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Le Brésil : une émergence interminable ?

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« Le Brésil est le pays de l’avenir, et il le restera », affirmait Georges Clemenceau au début du XXᵉ siècle. Cette formule, teintée d’ironie, semble encore aujourd’hui résumer la trajectoire économique et politique du plus grand pays d’Amérique latine. Avec ses 213 millions d’habitants, le Brésil incarne à la fois un modèle de puissance émergente et les contradictions qui l’empêchent d’atteindre le statut de pays développé. Entre industrialisation inachevée et retour à une économie dominée par les matières premières, le pays peine à effectuer le « tournant de Lewis » qui a permis aux Tigres asiatiques, comme la Corée du Sud, de s’imposer sur la scène mondiale.

Dans ce contexte, le Brésil demeure-t-il enfermé dans une émergence sans fin ? Pour répondre à cette question, nous analyserons d’abord les faiblesses structurelles de son économie. Ensuite, nous étudierons les dissensions sociales et politiques qui freinent son développement. Enfin, nous examinerons son poids international, à la fois réel et limité.

 

Une économie freinée par une dépendance aux matières premières

Depuis l’installation des colons au XIXᵉ siècle, l’économie brésilienne repose largement sur l’exploitation et l’exportation de matières premières, comme le café ou le pétrole. Bien que les années 1960 aient marqué une tentative de diversification avec une politique de substitution aux importations (ISI) et le développement d’industries lourdes, la hausse des prix des matières premières dans les années 2000 a provoqué une « reprimarisation » de l’économie. En 2016, les matières premières représentaient encore 66 % des exportations totales du pays, un frein à l’émergence d’un secteur industriel compétitif.

Sous la présidence de Lula (2003-2011), le Brésil semblait pourtant sur la voie d’une émergence réussie. Le pays s’est hissé au rang de 7ᵉ puissance mondiale en 2012 grâce à une croissance soutenue et une augmentation des salaires. Lula a également renforcé le rôle du Brésil dans les affaires internationales, notamment par son leadership régional et sa participation à des missions de l’ONU. Cependant, la focalisation sur les matières premières, comme la canne à sucre pour le bioéthanol ou le soja, a limité la diversification économique. Selon Pierre Salama, ce manque d’industrialisation constitue un frein majeur au développement.

Le Brésil compte néanmoins quelques grandes entreprises dans des secteurs à forte valeur ajoutée. L’aéronautique, avec Embraer, ou le pétrole, avec Petrobras et ses capacités à forer en profondeur dans l’« Amazonie bleue », témoignent d’un potentiel industriel. Toutefois, ces réussites restent isolées et ne parviennent pas à transformer l’économie brésilienne de manière structurelle.

 

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Les dissensions sociales et politiques : un frein au développement

La corruption est un problème chronique au Brésil, comme l’illustre l’opération Lava Jato (« Lavage express »), qui a révélé un vaste réseau de détournements de fonds impliquant des responsables politiques et des entreprises publiques. Ces scandales affaiblissent les institutions et détériorent la confiance des citoyens et des investisseurs.

Le mandat de Jair Bolsonaro (2019-2022) a terni l’image du Brésil à l’international. En rompant avec la neutralité traditionnelle du pays pour s’aligner sur Donald Trump, Bolsonaro a marginalisé le Brésil sur la scène diplomatique. Sa gestion désastreuse de la pandémie de Covid-19 et son soutien aux incendies volontaires en Amazonie ont également suscité des critiques mondiales.

Le Brésil est marqué par des disparités sociales criantes. En agriculture, 1 % des propriétaires détiennent 45 % des terres, tandis que 4 millions d’agriculteurs n’en possèdent aucune. Ces inégalités alimentent des conflits, comme ceux opposant les petits paysans au Mouvement des sans-terre (MST). Par ailleurs, le pays est le 10ᵉ plus inégalitaire du monde : les 10 % les plus riches captent 55 % des richesses nationales. L’éducation reflète également ces disparités : le Brésil se classe 63ᵉ sur 70 au classement PISA 2016, et l’accès à l’enseignement supérieur reste réservé aux élites.

 

Une puissance internationale aux ambitions limitées

Le Brésil dispose d’un important soft power, notamment grâce à la lusophonie (Communauté des pays de langue portugaise, CPLP) et sa culture populaire. Le futebol, avec ses cinq victoires en Coupe du monde, et le carnaval de Rio contribuent à son attractivité. De plus, les diplomates brésiliens jouissent d’une solide réputation à l’ONU, renforçant l’image d’un acteur global pacifique et influent.

Malgré son soft power, le Brésil reste associé à la pauvreté, aux bidonvilles (favelas) et à la criminalité. À Rio de Janeiro, plus de 1 000 favelas abritent des milliers de familles dans des conditions précaires. Le pays est également marqué par le narcotrafic, qui alimente les 50 000 homicides enregistrés chaque année.

Le Brésil a perdu une grande partie de son influence régionale, notamment au profit de la Chine. La corruption et les scandales ont affaibli sa capacité à mener des projets d’intégration régionale, comme ceux de l’IIRSA (Initiative pour l’intégration de l’infrastructure régionale sud-américaine). De plus, l’alignement de Bolsonaro sur les États-Unis a affaibli son rôle de leader en Amérique latine.

 

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Conclusion

Le Brésil incarne les contradictions d’une puissance émergente : riche en ressources naturelles et doté d’un important potentiel culturel, il reste entravé par des faiblesses structurelles, des inégalités sociales et une instabilité politique chronique. Bien qu’il ait connu des périodes de prospérité et de rayonnement international, ces succès n’ont pas suffi à transformer durablement son économie et sa société. L’émergence du Brésil semble donc condamnée à rester inachevée, à moins d’une refonte profonde de ses institutions et de ses priorités économiques.

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Image de Augustin Hirtzberger
Augustin Hirtzberger
Etudiant en première année à Audencia après deux années de classe préparatoire au lycée Hoche.