La dissertation littéraire en prépa AL et BL est un exercice exigeant, qui nécessite une analyse très précise du sujet puis un développement cohérent, structuré et solidement justifié par les œuvres. En début, voire en fin de prépa, nombreux sont ceux dont la copie est noircie de rouge et inlassablement coiffée d’un 10. Alors comment réussir sa dissertation de lettres au concours ?
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Ma professeure de lettres m’a donné un conseil miracle quelques semaines avant l’épreuve : même si le sujet n’est pas compris, des éléments permettent de sauver les meubles. Attention, un sujet incompris ne vous permettra pas de dépasser 14 ou 15, mais obtenir une bonne note reste malgré tout possible si votre analyse personnelle est pertinente et suffisamment bien détaillée.
Pour mieux comprendre les conseils, lisez attentivement le sujet : « Une écriture trop soignée ou trop manifeste réveille chez le lecteur […] une méfiance dont il saurait difficilement se défaire, même s’il comprend qu’elle est sans fondement. Quand l’art se voit trop, il paraît artifice ; et l’artifice, dissimulation, ou comédie. Entre l’art et la « sincérité », le lecteur finit par croire qu’il y a antinomie. […] La vérité est exactement le contraire : le discours ne la masque pas, mais la produit à sa manière : c’est-à-dire autant comme effet de l’énonciation que comme « contenu » d’énoncé. Le style est peut-être un masque, mais le masque est la personne, son authentique visage, sous lequel il n’y a rien. » Ph. Lejeune, Le Pacte autobiographique, « Gide et l’espace autobiographique », 1975 |
Garder son sang froid
La découverte du sujet le jour J peut provoquer un vertige devant la complexité de l’énoncé. Il ne faut pas oublier que les élèves qui vous entourent sont dans la même perplexité que vous : chacun essaie de comprendre du mieux qu’il peut. Analyser, formuler une hypothèse, y renoncer et recommencer est normal et même bon signe.
Formuler un sens cohérent pour le sujet
Même si votre explication ne vise pas tout à fait juste, sa cohérence sera valorisée. N’écrivez pas une analyse à laquelle vous ne croyez pas vous-même. Essayez de trouver du sens en respectant ce qui est dit sur le plan littéral (ne modifier pas la structure du sujet, ne calquez pas non plus vos propres idées dessus mais restez dans l’inconfort). Pour cela :
- Identifiez les relations entre les différentes phrases: Sont-elles toutes sur le même plan ? ou l’une en complète, explique, justifie, contredit-elle une autre ? L’énoncé repose-t-il sur un constat, une opposition ou une interrogation ?
Phrase 1 : « Une écriture trop soignée ou trop manifeste réveille chez le lecteur […] une méfiance dont il saurait difficilement se défaire, même s’il comprend qu’elle est sans fondement. » = Exposition d’une première thèse : une distinction entre le style et la sincérité de l’écriture
Phrase 2 : « Quand l’art se voit trop, il paraît artifice ; et l’artifice, dissimulation, ou comédie. » Phrase 3 : « Entre l’art et la « sincérité », le lecteur finit par croire qu’il y a antinomie. […] » = Explication de la première thèse
Phrase 4 : « La vérité est exactement le contraire : le discours ne la masque pas, mais la produit à sa manière : c’est-à-dire autant comme effet de l’énonciation que comme « contenu » d’énoncé. Le style est peut-être un masque, mais le masque est la personne, son authentique visage, sous lequel il n’y a rien. » » = Véritable thèse de Philippe Lejeune : une réfutation de la première thèse ; pour lui, le style est l’auteur.
- Se concentrer sur les termes utilisés : chacun a une charge particulière.
Par exemple parler d’auteur, d’écrivain, de narrateur, de scripteur ou de personne n’est pas la même chose et insinue une relation différente avec l’œuvre :
« Auteur» et « Ecrivain » : pour certain ces termes seront synonymes, d’autres théoriciens poseront une distinction essentielle entre les deux. Alain Viala définit l’auteur au 17e siècle comme celui qui fait profession d’écrire et entretient avec le savoir une relation de dépendance et de référence qui n’est pas ce que la sociabilité du siècle cherche à mettre sur le devant de la scène. A l’inverse, l’écrivain est caractérisé par le bel-esprit, le respect de l’honnêteté et le primat au plaisir du lecteur).
« Narrateur» entité en charge de l’énonciation qui s’apparente ou non à l’auteur
« Scripteur» désigne celui qui écrit sans connotation littéraire.
« Personne » est plus métaphysique que les autres termes et est adapté spécifiquement à l’humain, il est généraliste, fait référence à l’ensemble de ses dimensions (âme, esprit, enveloppe corporelle). Celui qui écrit n’a pas forcément le savoir faire de l’écrivain.
- La définition des termes doit donc être rigoureuse : pourquoi parler de « personne » et non d’ « auteur » ? Pour resserrer le cadre de la réflexion et éviter le hors sujet, il ne faut pas subtiliser un terme par son synonyme au cours de la réflexion, au risque de faire un glissement. Chaque terme doit aussi être défini en fonction des autres.
Par exemple, la sincérité est une intention de vérité, l’erreur involontaire est possible. La vérité est une relation d’adéquation entre un discours, une pensée, et quelque chose qui existe à l’extérieur. Ici la « sincérité » fait référence au pacte autobiographique, tandis que la « vérité » pose comme une évidence la thèse de Philippe Lejeune.
- Etudiez les verbes, leurs différents temps, dont le changement peu insinuer une évolution. «Paraitre» s’oppose à « être ». « Produire » est essentiel : il suppose que l’énonciation elle-même crée une forme de vérité
- Identifiez les analogies et les oppositions : les verbes, substantifs, adjectifs convoquent-ils une image particulière ? Philippe Lejeune emploie le présent de vérité générale pour évoquer l’opinion commune dans la première thèse. Puis il affirme sa théorie en opposant « l’artifice », « la dissimulation », « la comédie », le « masque » et « l’authentique visage ».
- Formuler la thèse de l’auteur : si l’effet d’énonciation est souvent considéré comme un artifice qui porte atteinte à la sincérité de l’auteur, Phillipe Lejeune affirme au contraire que cette énonciation est productrice d’une nouvelle vérité fondamentale. Le discours produit un certain type de vérité sur celui qui l’énonce. Philippe Lejeune oppose ainsi la vérité référentielle (sincérité de l’auteur) et la vérité de l’écriture, qui, par le choix du style, crée du sens et révèle quelque chose de l’auteur.
- Si le sujet n’est pas compris, il s’agit de formuler une thèse qui ne contredit pas la logique de l’énoncé et l’emploi des termes, et qui donne un sens cohérent au sujet. Ici l’opposition entre les deux thèses sur l’écriture et la sincérité, le parti pris de Philippe Lejeune, et l’accent porté sur la vérité sont des éléments fondamentaux.
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D’autres éléments sont essentiels pour produire une copie de qualité :
Problématiser avec logique
Après avoir formulé la thèse de l’auteur, réfléchissez à ses possibles réfutations :
Exemple :
- Dire que tout texte est vérité porte atteinte au concept même de vérité (quel texte ne serait pas vrai ?)
- Quel est l’intérêt de la vérité de l’énonciation par rapport à la vérité référentielle ?
- Qu’est ce qui fait la vérité d’un texte ?
Rédiger ses arguments avec une grande précision
La première phrase d’une partie ou sous partie doit pouvoir expliquer clairement l’argument. Il ne faut pas tomber pas dans des formules trop évasives, mais utiliser des termes précis :
I/ Toute écriture n’est pas artificielle et mensongère, en ce qu’elle produit sa propre vérité, constitue une signature, et expose toujours une part de l’identité de son auteur.
Garder de la nuance
Le manque de temps peut vous précipiter dans des arguments assez simplistes voire des oppositions manichéennes. Restez nuancé, essayez de remettre en question vos arguments pour les évaluer et les renforcer. Anticipez les réserves de votre correcteur pour les contrer.
II/ Affirmer que tout texte est vérité rend caduque l’essence même de vérité. La vérité d’une œuvre (et non sa sincérité) est remise en question par le lecteur (liens tissés entre l’œuvre et la vérité référentielle, contestation du propos etc).
III/ La quête de vérité dans l’écriture : la difficulté d’une sincérité et d’une vérité parfaite, l’écriture comme un acte imparfait.
Utiliser des exemples précis
Il est inutile de se perdre dans une multitude d’exemples. Il est plus stratégique de connaitre par cœur l’analyse de 20 à 30 textes, que vous pouvez éternellement réutiliser en fonction de votre argument. Le but est de disposer d’analyses détaillées et suffisamment riches pour s’appliquer à beaucoup d’arguments. Fournir des exemples très précis avec des extraits appris par cœur et une analyse fine justifiera de manière très efficace votre propos. Ces exemples doivent être tirés des œuvres au programme et d’œuvres complémentaires pour vous démarquer.
Si la dissertation littéraire est un exercice complexe, elle peut être envisagée avec confiance grâce à une bonne connaissance des œuvres, et surtout, une méthode solide. A force d’entrainement vous pouvez y arriver !