Dans le paysage économique contemporain, la concurrence s’impose comme un pilier fondamental des politiques publiques. Emmanuel Combe, économiste français spécialisé dans la question, met en lumière un double rôle de la concurrence : un soutien à la demande à court terme et un moteur de croissance à long terme. Ces deux dimensions, bien que distinctes, sont complémentaires. La concurrence améliore le pouvoir d’achat et stimule la compétitivité à court terme, tout en dynamisant l’innovation et la productivité sur le long terme.
La concurrence comme politique de demande à court terme
À court terme, la concurrence agit directement sur le pouvoir d’achat des ménages en favorisant une baisse des prix. En augmentant l’offre disponible et en incitant les entreprises à rivaliser sur les coûts, la concurrence permet aux consommateurs de maximiser leur satisfaction. Emmanuel Combe affirme ainsi dans une tribune de L’Opinion (2022) : « La concurrence est un levier utile pour le pouvoir d’achat. »
L’impact de la concurrence peut être illustré par le cas de la grande distribution en France. Dans les années 1990, l’émergence d’enseignes telles que Lidl ou Aldi a intensifié la compétition sur les prix dans le secteur alimentaire. Cette rivalité a entraîné une baisse significative des prix des produits de base, permettant aux ménages français de consacrer une part moindre de leurs revenus à l’alimentation, tout en profitant d’une plus grande diversité de choix. Selon l’INSEE, la part des dépenses alimentaires dans le budget des ménages est passée de 20 % en 1980 à environ 12 % en 2020, une évolution largement attribuée à la concurrence accrue dans ce secteur.
Par ailleurs, la concurrence joue un rôle clé dans l’ouverture des marchés nationaux. L’exemple du plan Pinay-Rueff en France, lancé en 1958, est particulièrement révélateur. Dans le cadre de la construction du Marché commun européen, ce plan visait à réduire les barrières douanières et à exposer l’économie française à une « douche froide » de concurrence extérieure. Les droits de douane furent diminués de 10 %, puis progressivement abolis, permettant à des entreprises françaises de s’adapter et d’améliorer leur compétitivité face à des acteurs étrangers. En parallèle, les consommateurs bénéficièrent d’une plus grande variété de produits à des prix plus attractifs, soutenant ainsi la demande intérieure.
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La concurrence comme politique de l’offre à long terme
Sur le long terme, la concurrence dépasse les simples enjeux de prix pour devenir un levier de croissance structurelle. Elle agit en faveur de l’efficacité dynamique, c’est-à-dire de la capacité des entreprises à innover et à se réinventer pour rester compétitives. Ce rôle est particulièrement visible dans le cadre des théories de la croissance endogène, où la concurrence est perçue comme un aiguillon incitant à l’innovation.
Un exemple frappant est celui du Japon durant la période du « miracle économique » (1950-1990). Après la Seconde Guerre mondiale, le Japon a adopté une politique de protectionnisme éducateur tout en favorisant une concurrence interne intense. Les entreprises japonaises, telles que Toyota ou Sony, furent incitées à innover en permanence pour répondre aux exigences d’un marché domestique compétitif. Cette dynamique interne, combinée à des politiques industrielles stratégiques, a permis au Japon de devenir la deuxième puissance économique mondiale dès la fin des années 1960.
De manière générale, la concurrence stimule également l’allocation optimale des ressources, favorisant ainsi la productivité globale des facteurs. En évitant les situations de monopole ou de monopsones, la concurrence garantit (presque toujours) que les entreprises les plus performantes prospèrent, tandis que les moins efficaces disparaissent ou se réinventent.
L’industrie technologique illustre bien ce phénomène. La rivalité entre Apple, Samsung et d’autres acteurs dans le secteur des smartphones a conduit à des avancées technologiques majeures en un temps record. Chaque entreprise cherche à se démarquer par des innovations, qu’il s’agisse de la qualité des écrans, de la puissance des processeurs ou des fonctionnalités logicielles. Cette compétition intense a non seulement bénéficié aux consommateurs, mais elle a aussi renforcé la position stratégique de ce secteur dans l’économie mondiale.
Le modèle européen : l’exemple du Traité de Rome
L’Union européenne constitue un exemple emblématique de l’utilisation de la concurrence comme levier économique. Le Traité de Rome, signé en 1957, posait les bases d’un marché commun où la libre circulation des biens et des services devait garantir un environnement concurrentiel. Ce cadre juridique a favorisé l’émergence de champions européens, tout en offrant aux citoyens un accès à des produits de qualité à des prix compétitifs.
Par exemple, dans l’industrie aérienne, l’ouverture des marchés européens a permis à des compagnies comme Ryanair et EasyJet de prospérer en proposant des vols low-cost. Ce modèle a non seulement démocratisé les voyages en avion, mais il a aussi obligé les acteurs historiques comme Air France ou Lufthansa à revoir leurs offres pour rester compétitifs.
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