« Au cours des deux derniers siècles, la population mondiale a été multipliée par 8 : on n’était qu’un milliard en 1800 », commente Gilles Pison, démographe à l’INED (Institut national d’études démocratiques) et professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle. 8 milliards, c’est un milliard de plus qu’en 2010, deux milliards de plus qu’en 1998 et cinq milliards et demi de plus qu’en 1950.
Voilà un constat qui alimente bien des craintes de nos jours. Surtout sachant que la Terre comptera près de 10 milliards d’habitants d’ici à la fin du siècle. Une telle surpopulation n’est pas sans danger pour notre planète. Ainsi, les 8 milliards de personnes que nous sommes sur Terre sont souvent associés à de nombreuses crises, et en particulier à celle du dérèglement climatique.
Les Nations unies démentent cette corrélation. Associer « la taille de la population humaine à l’insécurité alimentaire, à la dégradation des sols, à la perte de biodiversité, à la pollution plastique, aux risques accrus de pandémies, à la détérioration des infrastructures et à la mauvaise gouvernance et aux conflits » est un résumé bien trop commode selon eux.
Une croissance démographique corrélée au réchauffement climatique
Les risques liés à la surpopulation représentent une crainte ancienne. Rappelons la théorie de Thomas Robert Malthus au début du XIXe siècle. Selon lui, la hausse de population mondiale se heurte aux ressources limitées de la planète. Ainsi, lorsque la population augmente, celle-ci fait face à des famines, des guerres, et crises du même genre. La faisant ainsi revenir à une taille « compatible » aux ressources de la planète. Or, selon les Nations Unies, il « n’avait pas compris la rapidité avec laquelle la productivité agricole allait s’améliorer ».
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De fait, ses prophéties ne se sont jamais établies. Pourtant, aujourd’hui, ces « vieilles croyancesreviennent au premier plan », regrette l’ONU. En effet, pour certains experts, il existe bel et bien un lien entre surpopulation et réchauffement climatique. Michel Bourban, chercheur en philosophie politique et éthique, démontre dans l’article « Croissance démographique et changement climatique » : « Parmi les multiples facteurs qui contribuent à atteindre et à dépasser les limites planétaires, la croissance démographique joue un rôle clé ». En s’appuyant sur les données du GIEC, il montre que de manière générale, croissance économique et démographique « continuent d’être les moteurs les plus importants de l’augmentation de CO2 dues à l’utilisation des combustibles fossiles. »
Avec cette même logique, certains préconisent des mouvements qui visent la baisse d’enfants et la promotion de politiques dé-natalistes comme Démographie Responsable. En proposant par exemple de supprimer les allocations familiales au-delà de deux enfants et en taxant ceux qui en ont beaucoup. Or, pour Emmanuel Pont, auteur de Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?, le levier démographique est une illusion. « Avec des propositions de démographie responsable, on ne s’attaque à aucune cause profonde de la crise climatique qui est d’ordre politique, économique, culturelle, sociétale… Appliquer des mesures sur les allocations familiales, les impôts ou les congés maternité serait catastrophique pour les plus pauvres, et ne ferait qu’accroitre les inégalités ».
Un procès démographique trop simpliste
Pour Emmanuel Pont, « dire que la surpopulation au niveau global augmente le réchauffement climatique n’est pas une idée complètement fausse, mais c’est un raccourci un peu rapide ». Selon lui, il faut relativiser cette corrélation, car les raisons du réchauffement climatiques sont multiples et complexes. Il questionne d’ailleurs en montrant que certes, plus on est nombreux, plus on pollue, « mais on ne polluerait pas forcément deux fois moins si l’on était deux fois moins nombreux : peut-être au contraire nous serions dans un monde dense et différent, dans lequel nous prendrions encore plus l’avion par exemple, ce qui augmenterait notre bilan carbone. »
De même, selon l’ONU, cela ne tient pas debout d’attribuer le changement climatique à une trop forte fertilité mondiale. De fait, dans l’absolu, ce sont les pays pauvres qui affichent généralement les taux de fécondité et de croissance démographique les plus hauts. Or, les problèmes climatiques ne peuvent être dus aux ressortissants d’Afrique subsaharienne et d’Asie dont la pauvreté contribue le moins à la destruction de l’environnement mondial et au changement climatique. « Sur 8 milliards de personnes, environ 5,5 milliards ne gagnent pas assez d’argent, environ 10 dollars par jour, pour contribuer de manière significative aux émissions de carbone », font observer les Nations unies.
Ainsi, certes la pollution augmente avec la croissance démographique, mais c’est un constat à nuancer. Ce sont les plus riches qui polluent le plus et qui font le moins d’enfants. Si l’on se réfère aux rapports Oxfam France, les 10% les plus riches de la population mondiale(approximativement 630 millions de personnes) sont responsables de 52% des émissions de CO2 cumulées. Alors que les 7% les plus pauvres sont responsables que de 7% des émissions … soit 4% du budget carbone disponible. De plus, ce discours « occulte le fait que les causes profondes de tant de crises mondiales sont avant tout dues aux inégalités, aux violations des droits de l’homme et à l’absence de politique de développement durable », avancent les Nations unies.
Dans les faits, quels leviers utilisés pour faire face au réchauffement climatique ?
Finalement, Emmanuel Pont l’affirme : « Rejeter la faute de la catastrophe écologique sur ceux qui font des enfants est un faux débat : on voit que c’est bien plus compliqué que cela, et que les raisons et les moyens d’agir sont surtout à l’échelle de la société. ». Faire baisser le nombre d’êtres humains sur Terre est impossible à court terme, donc l’urgence est de modifier les modes de vie afin qu’ils soient compatibles avec les ressources disponibles sur Terre.
De plus, l’épuisement des ressources naturelles a aussi été entrainé par notre trop forte population. Or, c’est une inégale répartition des ressources qui est à pointer du doigt. « Si l’on se concentre sur l’alimentation, on peut dire que l’on produit assez de nourriture pour nourrir une fois et demie la planète, et pourtant des pays souffrent de la famine (au Soudan du Sud, au Yémen, ou au Nigéria…). On ne fait pas face à un problème de production, mais bien d’inégale allocation des ressources », précise Emmanuel Pont.
Élise Naccarato, responsable climat chez Oxfam France, ajoute : « Il faut faire face aux conséquences du dérèglement climatique en repensant notre organisation sociale. Donc que l’on soit 8 milliards ou pas, ça ne changera pas grand-chose, on l’a dit. »
De plus, ce sont surtout les grandes multinationales qui sont en grosse partie responsables du réchauffement climatique. « Le bilan carbone de l’entreprise Total est sept fois plus important que celui de la France entière ! », précise la responsable climat chez Oxfam. C’est un changement systématique qui doit s’opérer, au niveau individuel certes, mais essentiellement au niveau des États et des entreprises pour avoir un vrai impact !
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