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Pour une critique de la violence, Walter Benjamin (2/2)

Sommaire

Dans cet ouvrage, Benjamin questionne la validité morale de la violence en tant que fondement du droit. La critique de la violence est ici la présentation de son rapport au droit. Cet article constitue la deuxième partie de la synthèse de cette œuvre.

 

La violence conservatrice de droit

Chaque droit prétend être violent juste en cas d’urgence, c’est-à-dire dans le cas où le droit tout court est menacé de l’extérieur dans son existence ; dans ce cas-là, le droit a non seulement le droit mais le devoir de se défendre contre l’agression extérieur pour protéger l’effet pacifiant du droit en général.

Cette fonction du droit, Benjamin l’appelle conservatrice de droit. Cette auto-description est une auto-description trompeuse parce que chaque violence de droit ne sert pas simplement à la conservation du droit, mais elle est toujours et en même temps fondatrice de droit.

Chaque violence de droit ne défend pas simplement les frontières tracées pour protéger un espace clos, mais la violence de droit fonde aussi du droit. La violence de droit ne conserve pas simplement du droit déjà constitué, mais elle constitue elle-même du droit. Elle est fondatrice de droit.

 

La critique du militarisme

La critique du militarisme coïncide avec celle de toute violence juridique, toute violence légale ou exécutive. Cette critique ne proclame pas un anarchisme ni ne déclare : “tout ce qui me plaît est permis”. Cette critique ne saurait non plus se contenter d’en appeler à l’impératif catégorique car le droit exige déjà de reconnaître et de favoriser l’intérêt de l’humanité en la personne de chaque individu.

La violence conservatrice de droit est une violence menaçante. Elle n’a cependant pas le sens de dissuasion que lui prêtent certaines interprétations. En effet, le terme dissuasion comporte un caractère qui contredit l’essence de la menace. Aucune loi ne peut prétendre à la dissuasion car cette dernière, contrairement à la menace et à la loi, subsiste l’espoir d’échapper à son emprise. En ce sens la loi s’avère d’autant plus menaçante qu’elle s’apparente à la fatalité d’un destin.

 

Ces 2 formes de violence sont présentes dans une autre institution de l’Etat moderne : la police. 

La police exerce une violence à des fins légales. Cependant, elle détient également dans une large mesure “le pouvoir d’établir elle-même ces fins” (par ordonnance notamment). Benjamin dénonce l’ignominie d’une telle autorité. En effet, “dans la police, la séparation entre violence fondatrice de droit et violence conservatrice est supprimée.”

En temps normal, on attend de la première qu’elle justifie de son identité par la violence. La seconde est en revanche soumise à la restriction de ne pas se fixer de nouvelles fins, elle est conservatrice en somme. Or, la violence policière est affranchie de ces deux conditions. Elle est fondatrice de droit car elle peut émettre des décrets susceptibles de se réclamer du droit. D’autre part, elle est également conservatrice de droit car elle se met à la disposition de ces fins.

 

Le droit de la police

“Le “droit” de la police indique bien plutôt en définitive le point où l’Etat ne peut plus garantir à travers l’ordre juridique les fins empiriques qu’il veut atteindre à tout prix.” analyse Benjamin. C’est pourquoi la police intervient pour motif de sécurité dans de nombreux cas où la situation juridique n’est pas claire. Contrairement à la loi qui présente un contenu défini et une décision arrêtée en un temps, la violence policière, elle, est sans contour précis. 

Par ailleurs, réflexion intéressante ici, la violence policière a plus de sens et de légitimité dans un régime monarchique que démocratique. Selon Benjamin, “son esprit est moins dévastateur dans la monarchie absolue, où elle représente la violence d’un souverain qui réunit en lui l’omnipotence législative et exécutive, que dans les démocraties, où son exigence, soutenue par aucune relation de ce type, témoigne de la plus grande dégénérescence possible de la violence.”

Ainsi, toute violence en tant que moyen est soit fondatrice, soit conservatrice de droit. Si elle ne répond à aucun de ces cas, elle renonce à toute validité.



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Est-il possible de régler des conflits sans violence ? 

Tout d’abord, il convient d’exclure les contrats de cette possibilité. Effectivement, un règlement non violent des conflits n’aboutit jamais à un contrat juridique. Ce dernier peut toujours conduire à de la violence puisqu’il confère à chaque partie le droit de recourir à toute forme de violence envers l’autre en cas de rupture du contrat. “L’origine du contrat, tout comme son issue, renvoie à la violence.”

Malgré tout, Benjamin répond à la précédente question : “Sans aucun doute”. L’expérience en fournit de nombreux exemples, notamment dans les rapports entre personnes privées. En fait, on trouve des arrangements parfaitement pacifiques partout “où la culture du cœur a mis entre les mains des humains des moyens purs pour parvenir à un accord.”

La civilité, la sympathie, l’amour de la paix, la confiance, en forment les conditions préalables. Toutefois, leur manifestation objective demeure déterminée par la loi de sorte que les moyens purs ne sont jamais des solutions immédiates.

 

Le dialogue

Benjamin prend l’exemple du dialogue comme technique d’accord civil. Ce dernier rend possible un accord non violent. Toutefois, le fait qu’il exclut par principe la violence est dû à une implication essentielle : l’impunité du mensonge. Aucune législation à l’origine ne le punit. Le domaine du langage est absolument imperméable à la violence car il l’exclut paradoxalement si bien. 

On objectera que la violence juridique s’y est insinuée en sanctionnant la tromperie. Cela ne survint toutefois que tardivement. A l’origine, l’ordre juridique ne se contentait que de frapper la violence hors-la-loi là où elle se manifestait. Ainsi, la tromperie n’ayant rien de violent en soi, n’était pas punie par le droit romain ni par l’ancien droit germanique.

 

Le déclin de la sphère juridique

Au fil du temps, la perte de confiance du droit en lui-même l’a conduit à se retourner finalement contre la tromperie. Il ne l’a pas fait raison de considérations morales, mais par crainte des actes de violence que la tromperie pourrait déclencher chez la personne qui en serait victime

Cette crainte de la tromperie et de ses effets pervers témoigne, selon Benjamin, du déclin de la sphère juridique. Il s’agit aussi de l’affaiblissement des moyens purs comme le langage. Le dialogue n’est plus un moyen parfaitement pur à partir du moment où peut s’insinuer dans l’entente une tromperie possible. Ainsi, avec l’interdiction de la tromperie, le droit limite l’usage des moyens totalement non violents (sous prétexte qu’ils pourraient générer de la violence après coup).

Cette même conception a sûrement joué un rôle dans la concession du droit de grève. “Le droit l’autorise parce qu’il prévient les actions violentes auxquelles il redoute d’être confronté.” Plutôt que d’amener les travailleurs au sabotage des usines, le droit de grève les oriente vers des moyens plus pacifiques et moins gênants pour l’ordre juridique.

 

Résumé global  

Pour le droit naturel, seul compte la justesse de la fin. Pour le droit positif, tout droit s’établit sur la critique des moyens. C’est in fine le droit qui s’octroie le privilège de la violence vu qu’il serait menacé si elle venait à s’exercer en dehors de lui. Pour ce faire, il se retrouve lui-même à l’autoriser, par exemple sous la forme du droit de grève.

Ou bien à user lui-même de la violence suprême, “celle qui dispose de la vie et de la mort”, à travers la peine de mort, laquelle le fortifie. En résumé, le pouvoir recourt à la violence, qui le fonde et le préserve. La violence du droit n’est pas à prendre au sens propre. Ici, elle désigne plutôt son autorité, sa puissance, son pouvoir.

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Gabin Bernard
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