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Géopolitique de la Mer Rouge

Sommaire

En mars 2024, quatre câbles Internet sous-marins ont été sectionnés en Mer Rouge par des rebelles Houthis, soutenus par l’Iran, pour déstabiliser le trafic Internet occidental. Ces câbles relient en effet des continents entiers entre eux et on estime que plus de 17% des câbles mondiaux transitent dans cet espace maritime. Ainsi, cet évènement révèle à quel point la Mer Rouge est un point névralgique des échanges de flux matériels comme immatériels, et qu’elle est sujette à des tensions géopolitiques récentes. Dès lors, quel axe géopolitique peut-on dresser en Mer Rouge ?

 

Analyse historique et géographique

La Mer Rouge est une mer semi-fermée délimitée au nord par le canal de Suez et au sud par le détroit de Bab el-Mandeb. C’est une zone tampon entre deux espaces géopolitiques instables que sont l’Afrique de l’Est et le Moyen-Orient. L’Egypte, le Soudan, le Sud Soudan, l’Erythrée, Djibouti, la Somalie, le Yémen, l’Arabie Saoudite et même Israël et la Jordanie par le Golfe d’Aqaba bordent la Mer Rouge. Plus de 10% du commerce mondial et plus de 7 millions de barils de pétrole traversent chaque jour cet espace maritime qui n’a cessé de gagner en attractivité au cours du temps.

La construction du canal de Suez est sans aucun doute l’élément essentiel qui a rendu la Mer Rouge une mer nodale de la mondialisation. Les travaux de Ferdinand de Lesseps entre 1859 et 1869 ont raccourci la route reliant les Indes à l’Europe de plusieurs milliers de kilomètres. Le trafic maritime s’intensifie alors de telle manière que la Mer Rouge devient une mer de transit incontournable pour les puissances coloniales européennes, notamment la France et l’Angleterre, qui l’empruntent afin de rallier leur colonie indienne et indochinoise. Cependant, le conglomérat franco-anglais, si efficace pour contrôler les flux maritimes entre la Mer Méditerranée et la Mer Rouge, fait face à un bouleversement géopolitique d’ampleur lorsqu’en 1956, le général égyptien Nasser nationalise unilatéralement le canal de Suez. Sous les pressions américaines, les deux nations se retirent et la zone se stabilise. L’accélération de la mondialisation renforce enfin l’importance du canal si bien que l’échouement de l’Ever Given en 2021 a paralysé le commerce maritime mondial pendant une semaine !

 

Lire plus : L’histoire du Canal de Suez

 

Panorama des fractures géopolitiques locales

D’abord, il convient de rappeler que la Mer Rouge sépare deux mondes socio-économiques : les pays à moyen/haut revenu tels que l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou Israël et certains des Pays les Moins Avancés (PMA) et développés comme le Soudan, la Somalie ou le Yémen gangrénés par la guerre et la famine. Ces deux mondes voient ainsi l’influence d’acteurs géopolitiques radicalement différents au sein de leur territoire. Par exemple, les ONG humanitaires telles que l’UNICEF ou la Croix Rouge se rendent régulièrement en Somalie, sortie exsangue d’une guerre civile de plus de 13 ans. Au Soudan, certaines puissances telles que la Turquie se servent de la guerre civile pour asseoir une domination régionale en introduisant sur son sol des milices d’Etat (TSK). A contrario, l’Arabie Saoudite veut se tailler une puissance d’échelle mondiale, comme l’Egypte, toutes deux récemment entrées au sein des BRICS+ en août 2023. Le prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS) positionne Riyad en puissance médiatrice notamment lors de sommets visant à sceller la réconciliation entre l’Erythrée et l’Ethiopie en 2018.

Par ailleurs, la question de la sécurisation géostratégique des zones maritimes en Mer Rouge est d’actualité. A l’image de la rétrocession des îlots de Tiran et Sanafir par l’Egypte à l’Arabie Saoudite en 2017 et des nombreuses manifestations qui en ont découlé au Caire, le contrôle de la Mer Rouge est un sujet géopolitique brûlant. La prospection pétrolière au large du Soudan ou encore la sécurisation du Golfe d’Aden en proie à la piraterie ou aux attaques kamikazes des Houthis sont autant d’éléments confirmant cette tendance.

 

La prééminence des puissances régionales et globales

La Mer Rouge est enfin un espace maritime en ébullition géopolitique en raison de la position stratégique de Djibouti. En effet, ce pays bénéficie d’une façade maritime fortement militarisée par les Etats-Unis et la Chine. Cette dernière dispose là de sa seule base militaire en dehors de son territoire. La cinquième flotte américaine garde aussi un œil sur la zone et peut rapidement se mobiliser depuis le Golfe d’Aden. Aussi, la Russie s’intéresse de près à la Mer Rouge depuis l’investissement de milices privées étroitement liées à l’Etat russe au Soudan et au Sud Soudan. Moscou en a profité pour installer un poste de support naval en mai 2024 à Port-Soudan. La guerre à Gaza depuis octobre 2023 a envenimé la relation entre l’Occident et l’Iran et ses alliés Houthis qui multiplient les opérations de déstabilisation en mer.

D’autres puissances régionales tentent de se montrer dans cet espace : les Emirats arabes unis multiplient leurs points d’appui navals à Berbera (Somalie) ou Aden (Yémen), l’Arabie Saoudite avec des projets de villes balnéaires futuristes à Neom, Djeddah dans l’optique de s’extraire de la rente pétrolière et de miser sur le tourisme. Enfin, d’autres puissances s’intéressent par défaut à la région en raison de sa militarisation récente : à Djibouti, la France, le Royaume-Uni et même le Japon disposent de bases militaires.

 

Lire plus : La géostratégie de Djibouti

 

En résumé, la Mer Rouge apparaît comme la pierre angulaire de la mondialisation maritime grâce au canal de Suez. Elle est devenue un espace stratégique de premier ordre. La sécurisation de la mer, des flux, sa militarisation et les ambitions de puissance vont rythmer la géopolitique future.

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Image de Augustin Hirtzberger
Augustin Hirtzberger
Etudiant en première année à Audencia après deux années de classe préparatoire au lycée Hoche.