La question de l’avenir de la France hors du cadre européen interpelle profondément dans un contexte de globalisation et de crises multiples. Herman Van Rompuy, ancien président du Conseil européen, a affirmé : « L’Europe n’est pas un choix pour ses membres, mais une condition de leur prospérité et de leur stabilité ». Mais, en miroir, peut-on affirmer que la France pourrait prospérer sans l’Europe ? Ce propos conduit à explorer le concept d’interdépendance stratégique développé par Van Rompuy, qui repose sur une articulation étroite entre solidarité économique et stabilité politique au sein de l’Union européenne (UE).
L’interdépendance stratégique selon Herman Van Rompuy
Van Rompuy défend l’idée que les membres de l’UE bénéficient d’une interdépendance qui dépasse les simples échanges commerciaux : il s’agit d’un mécanisme global où la coopération économique, la stabilité politique et les financements solidaires forment un écosystème indispensable. La France, qui est au cœur de cette structure, tire profit de plusieurs axes fondamentaux :
- Le marché commun : la suppression des barrières douanières et réglementaires permet aux entreprises françaises d’accéder à 450 millions de consommateurs. En 2023, plus de 60 % des exportations françaises se destinent à l’UE (Source : Insee).
- Les politiques de soutien communautaires : la France bénéficie de la Politique agricole commune (PAC), qui lui alloue 9 milliards d’euros par an, soit près de 20 % du budget agricole européen.
- L’influence politique et monétaire : en tant que membre clé de la zone euro, la France participe à des décisions monétaires stratégiques qui stabilisent son économie. En cas de sortie, elle serait forcée de réintroduire une monnaie nationale, augmentant les coûts d’échange et l’instabilité financière.
Pourquoi la France ne peut pas se passer de l’Europe ?
L’interdépendance stratégique de la France avec l’Europe repose sur un double levier : l’intégration économique et la stabilisation des disparités régionales. Sans l’UE, la France devrait assumer seule des coûts économiques et sociaux importants. Premièrement, la réintroduction des droits de douane augmenterait le coût des importations et réduirait la compétitivité des exportations. Ensuite, la disparition des financements européens, comme les fonds structurels, créerait un déficit estimé à 15 milliards d’euros par an (source : Commission européenne).
La théorie de l’interdépendance stratégique s’appuie sur l’idée que la coopération entre nations permet de dépasser les limitations inhérentes aux États pris individuellement. Selon Van Rompuy, l’Europe agit comme un multiplicateur de puissance pour ses membres, transformant leurs faiblesses structurelles en forces collectives.
La théorie des avantages comparatifs amplifiée par l’Europe
L’économie française est caractérisée par une spécialisation dans des secteurs comme l’agroalimentaire, l’aéronautique ou le luxe. Dans le cadre européen, la France maximise ces avantages comparatifs en s’intégrant dans des chaînes de valeur européenne. Par exemple, un avion Airbus, produit phare français, incorpore des pièces provenant d’Allemagne, d’Espagne et d’autres pays européens. Sans l’Europe, ces chaînes de valeur seraient fragmentées, augmentant les coûts de production de 15 % en moyenne (source : European Aviation Report, 2023).
Une stabilité monétaire et géopolitique en jeu
La France profite aussi de la zone euro pour réduire les fluctuations de change et attirer des investisseurs étrangers. Si la France quittait l’Union, elle serait contrainte de réintroduire une monnaie nationale, entraînant des coûts de conversion supplémentaire estimés à 0,5 % du PIB chaque année (source : BCE). De plus, sa capacité à peser sur la scène mondiale serait affaiblie : isolée, elle ne pourrait rivaliser avec les géants que sont les États-Unis ou la Chine.
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Citation punchy
« Sans la France, l’Europe ne pourrait pas survivre » – Herman Van Rompuy (Discours, 2013)
Une interdépendance économiquement modélisée
On peut modéliser les bénéfices économiques de l’Europe pour la France par :
BE = MC + SP + FI
où :
- MC représente les bénéfices du marché commun,
- SP, la stabilité politique induite par la coopération,
- FI, les financements européens (PAC, fonds structurels, etc.).
En cas de sortie, les coûts liés à la désintégration (CD) incluent les pertes commerciales (PC), les instabilités politiques (IP) et les coûts de redéploiement (CR) :
CD = PC + IP + CR
Pour que la France survive économiquement sans l’Europe, il faudrait que CD<BE. Or, les données actuelles montrent que CD dépasse largement BE, principalement en raison des pertes sur le marché commun et des financements perdus.
Comment ça se manifeste ? La France sans l’Europe serait affaiblie
Les exportations françaises vers l’UE représentent 390 milliards d’euros par an, soit plus de la moitié de son commerce extérieur. Une sortie imposerait des droits de douane de 10 % en moyenne (source : OMC, 2023), diminuant drastiquement sa compétitivité.
La PAC finance 20 % des exploitations agricoles françaises. Sans ces subventions, plus de 30 000 fermes seraient menacées de faillite (source : Eurostat, 2023), entraînant des pertes de revenus pour les agriculteurs et une hausse des prix alimentaires.
En 2022, les investissements directs étrangers en France s’élevaient à 54 milliards d’euros grâce à la stabilité monétaire et réglementaire européenne. Une sortie réduirait ces flux de 25 % à 30 %, comme observé au Royaume-Uni après le Brexit (source : ONS, 2023).
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