“L’Europe est coupée en deux”, affirmait Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche chez Ceri. Par ces mots, elle met en évidence les discordances internes au sein de l’Union européenne concernant les crises migratoires. Si l’idée d’une coopération européenne semble louable, voire “Fukuyamesque” (Hubert Védrine), les rêves se heurtent aux volontés souverainistes des différents États membres. La montée en puissance de l’extrême droite nationaliste en France, en Italie et en Espagne, par exemple, démontre un sentiment populaire opposé aux idéaux de la Commission européenne. Pourtant, cette dernière crise à Lampedusa, en Italie, nous permet de constater que l’Union souhaite faire face à la crise de manière adéquate et que l’extrême droite commence à être remise en question par les réalités géopolitiques.
Comment l’Union européen réagit-elle ?
À l’échelle de l’organisation, la situation est vue comme “un défi qui a besoin d’une réponse européenne”, selon Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Cette dernière a ainsi mis en place un plan d’urgence qui comporte plusieurs directives, telles que le renforcement de l’Agence pour l’asile (AUEA, chargée de l’enregistrement des demandeurs d’asile) et de Frontex (l’organisation européenne chargée du contrôle des frontières de l’Union), la mise en place d’un mécanisme de solidarité des États membres pour l’accueil des migrants, une coopération accrue avec la Tunisie (aide de 105 millions d’euros pour contenir les flux) ou encore un rapprochement avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour faire face à la crise rapidement. Il semble donc que le problème soit considéré comme une crise majeure pour l’UE qui souhaite ne pas répéter les mêmes erreurs que lors de la crise de 2015.
Pour autant, il est nécessaire de constater que ces décisions ne sont pas suffisantes pour certains États membres. Les discordances internes apparaissent déjà, comme en témoigne le cas de l’Italie qui accuse l’Allemagne de financer des organisations favorisant le voyage des réfugiés vers l’Europe. Dès lors, il semble que les chances d’une “solidarité européenne” (Emmanuel Macron) demeurent fragiles.
Quelle est la situation actuelle à Lampedusa ?
Lampedusa est une île italienne située dans la mer Méditerranée. Du fait de sa position géographique, elle constitue l’un des principaux “hotspots” (porte d’entrée) européens. En effet, elle est à la fois proche de l’Afrique (à 150 km de la Tunisie) et située sur la route migratoire la moins risquée pour les migrants de l’ensemble de la mer Méditerranée (contrairement à Ceuta-Melilla, par exemple). Depuis le 25 septembre, c’est près de 8 500 migrants venus de Libye et de la Tunisie qui ont atteint l’île. Ces derniers fuient la situation économique et politique de leurs pays. Cette nouvelle vague s’ajoute aux 127 000 migrants qui ont rejoint Lampedusa depuis le début de l’année. L’Italie fait donc face à une nouvelle crise migratoire et humanitaire qui met sous pression aussi bien ses frontières que celles européennes.
Un coup dur pour l’extrême droite ?
Comme lors de chaque crise migratoire, l’extrême droite cherche à exploiter la désapprobation populaire à des fins politiques (65 % des Français s’opposent à l’accueil des migrants). On peut ainsi citer les propos du candidat du Rassemblement National (RN), Jordan Bardella, qui déclarait : “Ce qui se passe à Lampedusa sera demain le futur de l’Europe si on ne prend pas le contrôle de notre politique d’immigration”. Pourtant, cette dernière crise diffère des précédentes. En effet, depuis 2022, c’est un parti nationaliste, Fratelli d’Italia, représenté par Georgia Meloni, qui est au pouvoir en Italie. Ses nombreux discours anti-migrants et surtout anti-européens sont aujourd’hui contredits par ses appels à l’aide face à la crise. Elle a notamment demandé que la crise devienne une “mission européenne” sous entendu traité avec l’aide de l’Union européen. La montée de l’extrême droite en Europe montre donc déjà ses limites.
En conclusion, bien que cette dernière crise migratoire apparaît comme un défi titanesque pour les États membres, néanmoins, malgré des tensions inter-membres, l’Union européenne semble mieux préparée qu’en 2015 et adopte déjà des mesures pour limiter les dégâts. L’extrême droite, qui a été élue grâce à des discours anti-européens et anti-immigration, ne peut aujourd’hui qu’implorer l’aide de l’Union, démontrant ainsi les limites de leurs programmes électoraux.