Christophe Cervellon : Professeur, auteur et correcteur de Culture Générale

Connu et réputé dans le monde des classes préparatoires, Christophe Cervellon nous livre de précieux conseils au sujet de la Culture Générale

 

Bonjour Monsieur Cervellon, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis prof de CG à Notre Dame du Grandchamp à Versailles et à Ipesup à Paris. Prof de philo, d’abord, et fier d’avoir été instruit par l’école républicaine, depuis la maternelle jusqu’à l’ENS d’Ulm.

 

Pourquoi avoir choisi d’être professeur de Culture Générale en CPGE ?

Vous connaissez mieux ? Enseigner Platon et Chateaubriand, c’est, disons, « excitant » : cela vous réveille le matin et vous fait joliment rêver le soir… On a le sentiment, un peu bête sans doute, d’être un peu plus « réel » dans la compagnie de ces grands « existants ». Et les élèves sont souvent excellents !

 

Comment travailler la Culture Générale en première année sachant que le thème n’est pas encore disponible ?

C’est très simple, et je le dis sans aucune démagogie et avec même une certaine gravité :  faites-vous plaisir car « le plaisir couronne l’activité bien faite comme la beauté couronne la jeunesse » (Aristote). C’est le seul moyen de se construire une « personnalité intellectuelle ». Ayez, si c’est possible, un livre de prédilection. « Je crains l’homme d’un seul livre », disait Thomas d’Aquin, et c’est vrai : les grands livres sont plus grands que les portes étroites d’HEC…

 

En deuxième année, elle est souvent délaissée par les étudiants, comment la réviser de manière optimale ?

Ne jamais oublier que le thème est un prétexte. C’est l’autre concept, ou les autres concepts, que le thème mis au programme qu’il faudra travailler dans le sujet. Or ce sera l’inconnu… Donc, si vous m’interrogez sur les révisions, la réponse est simple : oubliez aimer pour que ce que vous croyez savoir sur aimer ne vous interdise pas de penser, et de penser aux autres termes de l’intitulé. La meilleure des « révisions », c’est de reculer, de prendre du champ pour non pas fuir devant le sujet, mais pour ouvrir en grand vos yeux. Et puis « bourrinez » jusqu’au dernier moment, y compris des détails apparemment dérisoires… C’est peut-être telle anecdote qui sera vraiment utile le jour J… Autrement dit, et même si c’est totalement contradictoire, essayez de tout retenir avec la mentalité de quelqu’un qui oublierait tout… C’est ce mixte « d’oublis » nécessaires et de « souvenirs » improbables, parfois saugrenus, qui fait le mouvement de la réflexion.

 

Comment appréhender une dissertation de Culture Générale ?

En appliquant les conseils d’Alain : savoir ce que l’on dit lorsque l’on parle comme tout le monde (1) ; quand on a une idée, la nier pour voir ce qu’elle vaut (2) ; ne pas se fier à ses connaissances, mais comme tous les fainéants efficaces, se fier d’abord au «bon sens », à notre «puissance de distinguer le vrai du faux », voire à notre ruse (3).

L’application de ces trois règles est souvent heureuse, et toujours indispensable : clarifier la signification des concepts, dialectiser, ne pas prendre la ligne droite des connaissances, mais un  « second chemin » plus tordu pour contourner le problème  sans jamais, évidemment,  le quitter.    

 

L’introduction possède une part importante dans l’appréciation du correcteur, une astuce pour faire mouche ?

Une jolie citation fait quand même toujours son effet… Mais il faut qu’elle soit ajustée ! La citation tombée du ciel, sans pertinence, est au contraire d’un effet désastreux. Mais comme le disait Spinoza « Tout ce qui est beau est rare, autant que difficile ».

 

Une des plus grandes frayeurs des candidats est de faire un hors-sujet, comment l’éviter ?

En se rappelant ce qui a été dit plus haut : le thème de l’année n’est qu’un prétexte. L’enjeu est de travailler les autres concepts proposés par le sujet, voire toutes les conjonctions, adverbes ou articles… On se moque bien du thème, ce qui compte c’est de montrer votre intelligence et votre culture, à l’occasion d’un sujet. Si vous vous souvenez de cela, tout ira bien. J’ajoute : « Surjouez » l’analyse littérale du sujet, en n’oubliant jamais les flottements métaphoriques ou les sens figurés, ce qui vous permet souvent d’ouvrir le devoir sur des champs problématiques féconds : en théorie, en pratique (en morale et en politique), en esthétique… Mais il s’agit aussi le jour J de mobiliser avec pertinence (pertinence toujours garantie par l’analyse concrète du sujet) des choses importantes, avec de vrais et de grands « enjeux » problématiques. Ne vous « perdez » donc pas non plus dans une approche excessivement littérale. Surjouez le sens littéral pour pouvoir ensuite jouer avec le figuré…

 

Chaque année des étudiants optent pour la dissertation parfaite, pari gagnant ou pas ?

Pari gagnant, si et seulement si vous entendez par « perfection » le désir de traiter vraiment le sujet. Même si cette tentative échoue, elle sera saluée par l’examinateur. La copie moyenne, qui n’affronte pas le sujet, qui ne désire pas l’affronter, qui se contente par principe d’une « approche approximative », ou de grandes généralités bien simplificatrices, risque d’être à juste titre sanctionnée. Ma réponse vous surprendra et vous décevra peut-être…

 

Le thème de cette année est aimer, vous avez écrit un livre à ce sujet. Quels sont les principaux enjeux à maitriser pour les concours.

Aimer est un beau sujet, c’est vrai. Le premier réflexe doit être « platonicien » : ne pas trop vite faire l’éloge de l’amour… Mais rappelez aussi que s’il n’est qu’un « démon », un daïmon, une structure relationnelle, il est un « grand démon », celui qui permet de révéler le monde et autrui en me liant à eux : ce lien préexiste à mon existence puisqu’il la rend possible, et il me donne activement aux êtres lors même qu’ils me sont donnés sans que j’y sois pour rien, c’est-à-dire comme une « grâce ». Comme le disait Levinas, dans l’amour, je choisis ce que je ne choisis pas, si bien que l’aventure amoureuse, pleine de hasard, ressemble énigmatiquement à un destin… 

Mais tout ce qui est beau a valeur d’énigme (Paul Valéry), n’est-ce pas ? Dans l’amour, je découvre que je suis capable de recevoir plus que je ne suis capable de donner, puisque je reçois la possibilité même de donner en retour, en reconnaissance de la beauté ou du lien qui, me faisant tenir à la vie, me rend présent au présent, me fait aimer ce que je fais et faire ce que j’aime. Le problème n’est pas de savoir si l’amour peut être désintéressé ou non, puisqu’il y aura toujours quelque chose

 

Vous faîtes partie du jury de correction de l’épreuve de Culture Générale ESSEC/EDHEC, quels sont vos attentes ?

Je n’ai aucune attente. La copie réellement excellente vous surprend toujours… Mais le respect du français comme le désir et le plaisir de penser, même si cela échoue, ou reste maladroit, sont évidemment exigés, comme on parle d’ « une tenue de soirée exigée ».

 

La contraction de texte va être supprimée dans les années à venir avec la réforme de la prépa ECG, votre avis par rapport à ça ?

C’est une catastrophe. C’est un bel exercice qui oblige les étudiants à respecter la règle d’or du français : en français tout ce qui est clair, se dit avec une économie de mots bien placés ; et cette netteté, comme cette sobriété ou cette pureté, sont le signe certain d’une rédaction agréable. La contraction met au jour le « génie » de notre langue, son caractère singulier… Ce n’est pas un travail insipide, ou idiot, de restitution, mais un authentique exercice de style. « Rareté (des mots) » égale « clarté », égale « élégance ». 

 

Un mot pour les étudiants de prépas à quelques semaines du concours ?

Enfin, le voilà, ce fichu concours ! On l’a assez attendu…

Dorian Zerroudi

Rédacteur chez Mister Prépa, j'ai à coeur d'accompagner un maximum d'étudiants vers la réussite !

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