été boudée par les pays occidentaux et les principaux pollueurs de la planète. De nombreux chefs d’État n’ont pas répondu présents au sommet annuel sur le climat. Les membres du G20, qui concentrent 79% des émissions de CO2 (d’après le rapport 2023 du Programme pour l’environnement de l’ONU sur l’écart des émissions), se sont retrouvés à Rio de Janeiro.
La COP 29 est perçue comme un échec par certaines critiques, qui dénoncent un manque de légitimité. L’Azerbaïdjan a organisé ce sommet après les Émirats Arabes Unis et avant le Brésil, également des pays exportateurs de pétrole et de gaz. L’absurdité du choix des hôtes concernant la sauvegarde du climat a mené à des boycotts. De plus, des nations vulnérables au dérèglement climatique, et notamment les îles du Pacifique souffrant de la montée des eaux, se sont plaintes de l’hypocrisie climatique des pays riches, pollueurs mais absents.
Il est vrai que Bakou maintient une position ambivalente sur les attentes climatiques internationales. En accueillant la COP, l’Azerbaïdjan se présente comme un acteur clef de la lutte contre le dérèglement climatique. Il investit notamment dans les énergies renouvelables en parallèle de ses activités pétrolières et gazières.
Mais les hydrocarbures demeurent prépondérants, que ce soit dans leurs émissions ou pour l’économie. Sa côte en Mer Caspienne lui permet de bénéficier des 20e et 25e réserves mondiales de pétrole et de gaz. Leur exploitation représente 38% du PIB azerbaïdjanais en 2019 et 92% des exportations (d’après les chiffres du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie français). Le pays développe également de nouveaux champs pétroliers et gaziers. Il conserve des zones potentiellement riches en hydrocarbures encore non-explorées. L’Azerbaïdjan ne souhaite pas réduire ses activités pétrolières et gazières.
Le gaz, instrument de pression sur Bruxelles
Les gazoducs TANAP et TAP forment les routes gazières qui approvisionnent l’Europe en gaz. Elles sont contrôlées par Bakou et Ankara. Ces deux routes permettent d’acheminer le gaz vers la Turquie puis le Sud de l’Europe. Le gazoduc trans-anatolien (TANAP) traverse le territoire géorgien et constitue une nouvelle route énergétique stratégique depuis 2017. Trois ans plus tard, le gazoduc trans-adriatique (TAP) est achevé et permet d’étendre la route gazière jusqu’à l’Europe. L’UE devient alors dépendante des infrastructures turques concernant ses importations de gaz azerbaïdjanais.
La rapprochement entre Bruxelles et Bakou s’est accéléré en 2022 avec la signature d’un protocole d’accord énergétique. Ce protocole a pour objectif de renforcer les relations entre Bruxelles et Bakou, notamment dans le domaine de l’énergie. Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’UE recherche de nouvelles sources d’approvisionnement en gaz. Le protocole prévoit une augmentation des volumes de gaz importés depuis la Mer Caspienne. Il permet certes de réduire partiellement la dépendance au gaz russe, mais l’Azerbaïdjan peut désormais utiliser son gaz comme un outil géopolitique.
Alors que l’UE s’est rapprochée de l’Azerbaïdjan, des divergences quant aux droits humains et enjeux démocratiques pèsent lourds dans les débats européens. Certains pays ont critiqué le rapprochement avec ce pétro-État autoritaire et corrompu. La France est l’un des pays les plus critiques envers cet accord, du fait de ses liens historiques avec l’Arménie. En revanche, les pays du Sud de l’Europe (Italie, Grèce), la Hongrie de Viktor Orbán et l’Allemagne, déjà dépendante du gaz russe, sont plus pragmatiques ou favorables à cet accord.
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Les grands axes de la diplomatie azerbaïdjanaise
Le pays entreprend une large diversification de ses sources de revenus notamment en investissant dans son soft power. La COP permet à l’Azerbaïdjan de s’affirmer comme acteur essentiel sur les questions de l’énergie et du climat. Bakou souhaite diversifier ses sources de revenus en développant d’autres secteurs, tels que les énergies renouvelables. Il est également question de redorer son image, en organisant de grands événements culturels et sportifs tels que l’Eurovision en 2012, des rencontres de l’Euro de football en 2021 ou encore le Grand Prix automobile d’Azerbaïdjan de Formule 1 depuis 2017.
Outre la diversification économique, Bakou diversifie ses partenaires économiques. Il se rapproche alors de la Chine et ses nouvelles routes de la soie et d’Israël, qui lui vend des armes en échange d’hydrocarbures. Ces deux diversifications permettent à l’Azerbaïdjan de s’imposer sur la scène internationale. L’objectif de Bakou est de rallier d’autres pays à sa cause nationaliste et expansionniste du Grand Azerbaïdjan l’opposant à l’Arménie dans le Haut-Karabagh, et à moindre mesure à l’Iran dans l’Azerbaïdjan du Sud, région iranienne.
Finalement, l’Azerbaïdjan cherche à se placer au cœur du corridor turcophone reliant la Turquie à l’Asie occidentale (les pays en -stan). L’Azerbaïdjan et la Turquie se considèrent comme « une seule nation, deux États ». Ce corridor Est-Ouest vise à relier Istanbul à l’Asie Centrale, dans lequel l’Azerbaïdjan joue le rôle de pivot stratégique. L’accentuation de l’influence turcophone dans la région doit se faire au détriment des grandes puissances russe et iranienne. L’Azerbaïdjan se veut comme nouvelle puissance régionale, entre Asie et Europe.
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