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La distinction industrialisation précoce / industrialisation tardive est-elle pertinente ?

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Dans cet article, il s’agit de te proposer une brève analyse d’un sujet qui peut faire l’objet d’une khôlle ou encore qui peut être posé lors des oraux des Parisiennes. Toutefois, l’industrialisation est également un sujet central de la première année et qui peut tomber aux écrits lors des concours.  N’hésitez pas à me contacter sur Discord si vous avez des questions ou si vous  souhaitez tout simplement approfondir le sujet.

Bonne lecture ! 

 

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Pourquoi distinguer plusieurs modèles d’industrialisation 

Avec Rostow, les différences entre les pays s’expliquaient à partir des conditions préalables qu’il faut réunir pour que le décollage économique ait lieu.

Ainsi comprendre pourquoi la Grande Bretagne s’est retrouvée être le premier pays à le réussir, c’est repérer les avantages spécifiques dont elle aurait disposé : abondance de richesses naturelles comme le charbon, révolution agricole précoce, dynamisme démographique, ou encore grande stabilité politique.

Ensuite, le retard de chaque pays sera fonction de la vitesse à laquelle il peut copier le modèle anglais, en particulier comment les transferts de technologie peuvent être plus ou moins rapides.

Le modèle d’Alexandre Gerschenkron – Economic backwardness in historical perspective, 1962 – va inverser la perspective, en considérant que l’industrialisation n’est pas une suite de répétitions mais une série de déviations successives par rapport au modèle original, qui s’expliquent par les handicaps qu’il faut contourner pour accéder à la croissance – par exemple le morcellement politique en Allemagne et en Italie, la persistance d’un système féodal en Russie ou au Japon – , contournement qui permet de forger un avantage particulier dont l’origine est le handicap initial lui –même. La vigueur de l’industrialisation tardive tient donc aux institutions mises en place pour compenser les carences qu‘il a fallu combler.

La différence entre les modèles de croissance des lates comers et des early start s’explique tout d’abord par la place que l’initiative privée peut tenir dans le processus de développement. En France et en Grande Bretagne – pays précoces – on assista à la maturation progressive d’idées nouvelles et à un changement très lent des mentalités et des structures, au point que pour l’essentiel, la première industrialisation s’est effectuée sur les bases de l’économie traditionnelle, par exemple le bois ne supplante la vapeur et le fer comme énergie et matériaux de construction qu’au milieu du 19ème siècle, date à laquelle d’ailleurs la proto industrialisation connaît son apogée.

En revanche, les pays tardifs doivent vaincre certains facteurs de blocage comme l’absence de marché de capitaux ou l’arriération des structures sociales. L’Etat et les banques sont donc amenés à jouer un rôle spécifique d’impulsion et de coordination des efforts productifs. Par exemple, on voit comment le modèle bancaire britannique est très spécialisé – par opposition au modèle allemand de la banque universelle dans lequel la distinction entre banque d’affaires et banques de dépôts est caduque. On voit aussi comment l’ère du Meiji est une véritable rupture qui sort le Japon de la féodalité. Ici, le choix du développement est un choix public, en tous les cas , produit de la volonté politique comme le montre la politique fiscale qui ponctionne – et donc sacrifie – l’agriculture au profit de l’industrie.

Etre un pays tardif c’est aussi faire face à la supériorité des pays précoces qui tracent une frontière technologique qu’il faut atteindre dans les délais les plus brefs possibles. Ainsi selon Gerschenkron : plus l’industrialisation est tardive plus elle est rapide !

Dans les pays précoces, l’industrialisation repose sur les biens de consommation. La taille moyenne des entreprises reste modeste, même dans le secteurs de pointe comme le textile où longtemps, le capital à mobiliser n’excède pas une demi année de salaire. Il faut attendre le milieu du siècle pour que la création libre de sociétés anonymes apparaisse comme une nécessité pour élargir le capital. Alors que dans les pays tardifs, les secteurs moteur de la croissance relèvent de l’industrie lourde : chemin de fer, métallurgie, chimie. En conséquence, les immobilisations en capital fixe sont conséquentes, donc les entreprises doivent immédiatement atteindre une grande taille (Krupp, Thyssen, US Steel).

 

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Une distinction souvent difficile à réaliser

La confrontation du modèle avec les expériences nationales va révéler tout d’abord quelques difficultés. Est-il en effet légitime de considérer que l’intervention de l’Etat va croissant au fur et à mesure que le retard est plus conséquent ? C’est en premier lieu faire totalement abstraction de la tradition mercantiliste très forte en Europe. La recherche de puissance par la conduite de politiques « industrialistes » ,telle les expériences des manufactures royales ou des industries militaires comme les cordages ,les métaux…Politique suivie à la fois par la France, pays précoce, et la Prusse ou la Russie, pays tardifs. Par contre, les USA ont un mode de développement beaucoup plus libéral que les pays européens, y compris appliqué au système bancaire et à la gestion de la monnaie, alors que leur décollage se situe au milieu du 19ème siècle. À l’instar de l’analyse de Rostow, les propositions de Gerschenkron ne sont elles pas, elles aussi, trop influencées par l ‘exemple britannique dans lequel l’Etat a été peu présent.

 

La distinction tardif – précoce est elle toujours facilement repérable ?

Pas de phase incontestable de décollage, révolution agricole tardive, transition démographique très rapide : la France est le contre exemple parfait pour l ‘analyse de Rostow. La France qualifiée de conservatrice, de malthusienne, est incontestablement un pays en retard par rapport à la Grande Bretagne. Elle n’est pas pour autant un pays tardif puisque , pour ne prendre qu’un exemple , la petite entreprise y a survécue plus longtemps qu’ailleurs dans un pays où l’agriculture et le monde rural ont été dominant jusqu’à la première guerre mondiale. Cette difficulté à analyser l’industrialisation française a ainsi conduit certains historiens, à partir des années 70, a totalement retourner le modèle de Gerschenkron. Les traits caractéristiques du retard français seraient en réalité la conséquence de l’avance française. La France n’est elle pas le pays le plus éloigné du modèle d’industrialisation tardive ?

Enfin, la nation est elle encore le cadre pertinent d’analyse de l’industrialisation ? En effet, aucun pays n ‘a connu de révolution industrielle uniforme sur l’ensemble de son territoire. La Grande Bretagne du nord (Lancashire, Yorkshire, Midlands) connaît un développement rapide tandis que la bassin de Londres reste dominé par l’Agriculture. La localisation industrielle dépend pour l’essentiel de facteurs naturels, parfois historiques. Si la révolution industrielle est avant tout régionale, la possibilité de distinguer des modèles de développement de type tardif – précoce s’éloigne. Le Nord, la région lyonnaise ou encore l’Alsace sont en France des régions aussi développées que la Grande Bretagne. C’est aussi le cas en Allemagne pour la vallée du Rhin, la Silésie ou la Saxe. L’avance britannique ne tiendrait donc qu’à un plus grand nombre de régions industrialisées.

 

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