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Les crises de change asiatiques des années 1990 : un séisme économique

Sommaire

Les années 1990 ont été marquées par une série de crises de change qui ont secoué les économies d’Asie de l’Est. Débutant en Thaïlande en juillet 1997, la crise s’est rapidement propagée à d’autres pays comme l’Indonésie, la Malaisie, la Corée du Sud et les Philippines. Ces crises ont mis en lumière les fragilités des économies asiatiques et ont eu un impact significatif sur l’économie mondiale.

Les causes profondes des crises

Plusieurs facteurs ont contribué à ces crises. Tout d’abord, les déficits courants importants ont joué un rôle crucial. Par exemple, en 1996, le déficit courant de la Thaïlande représentait près de 8 % de son PIB selon le Fonds Monétaire International. Cette situation était le résultat d’une croissance économique rapide alimentée par l’endettement étranger, en particulier dans le secteur de l’immobilier.

De plus, les systèmes financiers des pays touchés étaient souvent mal réglementés et exposés à des risques élevés. Ainsi, d’après le rapport de 1997 de la Banque de Thaïlande, les prêts non performants représentaient environ 30 % des actifs des banques avant la crise. Cette faiblesse des institutions financières a amplifié les effets de la crise.

En outre, un endettement privé excessif a rendu les entreprises et les ménages de ces pays vulnérables aux fluctuations des taux de change. Dès lors, en Corée du Sud par exemple, de nombreuses grandes entreprises (Samsung Electronics, Hyundai Motor Group, LG Corporation…) ont emprunté massivement en devises étrangères pour financer leur expansion, ce qui les a exposées à un risque de change élevé lorsque la crise a frappé.

Enfin, les attaques spéculatives contre les monnaies locales ont joué un rôle majeur dans l’aggravation de la crise. Par exemple, George Soros (financier, philanthrope et lobbyiste milliardaire américain d’origine hongroise) a gagné environ un milliard de dollars en pariant contre le baht thaïlandais. Ces spéculations ont entraîné une fuite des capitaux étrangers et ont accéléré la dépréciation des monnaies asiatiques.

Le déroulement des crises

Le déroulement des crises de change asiatiques des années 1990 a été marqué par une escalade rapide et dévastatrice à travers la région. Tout a commencé en Thaïlande, où les spéculateurs ont pris pour cible le baht, la monnaie locale. Ces spéculateurs, anticipant une surévaluation du baht suite à l’endettement excessif et aux déséquilibres économiques du pays, ont commencé à vendre massivement la monnaie thaïlandaise sur les marchés internationaux.

Face à cette pression, le gouvernement thaïlandais a tenté de défendre la valeur du baht en utilisant ses réserves de change pour maintenir le taux de change fixe. Cependant, les attaques spéculatives ont continué, mettant en évidence la fragilité du système financier thaïlandais et alimentant les craintes d’une dévaluation imminente.

Finalement, le gouvernement thaïlandais a été contraint de laisser flotter sa monnaie en juillet 1997, abandonnant son taux de change fixe. Cette décision a entraîné une chute spectaculaire de la valeur du baht selon le Fonds Monétaire International. En effet, avant la crise, le taux de change était d’environ 25 bahts pour un dollar américain. Cependant, à son point le plus bas en janvier 1998, le baht avait chuté à près de 56 bahts pour un dollar, soit une perte de plus de 50 % de sa valeur en seulement quelques mois. Cette dévaluation a eu un impact dévastateur sur l’économie thaïlandaise. Le PIB du pays a chuté de près de 10 % en 1998, marquant la plus forte contraction économique de son histoire moderne. De plus, le secteur financier a été durement touché, avec un nombre croissant de prêts non performants et des faillites bancaires.

La contagion de la crise s’est rapidement étendue à d’autres pays de la région. Par exemple, en Indonésie, le rupiah a également subi une dévaluation importante. Avant la crise, le taux de change était d’environ 2 400 rupiahs pour un dollar américain. Cependant, en janvier 1998, le rupiah avait chuté à près de 14 000 rupiahs pour un dollar, soit une dépréciation de plus de 80 % par rapport à son niveau d’avant la crise.

Cette dévaluation massive du rupiah a entraîné une crise financière majeure en Indonésie. Le PIB du pays a diminué de près de 14 % en 1998, et le taux de chômage a augmenté de manière significative, passant de 4,7% en 1997 à 5,4% en 1998, touchant des millions de personnes selon l’agence nationale de statistique d’Indonésie.

De même, la Malaisie et les Philippines ont également été touchées par la crise de change. Selon la Banque mondiale, en Malaisie, le ringgit a subi une dépréciation importante, passant d’environ 2,5 ringgits pour un dollar avant la crise à près de 4,8 ringgits pour un dollar en janvier 1998. Aux Philippines, le peso a également été dévalué, passant d’environ 25 pesos pour un dollar à près de 45 pesos pour un dollar au plus fort de la crise.

En quelques mois à peine, la crise de change asiatique s’est propagée comme une onde de choc à travers toute l’Asie de l’Est, provoquant des dévaluations monétaires, des faillites d’entreprises et des récessions économiques dans plusieurs pays de la région. Ce déroulement rapide et généralisé des événements a contribué à l’ampleur et l’impact dévastateur de la crise de change asiatique dans les années 1990.

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Les conséquences

Les conséquences des crises de change asiatiques des années 1990 ont été catastrophiques, avec des répercussions économiques et sociales profondes dans toute la région.

En Thaïlande, par exemple, la récession a été particulièrement sévère. Le PIB du pays a chuté de près de 10 % en 1998, selon la Banque de Thaïlande, marquant la plus forte contraction économique de son histoire moderne. Cette contraction a été exacerbée par l’effondrement du secteur financier thaïlandais, avec un nombre croissant de prêts non performants et des faillites bancaires.

De plus, le taux de chômage en Thaïlande a atteint des niveaux record. D’après le Ministère du Travail de Thaïlande, avant la crise, le taux de chômage était d’environ 3 %, mais il a grimpé en flèche pour atteindre plus de 10 % en 1998, laissant des millions de Thaïlandais sans emploi et confrontés à des difficultés économiques.

En Indonésie, la crise a également eu des conséquences dévastatrices sur la population. Selon l’agence nationale de statistique d’Indonésie (BPS), le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté est passé de 22 millions en 1996 à 39 millions en 1998, soit une augmentation de près de 80 % en seulement deux ans. Cette hausse spectaculaire de la pauvreté a entraîné une détérioration des conditions de vie pour de nombreux Indonésiens, avec une augmentation de la faim, de la malnutrition et de l’insécurité alimentaire.

En outre, la crise a exacerbé les inégalités sociales et économiques en Indonésie. Les riches ont souvent été en mesure de se protéger contre les effets de la crise en transférant leurs actifs à l’étranger ou en investissant dans des actifs sûrs, tandis que les pauvres ont été laissés pour compte, confrontés à une baisse des revenus et des difficultés accrues pour subvenir à leurs besoins fondamentaux.

Les troubles sociaux et les manifestations ont également éclaté dans plusieurs pays touchés par la crise. En Indonésie, par exemple, des émeutes ont éclaté à Jakarta en mai 1998, déclenchées par la colère populaire contre la corruption, l’injustice économique et la gestion inefficace de la crise par le gouvernement. Ces manifestations ont mis en lumière les profondes tensions sociales et politiques exacerbées par la crise de change asiatique.

Réponses et leçons apprises

Face aux crises de change asiatiques des années 1990, le Fonds monétaire international (FMI) a joué un rôle crucial en intervenant pour aider les pays touchés. Le FMI a fourni des prêts d’urgence aux gouvernements asiatiques pour les aider à stabiliser leurs économies et atténuer les effets de la crise. Cependant, ces programmes d’ajustement structurel ont souvent été critiqués pour avoir exacerbé les effets de la crise en imposant des politiques d’austérité sévères. Les conditions attachées aux prêts du FMI, telles que la réduction des dépenses publiques, la privatisation des entreprises publiques et la déréglementation des marchés financiers, ont souvent eu des conséquences néfastes sur les populations locales, en exacerbant la pauvreté et les inégalités.

Néanmoins, la crise a également conduit à des réformes économiques et financières dans la région asiatique. Les pays touchés par la crise ont pris conscience de la nécessité de renforcer leur réglementation financière et d’accroître leur résilience aux crises futures. Ainsi, la Thaïlande a mis en place un mécanisme de surveillance financière plus strict pour superviser les activités des institutions financières et détecter les risques financiers potentiels plus tôt. De plus, le gouvernement thaïlandais a renforcé son système bancaire en introduisant des mesures visant à accroître la transparence et la gouvernance des banques, ainsi qu’à renforcer leur capitalisation pour éviter une répétition des faillites bancaires qui ont caractérisé la crise de change de 1997.

De manière similaire, d’autres pays de la région asiatique ont également entrepris des réformes économiques et financières pour renforcer leur résilience aux crises futures. Ces réformes comprenaient des mesures visant à améliorer la réglementation financière, renforcer les institutions financières, promouvoir la transparence et la gouvernance d’entreprise, et diversifier les économies pour réduire leur dépendance aux secteurs exposés aux chocs externes.

 

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Pour conclure, les crises de change asiatiques des années 1990 ont été un événement majeur qui a eu un impact profond sur l’économie mondiale. Elles ont mis en lumière les vulnérabilités des économies asiatiques et conduit à des réformes importantes dans la région. Les leçons apprises de ces crises sont importantes pour prévenir de futures crises et pour promouvoir une croissance économique durable et inclusive en Asie et dans le monde entier.

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Amanda Jouhandin